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  • Исторические очерки о героях 1825 года и их предшественниках, по их воспоминаниям.
    Chapitre III. Rad Ryleieff et Nicolas Bestoujeff

    CHAPITRE III

    CONRAD RYLEIEFF ET NICOLAS BESTOUJEFF[59]

    «Lorsque Ryléïeff écrivait son ïko, — écrit Nicolas Bestoujeff, — mon frère Michel, étant malade, demeurait chez lui. Un jour Ryléïeff entra dans sa chambre et lui récita la célèbre »Confession":

    „Pas un mot, saint-père, tes paroles seront perdues. Je sais que la mort attend celui qui se lève le premier contre les oppresseurs du peuple, je connais mon sort et, saint-père, je le bénis avec joie..."

    — Ryléïeff, — lui dit Michel, — c'est une prédiction que tu nous fais, à nous et à toi le premier.

    — Penses-tu donc que j'aie pu douter un seul instant de ce qui m'attend? — répondit Ryléïeff. — Je suis convaincu que notre perte est imminente et qu'elle est nécessaire pour secouer de leur sommeil nos compatriotes endormis».

    «Chez lui ce n'était pas un élan généreux, ni l'entraînement d'un moment, c'étaient sa religion calme, sa conviction inébranlable».

    était présent lorsque Ryléïeff se sépara de sa mère, qui quittait Pétersbourg. L'idée de ne plus revoir son fils tourmentait la pauvre femme, elle ne pouvait se défaire du pressentiment qu'il allait à une perte sûre:

    «—Sois circonspect, mon ami, —lui disait-elle, — tu es si imprudent... Le gouvernement est soupçonneux, des espions sont partout aux aguets, et toi — tu as l'air de te complaire à les provoquer en attirant sur toi leur attention.

    — Vous avez tort, maman, — répondit Ryléïeff, — mon but est au-dessus des taquineries et des provocations à l'adresse de quelques misérables agents de la police. Je suis dissimulé, car j'ai besoin qu'on me laisse tranquille pour agir. Si je parle à cœur ouvert avec mes amis, c'est que notre cause est la même, et si je ne me cache pas de vous, c'est qu'au fond, chère mère, vous partagez nos convictions.

    — Cher Conrad, tu l'avoues toi-même que tu as des projets sinistres. Tu vas au-devant de la mort, sans même le cacher à ta mère.

    Elle fondit en larmes.

    — Il ne m'aime pas, — dit-elle en se tournant vers moi et me prenant la main. — Vous qui êtes son ami, tâchez donc de le dissuader... Si quelque malheur arrive, moi je ne lui survivrai pas. Je sais que Dieu peut le reprendre à chaque instant, mais attirer sur soi-même le malheur...

    — Mère, — dit Ryléïeff, — ce n'était pas mon intention de vous parler de ces choses, de vous troubler, mais je vois bien que vous avez tout deviné. Eh bien! oui, je suis membre d'une société qui a pour but de renverser le gouvernement.

    ère pâlit, et sa main que je tenais devint froide.

    — Ne vous effrayez pas et écoutez-moi avec calme. Nos intentions paraissent téméraires, terribles à celui qui les consi dère à distance sans s'en pénétrer, sans bien envisager notre but; il ne voit que les dangers qui nous menacent. Mais vous, ma mère, vous devez voir la chose de plus près et mieux connaître votre fils. Et d'abord, ma mère, est-ce que ce n'est pas vous qui m'avez fait entrer au service militaire? Vous m'avez donc vous-même voué aux dangers et à la mort. Pourquoi n'aviez-vous pas tant de crainte en me faisant soldat? Les honneurs qui pourraient m'échoir auraient-ils atténué votre douleur ou calmé vos craintes? Non... Le monopole de la gloire militaire passe, nous entrons dans l'époque du courage civique. Eh bien! je verserai mon sang pour acquérir les droits de l'homme à mes compatriotes. Si je réussis, je serai récompensé au delà de mon mérite. Si je succombe et que mes contemporains ne me comprennent pas, vous, ma mère, vous m'apprécierez, moi et la pureté de mes intentions, et la postérité inscrira mon nom parmi ceux qui se sont sacrifiés pour le bien-être des hommes. Ainsi, courage, ma mère, et donnez-moi votre bénédiction.

    éïeff aussi éloquent; ses yeux étincelaienti sa figure s'illumina. Sa mère était entraînée, subjuguée par lui; elle souriait sans pouvoir retenir ses larmes. Elle inclina la tête rie son fils, mit la mainau-dessus, et avec une expression de douleur et de bonheur, d'angoisse et de contentement intérieur elle le bénit; mais la douleur prenant le dessus, elle dit en sanglotant: „Tout cela est bien... mais je ne veux pas lui survivre!"»

    Emporté comme le Christ à son Golgotha, Ryléïeff continuait de prêcher comme lui, connaissant sa destinée; mais, simple mortel, sa séparation avec sa mère est plus humaine.

    Poète-citoyen — était l'un et l'autre dans chaque poème, chaque strophe, chaque vers. Tout est pénétré de ce sentiment de dévouement, d'amour complet et de haine ardente[60].

    — à Araktchéieff.

    «On ne peut s'imaginer l'étonnement, la stupéfaction des habitants de Pétersbourg à la lecture de cette poésie. Tout le monde attendait avec anxiété par quoi se terminerait cette lutte d'un enfant avec un géant. L'orage passa par-dessus sa tête. L'engourdissement de terreur se dissipa alors et un murmure d'approbation fut la récompense du jeune poète vengeur. La carrière politique de Ryléïeff date de cette poésie».

    é par tout le monde. C'était le temps où la société commençait à se lasser d'un arbitraire sans frein. Une fois membre de la société secrète, le bouillant jeune homme devint tout autre. De poète audacieux, qui jette sur la place publique des malédictions contre un favori redouté, il devient poète prédicateur, prêchant la grande lutte.

    éïeff (comme Michel Bakounine) commença son service par l'artillerie; il le quitta bientôt et se retira dans une petite propriété qu'il avait près de Pétersbourg. Il était jeune et marié. En peu de temps il acquit une grande estime parmi ses voisins, qui l’élurent aux fonctions d'un des juges de la cour criminelle, à Pétersbourg.

    C'est dans cette charge qu'il acquit une grande popularité parmi le peuple, et Bestoujeff raconte une anecdote très caractéristique à cet égard.

    «Un jour, d'après quelques soupçons, on arrêta un petit, bourgeois de Pétersbourg. Comme il n'avouait rien, on l'amena devant le comte Miloradovitch — alors gouverneur général de Saint-Pétersbourg. Le pauvre diable persistait à nier, probablement il était innocent. Miloradovitch, fatigué de ses dénégations, lui déclara qu'il le livrerait à la cour criminelle (il le fit pour l'intimider, connaissant la profonde aversion des gens du peuple pour le tribunal) — mais tout au contraire le bourgeois tomba à ses pieds et le remercia avec des larmes aux yeux pour la grâce qu'il lui faisait.

    — Quelle diable de grâce? — demande Miloradovitch stupéfié.

    — Votre Excellence, vous voulez m'envoyer devant le tribunal, eh bien! — je suis sûr que le tribunal terminera toutes mes tribulations en m'acquittant. Il y a parmi les juges un monsieur Ryléïeff, il ne condamnera pas un innocent».

    éïeff se faisant l'avocat des paysans du prince Rasoumovsky, gagna le procès en faveur des paysans contre le gré non seulement des puissants, mais de l'empereur même.

    Aimé avec passion par ses amis, Ryléïeff devint le cœur, le centre ardent et attractif de la Société du Nord. Sans être précisément éloquent — il entraînait tout le monde avec une puissance irrésistible. «Avant d'avoir parlé», il s'emparait déjà de son interlocuteur par ses yeux et par l'expression de ses traits.

    éïeff prit sur lui toute la responsabilité du 14/26 décembre. Il s'accusait pour faciliter à ses amis la défense. Pourtant il faut convenir qu'il était un des promoteurs principaux et un des acteurs les plus actifs de cette journée[61].

    à la mort de l'empereur Alexandre. Réveillés en sursaut par cette nouvelle, les membres de la Société furent encore plus frappés par la seconde. Le bruit je l'abdication de Constantin gagnait du terrain, et pourtant on lui prêtait serment dans toute la Russie. Nicolas voulait hâtivement s'emparer du trône, mais il trouva une vigoureuse résistance dans le général Miloradovitch. Les soldats murmuraient de ce qu'on leur avait caché jusqu'au dernier moment la maladie d'Alexandre et son testament. Un manifeste parut, pour annoncer l'abdication du césarévitch; le manifeste, qui déliait du serment de fidélité prêté à Constantin, ne portait pas sa signature, mais bien celle de son frère cadet, qui allait s'emparer du trône. Tout cela troublait les esprits.

    éïeff et quelques-uns de ses amis, en petit nombre, voulurent voir de leurs propres yeux où l'on en était. A la nuit tombante (cela pouvait être le 10 ou le 22 décembre), ils s'en allèrent de part et d'autre parler aux soldats; ils leur disaient que l'on cachait le testament de l'empereur défunt par lequel les serfs recevaient la liberté, les soldats ne serviraient dans les rangs que quinze ans. Ils trouvèrent les soldats tout prêts, et les nouvelles se répandirent avec une grande rapidité, comme ils l'avaient constaté le lendemain matin. Il était impossible de perdre une telle occasion.

    «Je ne crois pas au succès, — disait Ryléïeff à N. Bestoujeff, — mais le moment est propice; dans tous les cas il faut risquer et oser. Si nous périssons, nous donnerons un exemple qui réveillera».

    Le 12 décembre Ryléïeff apprit qu'un jeune officier, Rostovtzeff, appartenant à la Société, a eu une entrevue avec Nicolas, et sans dénoncer les personnes lui a fait part des projets de soulèvement, etc.

    — Dans ce cas, qu'y a-t-il à faire? — demanda Ryléïeff à N. Bestoujeff.

    — Ne communiquer à personne la nouvelle et agir immédiatement. Mieux vaut être pris sur la place publique que dans son Ut. Au moins on saura ce que nous voulons et pourquoi nous périssons, — répondit Bestoujeff.

    éïeff se jeta à son cou.

    — J'étais sûr, — lui dit-il, — que tu le dirais, je suis encore plus sûr que nous allons à notre perte, n'importe, en avantl

    L'idée de Ryléïeff, simple et parfaitement juste, était de réunir au plus vite les troupes dévouées et de marcher sans perdre de temps au Palais d'Hiver. Il était facile de s'en emparer à l'improviste, ayant avec soi des soldats de la garde qui connaissaient toutes les issues. Les militaires trouvèrent tant d'objections que ce plan, peut-être le seul possible, fut abandonné; on se décida à faire une insurrection sur la place d'Isaac.

    De grand matin, le 14/26, Bestoujeff vint chercher Ryléïeff. Il l'attendait déjà. Ils s'embrassèrent et voulurent sortir, lorsque éperdue, sanglotant, la femme de Ryléïeff leur barra le chemin.

    écria:

    — Laissez-moi mon mari, ne l'emmenez pas, il va à sa perte, il va à sa perte! Nastia, viens, prie ton père pour moi, pour toi.

    éïeff, toute en larmes, embrassait les genoux de son père.

    ête sur la poitrine de Ryléïeff; il la posa doucement sur un sopha; elle était évanouie, et s'arrachant de l'enfant il se précipita dehors.

    (On a trouvé encore, après le décès de N. Bestoujeff, quelques fragments se rapportant à la journée du 14/26 décembre 1825. Un de ces fragments continue évidemment les souvenirs sur Ryléïeff, un second appartient à un autre manuscrit. L'incident décrit est extrêmement dramatique. Mais où est le commencement? où est la suite? Quel malheur irrémédiable si nous avons perdu ce saint héritage d'un des meilleurs, des plus énergiques acteurs de la grande conspiration! Voici le premier fragment):

    <I>

    «Nous nous séparâmes. J'arrivai assez tard sur la place, amenant avec moi l'équipage de la garde. Ryléïeff me serra sur son cœur, c'était notre baiser de liberté.

    — Nos prévisions s'accomplissent, — me dit-il, — nos derniers moments s'approchent, mais aussi c'est notre premier souffle d'indépendance, et pour cet instant je donne volontiers ma vie.

    ères que Ryléïeff m'ait adressées».

    Bestoujeff le revit encore sept mois après. Tous deux étaient dans les casemates du ravelin d'Alexis sans se voir, bien entendu. Une fois, après le souper, le caporal qui servait Bestoujeff ouvrit ]a porte; au moment même Ryléïeff passait sous escorte pour prendre l'air. Bestoujeff écarta le caporal et se jeta au cou de Ryléïeff — on les sépara.

    Ce fut leur adieu. Quelques jours après, l'archiprêtre lui racontait le comme il l'a fait à Yakouchkine.

    II

    «... Mon épée était depuis longtemps dans le fourreau.

    é formé par le régiment de Moscou et l'équipage de la garde. Enfonçant mon chapeau et me croisant les bras, je pensais aux paroles de Ryléïeff: „Que nous respirions l'air de la liberté", et je voyais que cet air commençait à manquer. Les cris des soldats ressemblaient plutôt aux cris suprêmes d'une agonie. Nous étions entourés de tous côtés; l'inactivité dans laquelle nous restions glaça les cœurs, remplit d'effroi les esprits; celui qui s'arrête à mi-chemin est déjà à demi-vaincu.

    çant et froid venait de son côté geler le sang des soldats et des officiers, si longtemps exposés sur une place découverte... L'attaque contre nous cessa, le „hourrah!" des soldats devint moins fréquent. Le jour tombait, tout à coup nous vîmes les régiments s'écarter des deux côtés pour faire place à l'artillerie. Les bouches des canons étaient braquées contre nous, tristement éclairées par les crépuscules grisâtres d'une soirée d'hiver.

    étropolitain vint lui-même nous admonester et s'en retourna sans succès. Le général Souhosanet s'approcha en montrant l'artillerie;on lui cria à haute voix qu'il était „un pleutre". — C'étaient les derniers efforts de notre indépendance.

    épandit en soulevant la neige et la poussière, en frappant la rue et les maisons; quelques hommes tombèrent du front; des spectateurs inoffensifs qui se tenaient sous la colonnade du Sénat furent blessés ou tués. Sept hommes de nos rangs, tués instantanément, tombèrent comme évanouis; je n'ai pas vu de convulsions, je 11 ai pas entendu de cris — telle était la force de la mitraille à cette petite distance. Un silence absolu régnait parmi les vivants et les morts. D'autres coups de canon jetèrent par terre un tas de soldats et d'hommes du peuple. Les carreaux, les châssis des fenêtres tombaient avec fracas, et avec eux tombaient silencieusement des hommes qui restaient raides et sans mouvement-j'étais comme pétrifié à ma place en attendant le coup qui m'emporterait. L'existence en ce moment me parut si accablante, si amère que je souhaitai la mort. Le sort en décida autrement. Après le cinquième, le sixième coup, la colonne s'ébranla. Lorsque je revins à moi, la place entre moi et la colonne qui fuyait était vide d'hommes et couverte de tués; je rejoignis la colonne en me frayant un chemin entre des cadavres. Il n'y avait ni cris, ni plaintes, mais on entendait la neige fondant sous le sang chaud et l'on voyait ensuite le sang se convertir en glace.

    à notre poursuite; entrant dans une rue étroite (Galernaïa), les masses l'encombrèrent. С 'est là que j'atteignis les grenadiers de la garde et rencontrai mon frère Alexandre. Nous arrêtâmes quelques dizaines d'hommes pour faire face à une attaque et couvrir la retraite, mais l'empereur éféra ûmes forcés de nous disperser. A chaque pas on voyait tomber des soldats et des hommes du peuple; les soldats frappaient aux portes des maisons, se cachaient derrière les murs, où la mitraille les atteignait par ricochet, en rebondissant des murs opposés. C'est ainsi que la colonne et la masse du peuple, criblées de coups, atteignirent le croisement de la rue par une autre rue, où elles étaient attendues par une partie du régiment des grenadiers de Paul.

    Ayant perdu de vue mon frère, j'entrai dans une porte co-chère entr'ouverte, et je me trouvai en face du maître de la maison. Deux individus bien habillés se précipitèrent en même temps vers la porte; mais au moment où l'un d'eux entrait, un coup de mitraille l'étendit devant nous. Son corps nous barra le chemin. Avant que j'aie eu le temps de me baisser et de relever sa tête, il était mort: le sang jaillissait de deux côtés, de la poitrine et du dos. „Mon Dieu, — s'écria le propriétaire, — n'y a-t-il pas moyen de le secourir". Je lui montrai la plaie qui traversait de part en part le jeune homme.

    „Que la volonté de Dieu s'accomplisse. Entrons vite chez moi, autrement nous risquons que notre nombre ne diminue encore˝. Nous traversâmes tous trois la cour; le maître de la maison frappa à la porte: un aboiement fort retentit des chambres, qui semblaient vides.

    — Permettez-moi, — nous dit-il, de vous demander, messieurs, qui j'ai l'honneur de recevoir chez moi avant que le domestique me vienne calmer le chien et tirer les verroux.

    érieur et la croix que je portais.

    — Et vous?

    ès agréable physionomie, lui déclara son nom de famille, qu'à mon grand regret j'ai oublié.

    Le domestique, après avoir tiré divers verroux et ouvert des cadenas, montra sa tête.

    — Je ne suis pas seul, tiens le chien. — Et en nous donnant une poignée de main il nous invita à entrer. La précaution n'était pas inutile, un énorme chien se débattait, retenu avec peine par le domestique.

    Nous entrâmes dans une pièce du rez-de-chaussée, le domestique apporta une bougie, le maître lui ordonna de fermer immédiatement les volets donnant sur le quai et sur la cour, de fermer les portes et de dire à tout le monde qu'il n'y était pas.

    ôtés. Cela dura une dizaine de minutes; les canons se turent les premiers; les coups de fusil devenaient plus rares et cessèrent bientôt complètement.

    é sans lait, le propriétaire faisait maigre. Quoique notre conversation roulât sur les terribles événements de la journée, elle était froide et guindée. Nous ne nous connaissions pas, et la méfiance liait les langues. La contrainte perçait à travers la politesse et l'urbanité. Je regardais notre hôte. С 'était un homme de ma taille, il pouvait avoir quarante-cinq ans, d'une santé robuste, de beaux traits et regardant avec des yeux noirs qui parlaient en faveur de son caractère. Pas un cheveu blanc dans ses cheveux noirs; sur son habit gris on voyait la plaque d'une décoration napolitaine.

    é fut complètement rétablie, et que le domestique qui sortait de temps en temps dans la rue nous dit que l'on ne voyait personne, à l'exception des patrouilles, le jeune homme se leva, remercia le maître de la maison, répéta son nom de famille et sortit sur le quai, conduit par le domestique Les convenances ne me permettaient pas de rester plus longtemps mais je pensais que pour moi il était peu sûr encore de quitter la maison. Et lorsque l'hôte s'approcha de moi, après avoir reconduit le jeune homme, comme s'il voulait me le rappeler, je lui dis-

    —Vous avez fait une bonne œuvre en nous sauvant de la mitraille, et maintenant le danger d'être blessé ayant cessé, le é; la politesse m'enjoint de le suivre mais je vous dirai franchement pourquoi j'ai besoin de vous demander encore l'hospitalité pour une heure ou deux: je suis un de ceux qui ont amené sur la place les troupes qui n'ont pas prêté serment à Nicolas.

    ôte pâlit; un doute, une indécision parcoururent ses traits.

    — C'en est fait, —lui dis-je, —voyant sa consternation. —Vous pouvez disposer de moi, me livrer comme un rebelle ou me donner un asile comme à un malheureux que l'on persécute.

    — Restez chez moi autant que cela est nécessaire à votre sécurité.

    — Pesez bien votre décision. Outre ce que je vous ai communiqué, il faut que vous sachiez le nom de celui...

    — Du tout, du tout, votre malheur suffit. — Et me prenant par la main avec effusion il me fit asseoir.

    — Vous êtes un homme généreux, — lui dis-je, — que Dieu vous récompense; quant à moi, je n'abuserai pas de votre condescendance.

    — Passons dans une autre chambre, — me dit-il, — moi j'occupe ordinairement celle-là. En voyant la lumière à travers les fentes, quelqu'un peut venir.

    èce tout encombrée de meubles.

    — Ma femme est à la campagne, — me dit-il, — je suis sur mon départ; la maison est vide, à l'exception de ces deux chambres et d'une troisième occupée par mon fils, qui est aide de camp près de...

    ôte avait été témoin de la disposition des troupes, il avait vu de ses yeux si les soldats voulaient du nouvel empereur.

    En touchant l'incident que c'était moi qui avais amené les troupes, je lui dis mon nom de famille.

    — N'êtes-vous pas le fils d'Alexandre Bestoujeff, qui a été capitaine à l'école de génie?

    éponse affirmative.

    —Eh bien, je suis enchanté de ce que je puis rendre service au fils de mon bienfaiteur. J'ai reçu mon éducation sous sa direction et après, je peux le dire, je fus son ami jusqu'à ce que les circonstances nous aient séparés.

    Il me raconta alors sa vie, elle n'était pas riche en incidents; l'événement le plus important c'est qu'il était très bien connu de l'empereur Alexandre, avait été même en correspondance avec lui, avait reçu quelque mission pour l'étranger et était en outre correspondant du comité scientifique de l'artillerie. En parlant du défunt empereur, il montra un grand attachement pour lui, prit son portrait qu'il portait sur lui et le baisa, ajoutant que c'était l'empereur lui-même qui le lui avait donné, parce qu'il ne voulait rien recevoir comme récompense de ses services.

    ôte m'enchantait — le temps passait vite, et il était près de huit heures lorsque le chien commença à aboyer. Un bruit fort se fit entendre derrière la porte fermée.

    Notre conversation s'arrêta. Le maître de la maison parut un peu troublé, mais en voyant entrer un beau jeune homme en uniforme, il me dit à voix basse que c'était son fils.

    à son père que c'était avec peine qu'il avait pu s'échapper de la cour, mettre d'autres habits et y retourner.

    était tellement préoccupé par les événements qu'il m'aper-Çut à peine, et sans s'informer comment le père avait passé cette journée, il se mit à parler chaleureusement de l'empereur, des troupes, de l'artillerie.

    — Comment donc tout cela s'est-il terminé? — demanda le pere, — moi je me suis éloigné de la place quand on a commencé à tirer.

    — On a dispersé ce tas de coquins; quelques officiers qui Paient avec eux ont été arrêtés. On présume que tout cela était tramé par les frères Bestoujeff; il y en a beaucoup qui ont pri.s été pris.

    Je serrai mes mains et mes dents.

    ère tressaillit, me jeta un regard et dit à son fils:

    — N'injurie pas, cher ami, si légèrement ces gens sans avoir pesé ce qu'ils ont fait. Tu les envisages du point de vue des courtisans, mais si tu avais été sur la place publique comme moi, tu parlerais autrement. — Ici le père ajouta quelques considérations très raisonnables sur le doute des soldats concernant l'abdication de Constantin.

    à contredire, il partit.

    — Vous voyez, — dit le père, — que vous n'êtes pas en sûreté même dans ma maison. Vous avez entendu les opinions de mon fils.

    — Moi-même j'ai l'intention de vous quitter, je veux vous remercier et prendre congé.

    — Non, attendez un peu, il n'est pas tard. Nous souperons ensemble, la ville se tranquillisera plus en attendant».

    écrit sur cinq petites feuilles et demie de papier grossier et d'une main très peu lisible[62]).

    écution, N. Bestoujeff et les autres officiers de la marine étaient expédiés à Kronstadt, pour être dégradés devant leurs compagnons d'armes. Us étaient escortés par des artilleurs de la marine. Un jeune sergent parla à Bestoujeff de l'affaire de Ryléïeff et lui récita quelques-uns de ses chants révolutionnaires, chants qui n'ont jamais été imprimés. «Les jeunes canonniers qui savent bien lire et écrire, ont tous des copies de ces vers et d'autres dans ce genre», disait le sergent.

    Ce sont ces poésies qui ont éduqué toute la génération, qui suivait dans l'ombre ces hommes héroïques.