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    Высоцкий (vysotskiy-lit.ru)
  • Du développement des idées révolutionnaires en Russie (О развитии революционных идей в России).
    III. Pierre ier ( III. Петр I )

    III. Pierre ier

    Le désir de sortir de la situation lourde dans laquelle se trouvait l'Etat s'accroissait de plus en plus, lorsque, vers la fin du XVIIe siècle, il parut sur le trône des tzars un révolutionnaire audacieux doué d'un génie vaste et d'une volonté inflexible.

    Pierre Ier ne fut ni un tzar oriental ni un dynaste, ce fut un despote, à l'instar du Comité de Salut public, despote en son propre nom et au nom d'une grande idée, qui lui assurait une supériorité incontestable sur tout ce qui l'entourait. Il s'arracha au mystère dont s'entourait la personne du tzar, et jeta avec dégoût loin de lui la défroque byzantine dont se paraient ses prédécesseurs. Pierre Ier ne pouvait se contenter du triste rôle d'un Dalaï-Lama chrétien, orné d'étoffes dorées et de pierres précieuses, qu'on montrait de loin au peuple, lorsqu'il se transportait avec gravité de son palais à la cathédrale de l'Assomption, et de la cathédrale de l'Assomption à son palais. Pierre Ier paraît devant son peuple en simple mortel. On le voit, ouvrier infatigable, depuis le matin jusqu'à la nuit, en simple redingote militaire, donner des ordres et enseigner la manière dont il faut les exécuter; il est maréchal ferrant et menuisier, ingénieur, architecte et pilote. On le voit partout sans suite, tout au plus avec un aide-de-camp, dominant la foule par sa taille. Pierre le Grand, comme nous l'avons dit, fut le premier individu émancipé en Russie, et, par cela même, révolutionnaire couronné. Il soupçonnait ne pas être le fils du tzar Alexis. Un soir il demanda naïvement, au souper, au comte Iagoujinski s'il n'éta pas son père? – «Je n'en sais rien, répondit Iagoujinski pressé par lui la défunte tzarine avait tant d'amantsi» Voilà pour la légitimité. Quant aux intérêts dynastiques, vous savez que Pierre se trouvant à Pruth, dans une position désespérée, écrivit au sénat de choisir pour son successeur le plus digne, croyant son fils incapable de lui succéder. Il le fit juger et exécuter ensuite dans la prison. Pierre Ier couronna impératrice une cabaretière femme d'un soldat suédois, devenue depuis la courtisane de son favori prince Ménchikoff, ci-devant garçon pâtissier. Les circonstances au milieu desquelles le métropolitain Théophane et le prince Ménchikoff proclamèrent la dernière volonté de Pierre Ier laissent beaucoup de doutes, mais le fait est que l'aventurière livonnienne qui parlait à peine le russe fut proclamée, à sa mort, impératrice – sans que personne songeât à contester ses droits.

    à peine son indifférence ou son mépris pour l'église grecque, qui devait nécessairement partager la disgrâce de l'ancien ordre des choses. Il défendit de créer de nouvelles reliques et interdit les miracles. Il remplaça le patriarche par un synode à la nomination du gouvernement, et il y plaça comme procureur de la couronne un officier de cavalerie. Le patriarche n'avait jamais eu des droits souverains et une position entièrement indépendante du tzar, mais il imprimait une certaine unité à l'église. Ce fut pour cela que Pierre Ier abattit son trône qui, habituellement, était placé à côté de celui des tzars. Pourtant Pierre Ier ne fut rien moins que le chef de l'église, son pouvoir était tout à fait temporel. Ce fut même là le caractère distinctif qu'il imprima à l'impérialisme de Pétersbourg; son but, ses moyens étaient pratiques, mondains, laïques, il ne sortait pas de l'actualité, et, après avoir neutralisé l'action de l'église, il ne songea Plus ni à l'église ni à la religion. Il avait d'autres fantaisies, il rêvait une Russie colossale, un Etat gigantesque qui pût étendre ses branches jusqu'au fond de l'Asie, être maître de Constantinople et du sort de l'Europe.

    énéral, l'Europe a une idée exagérée de la puissance pirituelle des empereurs russes. Cette erreur a sa source, non ans l'histoire russe, mais dans les chroniques du Bas-Empire.

    L’eglise grecque avait toujours eu une soumission passive à l'Etat et faisait tout ce que le pouvoir voulait, mais le pouvoir, de son côté, ne se mêlait jamais directement des intérêts de la religion ou du clergé. L'église russe avait sa propre juridiction basée sur le Nomocanon grec. Croit-on qu'il suffisait de se proclamer chef de l'église, à la place de son chef naturel, pour acquérir un véritable pouvoir religieux? S'il se fût agi des tzars de Moscou, d'un Ivan IV par exemple, qui avait en lui quelque chose de Constantin Copronime et de Henri VIII et s'occupait de l'exégèse quand il n'avait personne à tuer, cette supposition aurait été encore admissible, mais les successeurs de Pierre le Grand, au nombre desquels il y eut quatre femmes, dont une seule fut russe, rendent cette opinion insoutenable. L'idée de se faire chefs de l'église fut loin le leur pensée, pendant un siècle entier. L'honneur de l'avoir exhumée appartient à Paul Ier. Jaloux peut-être de Robespierre, il se fit faire, pour son couronnement, un habit moitié de soldat et moitié de prêtre, parla de sa suprématie spirituelle et voulut même officier dans la cathédrale de Kazan; on le détourna cependant de ce ridicule. On sait que ce même Paul Ier, schismatique et marié, obtint le titre de grand-maître de l'ordre de Malte, et l'on n'ignore guère qu'en tous points ce fut un demi-fou.

    Pour rompre complètement avec l'ancienne Russie, Pierre Ier abandonna Moscou et le titre oriental de tzar, pour habiter un port de la Baltique où il prit le titre d'empereur. La période de Pétersbourg qui s'ouvrit ainsi ne fut pas la continuation de la monarchie historique, ce fut le commencement d'un despotisme jeune, actif, sans frein, prêt aux grandes choses comme aux grands crimes.

    ée qui reliât la période de Pétersbourg à celle de Moscou, – la pensée d'agrandissement de l'Etat. Tout lui fut sacrifié, la dignité des souverains, le sang des sujets, la justice envers les voisins, le bien-être du pays entier… A part cette ressemblance, Pierre le Grand fut une protestation continuelle contre la vieille Russie. Nous l'avons vu, dans les questions dynastiques et religieuses, agissant en homme émancipé; il se trouvait, par son genre de vie, dans une contradiction plus complète encore avec les mœurs du pays. Ami des plaisirs bruyants, il les étalait au grand jour. Que de fois Pétersbourg vit, dès l'aube du jour, son empereur sortant d'un repas copieux, sous l'influence du vin de Hongrie et de l'anisette, prendre un tambour et battre le rappel, au milieu de ses ministres plus ou moins chancelants sur leurs jambes. D'autres fois, on le voyait courir dans les rues avec des masques, costumé lui-même. Les vieux boyards, avec leur air grave et solennel, qui couvrait un abîme d'ignorance et de vanité, regardaient avec horreur les fêtes que le tzar donnait aux marins anglais ou hollandais où Sa Majesté orthodoxe se livrait sans frein à ses goûts d'orgie. Une pipe de terre cuite à la bouche, une cruche de bière à la main, il donnait le ton à ses convives et ne leur cédait pas en jurons. L'indignation des boyards fut à son comble, lorsqu'il ordonna à leurs femmes et à leurs filles, enfermées comme dans l'Orient, de prendre part à ces mêmes fêtes. Le révolutionnaire perçait dans Pierre Ier partout sous la pourpre impériale. Tandis qu'un siècle après, Napoléon couvrait chaque année de quelque. nouveau lambeau royal son origine bourgeoise, Pierre Ier se débarrassait chaque jour de quelque lambeau du tzarisme pour rester lui-même, avec sa grande pensée appuyée sur une volonté inflexible, sur la cruauté d'un terroriste.

    La révolution opérée par Pierre Ier divisa la Russie en deux parties: d'un côté restèrent les paysans des communes libres et seigneuriales, les paysans des villes et les petits bourgeois; c'était la vieille Russie, la Russie conservative, traditionnelle, communale, strictement orthodoxe ou bien schismatique, toujours religieuse, portant le costume national et n'ayant rien accepté de la civilisation européenne. Cette partie de la nation, comme cela arrive dans les révolutions victorieuses, était regardée par le gouvernement comme malcontente, presque comme insurgée. Elle était en disgrâce, suspendue, mise hors la loi et livrée a la merci de l'autre partie de la nation. La nouvelle Russie se composait do la noblesse formée par Pierre le Grand, de tous les lescendants des boyards, de tous les employés civils, et enfin, de l’armée. La précipitation avec laquelle ces différentes classes se dépouillèrent de leurs mœurs fut surprenante. Elles abdiquèrent leur passé sans aucune opposition; les strélitz seuls tenaient de résister. C'est là une preuve de la mobilité du caractèer et, en même temps, de l'extrême opportunité de la révolution de Pierre le Grand. On était enchanté de quitter les formes lourdes et accablantes du régime moscovite. D'où venait donc la recalcitrance du paysan russe? Les paysans forment la partie la moins progressiste de toutes les nations; en outre, les paysans russes des communes restaient hors du mouvement et des atteintes du gouvernement. La centralisation politique n'était pas soutenue par une centralisation administrative. Les mesures prises pour entraver la migration des paysans n'intéressaient que ceux d'entre eux qui étaient établis sur les terres seigneuriales, ou plutôt la minorité remuante qui se déplaçait. La réforme de Pierre se présenta à eux non seulement comme un attentat à leurs traditions et à leur manière de vivre, mais encore comme une immixtion de l'Etat dans leurs affaires, comme une tracasserie bureaucratique, comme une aggravation vague et indéfinie de leur servitude. Ils se résignèrent dès lors à cette opposition tacite et passive qui continue de nos jours, et qui est complètement justifiée par les mesures prises contre le peuple par Pierre Ier et ses successeurs. Le village est resté en dehors de la réforme; il est impossible d'être paysan russe lorsqu'on abandonne les anciennes mœurs; le paysan peut s'affranchir de la commune, devenir domestique ou employé du gouvernement, ou même noble, mais il doit dans tous ces cas et avant tout quitter la commune.[4] être que paysan, et, comme tel, il doit porter la barbe et le costume national. Cela n'est réglé par aucune loi, l'usage seul le veut ainsi et ne le rend que plus vivace. De cette façon, les paysans restent purs de toute participation au gouvernement, ils sont gouvernés, mais ils n'ont rien sanctionné par leur adhésion. Ils voient de mauvais œil notre genre de vie, persistent dans leurs usages et sont en même temps plus religieux que nous par opposition à notre indifférence, et sectaires, par opposition à l'église officielle qui pactise avec la civilisation allemande.

    C'est sous ce point de vue qu'on peut apprécier toute l'importance des ordres de Pierre Ier prescrivant de raser la barbe et de se vêtir à l'allemande. La barbe et le costume forment une distinction tranchée entre la Russie humiliée sous un triple joug et sauvegardant sa nationalité, et la Russie qui a accepté la civilisation européenne avec le despotisme impérial. Entre l'homme a la barbe qui porte la chemise par-dessus la culotte, qui n'a rien de commun avec le gouvernement, et l'homme rasé, habillé à l'allemande, qui est étranger à la commune, il n'y avait qu’un seul lien vivant, – le soldat. Le gouvernement s'en aperçut et, craignant que le soldat ne redevînt paysan, il eut recours à des mesures terribles: il fixa un terme monstrueux au service – 22 ans au commencement de ce siècle, et 15 à 17 ans de nos jours. Sous prétexte d'élever les enfants de troupe, il créa une véritable caste de kchatrias indiens en les enchaînant à l'état militaire, et, comme si ce n'était pas assez, il obligea les vétérans, sous l'intimidation de graves peines, de raser la barbe et de ne jamais porter le costume national. Le peuple russe resta ainsi isolé et hors de tout mouvement, dans une expectative douloureuse; s'il ne périt pas, ce fut grâce à son naturel et à la commune, mais il n'a rion gagné non plus. Aucune idée politique n'a pénétré jusqu'à lui, mais il y a des intérêts qui ne manqueront pas d'agiter la commune russe.

    émancipation des serfs n'est pas comprise en Europe. On pense généralement qu'il ne s'agit que de la liberté individuelle, qui est d'une importance nulle sous le despotisme de Pétersbourg, tandis qu'il s'agit d'affranchir les paysans avec la terre. Ce problème occupe le gouvernement qui ne fera rien, la noblesse qui n'osera rien faire, et le peuple qui est fatigué, qui murmure et qui peut-être fera quelque chose.

    En attendant, tout le mouvement intellectuel et politique s'est borné à la noblesse. L'histoire de la Russie, depuis la réforme de Pierre le Grand, à l'exception de l'épisode de Pouga-tcheff et le réveil du peuple en 1812, n'est que l'histoire du gouvernement russe et de la noblesse russe. Si l'on se faisait une idée de la noblesse russe à l'analogie de l'aristocratie omnipotente de 1 Angleterre ou de l'aristocratie mesquine de l'Allemagne, on n'arriverait jamais à s'expliquer ce qui se passe aujourd'hui en Russie. H ne faut pas perdre de vue que la noblesse organisée par Pierre Ier n'est pas une caste close; au contraire, elle absorbe incessamment tout ce qui sort du sol démocratique, et se renouvelle par sa base. Le soldat, en obtenant le rang d'officier, devient noble héréditaire; un clerc, un scribe qui a été employé pendant quelques années par l'état, devient noble personnel; s'il obtient un grade plus élevé, il acquiert la noblesse héréditaire. Le fils, d'un paysan, affranchi de la commune ou du seigneur, après avoir achevé ses études dans un collège, est anobli. Un individu décoré, un artiste admis à l'Académie, deviennent nobles. Il faut donc comprendre sous le nom de noblesse en Russie quiconque ne fait pas partie de la commune rurale ou municipale et qui est fonctionnaire public. Les droits et privilèges sont exactement les mêmes pour les descendants des princes médiatisés et des boyards, que pour les fils d'un employé subalterne investi de la noblesse héréditaire.

    La noblesse russe est un état qui pèse sur un autre état, qui a été vaincu sans avoir combattu.

    é quelconque dans une classe qui renferme, à partir des soldats, des clercs et des fils de prêtres jusqu'à des propriétaires de centaines de mille paysans. Mais passons aux temps qui suivirent le règne de Pierre Ier. L'anarchie gouvernementale la plus complète éclata après sa mort, et pendant vingt années le nouvel ordre des choses chancelait sur sa base, la main de fer de Pierre Ier une fois disparue; la tradition populaire était rompue, il n'y avait pas de foi dynastique. Le peuple,qui se soulevait pour le fils prétendu de Jean IV, ne connaissait même pas de nom tous ces Romanoff de Braunschweig-Wolfenbüttel et de Holstein-Gottorp qui glissaient comme des ombres sur les marches du trône et disparaissaient dans les neiges de l'exil, au fond des cachots ou dans le sang…

    érêt général, se servait des soldats de la garde impériale pour perpétuer ces révolutions de sérail. Les soldats, de leur côté, ne connaissaient d'autre morale que l'obéissance à celui qui avait la force en main, et cela seulement autant qu'il la conservait. L'idole une fois tombée, était immédiatement abandonnée de tout le monde. Le progrès qu'a fait la corruption politique de ce temps surpasse tout ce qu'on peut imaginer. Le trône impérial ressemblait au lit de Cléopâtre, un tas de grands seigneurs et une poignée de janissaires conduisaient en triomphe un prince étranger, une femme, un enfant, un parent éloigné de quelque parent de Pierre Ier; et relevaient au trône, l'adoraient et distribuaient des coups de knout à ceux qui trouvaient à y redire. Mais à peine l'élu avait-il eu le temps de s'enivrer de toutes les jouissances d'un pouvoir exorbitant, que la vague suivante de dignitaires et de prétoriens l'entraînait avec tout son entourage dans l'abîme Les ministres et les généraux du jour allaient le lendemain, charges de fers, sur la place d'exécution, ou étaient traînés en Sibérie. Ces revers s'opéraient si vite que le maréchal Munikh qui avait exilé Biron le rejoignit, banni à son tour, au passage de la Volga, où Biron avait été retenu quelques jours par le débordement du fleuve. Dans cette bufera infernale qui emportait les personnes avec une telle vitesse qu'on n'avait seulement pas le temps de s'habituer à leurs traits, pour comble d'ironie, nous ne voyons se maintenir qu'un seul individu, ce fut le chef de la chancellerie secrète, Bestoujeff; cet honorable dignitaire a conservé son poste, nonobstant toutes les révolutions, et de cette manière, il a eu l'occasion de questionner, de torturer et d'exécuter tous ses amis, tous ses bienfaiteurs et tous ses ennemis.

    Peut-on croire après cela que le peuple ait vu dans ses chefs temporels des chefs de l'église orthodoxe?

    Outre les intrigues politiques, il ne faut pas oublier que le ton licencieux, que Pierre Ier avait introduit et qui lui allait si bien, passa à la cour impériale et se changea bientôt en dévergondage crapuleux et en débauche brutale. Elisabeth, la fille de Pierre Ier, étant encore grande-duchesse, passait des nuits en orgie avec les grenadiers de la garde et se promenait avec eux au Jardin d'été. Elle contracta, dans ce commerce, l'habitude des boissons fortes au point que, devenue impératrice, elle se grisait tous les jours. Les affaires les plus importantes s'arrêtaient, les ambassadeurs ne pouvaient obtenir d'audience pendant des semaines entières où elle n'avait pas de moment lucide, impératrice Anne vivait maritalement avec son ci-devant ecuyer Biron qu'elle avait fait duc de Courlande. La régente Anne ue Braunschweig couchait l'été avec son amant sur un balcon éclairé du palais…

    Au milieu de cette épopée scandaleuse d'avènements et de utes du trône, de cette orgie d'un despotisme féroce, aux pris avec une oligarchie servile qui disposait de la couronne, comme es eunuques du Bas-Empire, il y eut une seule lueur politique, ce fut lorsqu'on dicta les conditions à l'acceptation de la couronne à l'impératrice Anne. Anne prêta serment, consentit à tout, mais de suite, soutenue par le parti allemand qui avait Biron pour chef, elle déchira la charte et fit périr tous ceux qui avaient voulu limiter le pouvoir de la couronne. Il y avait une ancienne animosité entre les Allemands et leurs adhérents d'une part, et les dignitaires russes qui entouraient le trône de l'autre. La haine des Allemands facilita à Elisabeth l'avènement au trône. Cette femme incapable et cruelle se rendit populaire en flattant le parti national.

    ésentait pas la civilisation ni le parti russe l'ignorance. Le dernier ne voulait pas sérieusement le retour à l'ancien ordre des choses. Les essais du prince Dolgorouki, du temps de Pierre II, n'ont abouti à rien du tout. Les Allemands, de leur côté, étaient loin de représenter le progrès; sans aucun lien avec le pays qu'ils ne se donnaient pas la peine d'étudier et qu'ils méprisaient comme barbare, arrogants jusqu'à l'insolence, ils étaient les instruments les plus serviles de l'autorité impériale. N'ayant d'autre but que de se maintenir en faveur, ils servaient la personne du souverain et non la nation. En outre ils apportaient aux affaires des manières antipathiques aux Russes, un pédantisme de bureaucratie, d'étiquette et de discipline tout à fait contraire à nos mœurs.

    é des Slaves et des Germains est un fait triste, mais connu. Chaque conflit entre eux révélait la profondeur de leur haine. La domination allemande a contribué beaucoup, par sa nature, à étendre cette haine chez les Slaves occidentaux et les Polonais. Les Russes n'ont jamais eu à subir leur oppression. Si leurs possessions du littoral de la Baltique ont été conquises par les chevaliers de l'ordre teutonique, elles étaient habitées par des populations finnoises et non russes. Mais bien qu'entre tous les Slaves, les Russes soient ceux qui haïssent le moins les Allemands, le sentiment de répugnance naturelle qui existe entre eux ne peut s'effacer. Cette répugnance a pour fondement une incompatibilité d'humeur qui se montre aux moindres choses.

    La préférence que le gouvernement donnait aux Allemands, apres Pierre le Grand, n'était pas de nature à les réconcilier avec les Russes. Encore si ce n'eussent été que des Munikh et des Ostermann qui fussent venus en Russie, mais il y eut toute une nuée d'originaires des trente-six ou je ne sais combien de principautés aui forment l'Allemagne une et indivisible, qui s'abattirent sur les bords de la Neva.

    Le gouvernement russe n'a pas, jusqu'à présent, de serviteurs plus dévoués que les gentilshommes de Livonie, d'Esthonie et de Courlande. «Nous n'aimons pas les Russes, nous disait un jour une notabilité de la Baltique, à Riga, mais de tout l'empire nous sommes les sujets les plus fidèles de la famille impériale». Le gouvernement n'ignore pas ce dévoûment, et encombre d'Allemands les ministères et les administiations centrales. Ce n'est ni faveur ni injustice. Le gouvernement russe trouve dans les officiers et les fonctionnaires allemands juste ce qu'il lui faut; la régularité et l'impassibilité d'une machine, la discrétion des sourds et muets, un stoïcisme d'obéissance à toute épreuve, une assiduité au travail qui ne connaît pas la fatigue. Ajoutez à cela une certaine probité (que les Russes ont très rarement) et juste tant d'instruction qu'exigent leurs emplois, jamais assez pour comprendre qu'il n'y a point de mérite à être les instruments honnêtes et incorruptibles du despotisme; ajoutezy l'indittérence complète pour le sort des administrés, le mépris le plus profond pour le peuple, une complète ignorance du caractère national, et vous comprendrez pourquoi le peuple déteste les Allemands et pourquoi le gouvernement les aime tant.

    ères et des chancelleries aux ateliers, nous rencontrons le même antagonisme. L'ouvrier russe, chez un maître russe, est presque un membre de la famille; ils ont les mêmes habitudes, les mêmes idées morales et religieuses; ils mangent ordinairement à la même table et s'entendent fort bien entre eux. Il arrive quelquefois au maître de frapper l'ouvrier qui reçoit les coups avec trop de résignation chrétienne, parfois l'ouvrier riposte, mais ni l'un ni l'autre ne va se plaindre a la police. Le dimanche est fêté de la même manière par le maître 'lue par l'ouvrier, tous les deux rentrent avinés chez eux. Le endemain, le maître comprenant que l'ouvrier ne peut être assidu au travail, lui laisse perdre quelques heures, car il sait, qu'en cas de besoin, il travaillerait pour lui une partie de la nuit. Très souvent le maître avance de l'argent à l'ouvrier, comme d'autre part l'ouvrier attend des mois entiers le paiement du salaire, lorsqu'il voit que son maître est gêné. Le maître allemand n'est pas l'égal de l'ouvrier russe, il se croit son chet plus que son maître; méthodique par caractère et conservant les usages de son pays, l'Allemand translorme les rapports élastiques et vagues de l'ouvrier russe avec son maître en rapports juridiques sévèrement déterminés, du sens desquels il ne s'écarte jamais d'une syllabe. Une exigence perpétuelle, une rigueur étudiée, un despotisme froid oliensent l'ouvrier d'autant plus que le maître ne descend jamais jusqu'à lui. Les mœurs paisibles même de l'Allemand, la préléreuce qu'il donne à la bière sur l'eau-de-vie ne font qu'ajouter au dégoût qu'il inspire à l'ouvrier russe. Ce dernier a beaucoup plus de dextérité que de diligence, de capacité que desavoir. 11 peut beaucoup taire en une lois, mais il n'a pas d'assiduité au travail et il ne peut se faire à la discipline uniforme et méthodique de l'Allemand. Le maître allemand ne souffre pas que l'ouvrier vienne une heure plus tard, ou qu'il le quitte une heure plus tôt. La migraine des lundis, le bain du samedi ne sont pas des excuses à ses yeux. 11 note chaque absence pour la déduire du salaire, avec la plus grande justice, peut-être, mais l'ouvrier russe voit en lui un exploiteur monstrueux, de là des discussions et des querelles sans lin. Le maître irrité court à la police ou chez le seigneur de l'ouvrier, s'il et serf, et annelle sur sa tête tous les malheurs que son état compsrte. Le maître russe, sans motifs extraordinaires, n'ira ni choez le kvartalny (commissaire de police) ni chez le seigneur; la police et la noblesse sont les ennemis communs du maître à barbe et de l'ouvrier non rasé.

    à notre récit.

    L'impératrice Elisabeth fit venir de Holstein son successeur et le maria à une princesse d'Anhalt-Zorbst. On trouva le bon et simple Pierre III trop allemand. Sa femme, encore moins russe que lui, le détrôna, le mit en prison et l'y fit empoisonner. Le comte Orlolf, s'ennuyant d'attendre l'effet du poison l'étrangla.

    Le long règne de Catherine II procura une grande stabilité au gouvernement de Pétersbourg. Ce fut la continuation du règne do Pierre Ier, après une interruption de trente-cinq ans. Catherine apporta avec elle au palais impérial un élément de grâce, d'urbanité et de bon goût qui n'existait point avant elle et qui exerça une influence salutaire sur les régions élevées de la société.

    à elle c'était la noblesse et elle comprenait merveilleusement bien son terrain. Elle releva la noblesse, en lui conliant l'élection de presque toutes les charges judiciaires et administratives dans les provinces, où elle l'organisa en corps et réunions discutant leurs intérêts, contrôlant l'emploi des fonds destinés aux besoins des localités.

    Elle dota de même la bourgeoisie et les paysans de droits électits, qui sont pourtant plus importants comme principe qu'en réalité. Ces concessions pâlissent toutefois à côté du crime qu'elle a commis envers les paysans, en consacrant par une stupide dilapidation la servitude; elle distribuait à ses favoris et à ses amants des terres habitées d'une étendue immense. Non seulement elle dépouilla les couvents au profit de ses grands, mais elle leur distribua les paysans de la Petite Russie où l'on ne connaissait pas encore le servage. On conçoit qu'étant philosophe comme Frédéric II et Joseph II, elle put prendre part au partage criminel de la Pologne. La raison d'Etat, le désir d'augmenter ses possessions territoriales expliquent ce fait s'ils ne peuvent l'excuser; mais aliéner à l'Etat des terres habitées, rendre serfs des cultivateurs libres sans même penser a imposer des conditions aux nouveaux propriétaires, c'est de la démence.

    être l'impératrice Catherine se rappelait-elle l'enthousiasme larouche avec lequel les paysans de quatre provinces avaient couru au-devant de Pougatcheff qui pendait tous les nobles qu’il prenait; peut-être aussi avait-elle trop présente à la mémoire cette scène qui s'était également passée sous son règne, où e peuple de Moscou, après avoir tué un archevêque derrière l’autel, avait traîné dans les rues son cadavre revêtu des insignes pontificaux. D'un autre côté, elle voyait la noblesse si reconnaissante, si fière de son dévoûment, qu'elle se vit entraînée à épouser sa cause.

    Chose étrange, de tous les souverains de la maison Romanoff, aucun n'a rien fait pour le peuple. Le peuple ne se souvient d'eux que par le nombre de ses malheurs, par l'accroissement du servage, du recrutement, des charges de toute espèce, par les colonies militaires, par toutes les horreurs de l'administration policière, par une guerre aussi sanglante qu'insensée qui dure vingt-cinq ans dans des montagnes inexpugnables.

    épandit avec une grande célérité dans les couches supérieures de la noblesse, elle était tout exotique et n'avait de national qu'une certaine rudesse qui se mêlait étrangement aux formes de la politesse française. A la cour, on ne parlait que le français, on imitait Versailles. L'impératrice donnait le ton, elle correspondait avec Voltaire, passait des soirées avec Diderot et commentait Montesquieu: les idées des encyclopédistes s'infiltraient dans la société de Pétersbourg. Presque tous les vieillards de ces temps que nous avons connus étaient voltairiens ou matérialistes, s'ils n'étaient pas francs-maçons. Cette philosophie s'inoculait avec d'autant plus de facilité aux Russes, que leur esprit est à la fois réaliste et ironique. Le terrain que la civilisation gagnait en Russie était perdu pour l'église. L'orthodoxie grecque n'a de force sur l'âme slave que tant qu'elle y trouve de l'ignorance. La foi y pâlit à mesure que la lumière y pénètre, et le fétichisme extérieur fait place à l'indifférence la plus complète. Le bon sens, l'esprit pratique du Russe repousse la coexistence de la pensée lucide avec le mysticisme. Il peut rester longtemps pieux jusqu'à la bigoterie, sans jamais penser à la religion, mais à cette condition seulement; il lui est impossible de devenir rationaliste; pour lui l'émancipation de l'ignorance coïncide avec l'émancipation de la religion. Les tendances mystiques que nous rencontrons chez les francs-maçons n'étaient en réalité qu'un moyen de neutraliser les progrès d'un épicurisme brutal qui se répandait avec rapidité. Quant au mysticisme du temps de l'empereur Alexandre, ce fut un produit de la franc-maçonnerie et de l'influence allemande, sans base réelle, une affaire de mode chez les uns, d'exaltation d'esprit chez les autres II n'en fut plus question après 1825. La discipline religieuse relevée par la police de l'empereur Nicolas ne parle pas en faveur de la piété des classes civilisées.

    L'influence de la philosophie du XVIIIe siècle eut un effet pu partie pernicieux à Pétersbourg. En France, les encyclopédistes émancipant l'homme des vieux préjugés, lui inspiraient des instincts moraux plus élevés, le faisaient révolutionnaire. Chez nous, en brisant les derniers liens qui retenaient une nature demi-sauvage, la philosophie voltairienne ne mettait rien à la place des vieilles croyances, des devoirs moraux, traditionnels. Elle armait le Russe de tous les instruments de la dialectique et de l'ironie propres à le disculper à ses yeux de son état d'esclave par rapport au souverain, et de son état de souverain par rapport à l'esclave. Les néophytes de la civilisation se jetèrent avec avidité dans les plaisirs du sensualisme. Ils comprirent très bien l'appel à l’épicurisme, mais le son du tocsin solennel qui appela les hommes à une grande résurrection n'allait pas à leur âme.

    Entre la noblesse et le peuple, il y avait une tourbe d'employés personnellement anoblis, classe corrompue et dénuée de toute dignité humaine… Voleurs, tyrans, dénonciateurs, ivrognes et joueurs, ce furent et ce sont encore les hommes les plus rampants de l'empire. Cette classe a été le produit de la réforme brusque de la juridiction du temps de Pierre Ier.

    ès oral fut alors aboli et remplacé par le procès inquisitorial. Des formalités minutieuses introduites à l'instar des chancelleries allemandes, compliquèrent la procédure et fournirent des armes terribles à la chicane. Les tchinovniks, complètement libres des préjugés, torturaient les lois à leur guise et avec un art infini. Ce sont les plus forts rabulistes du monde; ils n'ont jamais autre chose en vue que leur responsabilité personnelle; lorsqu'ils la croient à couvert, ces gens osent tout, et le paysan, comme le tchinovnik, n'a aucune foi dans les lois. Le premier les respecte par crainte, le second y voit une mère nourricière. La sainteté des lois, les droits imprescriptibles, les notions d'une justice immuable, sont des termes qui n'existent pas dans leur langue. Et toute la force impériale ne suffit pas pour arrêter, pour paralyser l'action maltaisante de ces vipères d'encre, deces ennemis embusqués qui guettent le paysan pour l'entraîner dans des procès ruineux.

    ès nous être formé ainsi une idée approximative de la société néo-européenne du siècle de Catherine II, jetons un coup d'oau sur les débuts littéraires de l'Etat nouvellement formé.

    L'église byzantine avait horreur de toute culture mondaine. Elle ne connaissait d'autre science que la controverse théologique; elle inventa une peinture conventionnelle, faisant de l'opposition à la beauté charnelle de l'antiquité (ikonopis). Elle abhorrait tout mouvement indépendant de l'intelligence, elle ne voulait qu'une foi soumise. Il n'y avait pas de prédicateur en Russie. Le seul évêque qui soit connu dans les anciens temps pour ses sermons, fut persécuté à cause de ses sermons. Pour savoir ce que c'est que l'éducation que l'église orientale donnait à son iidèle troupeau, il suffit de connaître les peuplades chrétiennes de l'Asie Mineure, et ce fut là l'église qui présida à la civilisation de la Russie depuis le Xe siècle. Les guerres continuelles des princes apanages et le joug mongol lui furent d'un immense secours.

    L'église gréco-russe retint une langue à part formée de divers dialectes des Slaves du sud; la langue vulgaire n'était pas encore élaborée. Les chroniques, les actes diplomatiques et civils se rédigeaient dans un idiome qui tenait le milieu entre la langue ecclésiastique et la langue populaire et se rapprochait plus de l'une ou de l'autre suivant la position sociale de l'auteur. Il n'y eut aucun mouvement littéraire jusqu'au XVIIIe siècle. Quelques chroniques, un poème du XVIIe siècle (campagne d'Igor), un assez grand nombre de contes et de chants populaires pour la plupart oraux, voilà tout ce qu'ont produit dix siècles dans le domaine littéraire.

    Sans égard à cette pénurie, il est important de remarquer que la langue de la Bible, comme celle des annales de Nestor et du poème mentionné est non seulement d'une grande beauté, mais qu'elle porte des traces évidentes d'un long usage et d'un développement antérieur de beaucoup de siècles.

    éthode réglèrent la langue, fixèrent un alphabet, calquèrent les tonnes grammaticales d'après les règles grecques, mais ils trouvèrent une langue riche et élaborée probablement par les Slaves qui habitaient la Macédoine et la Thessalie. faut connaître les dillicultés que trouvent les Anglais en traduisant l'Evangile dans les langues sauvages par exemple dans celle des Cafres, les mots leur manquent les images, les notions, les expressions, tout doit être rendu par des périphrases approximatives. Tandis que la traduction slave égale en concision, en beauté mâle et en fidélité celle de Luther.

    Tous les éléments poétiques qui fermentaient dans l'âme du peuple russe s'exhalaient dans des chants extrêmement mélodieux. Les peuples slaves sont par excellence des peuples chanteurs. Los chroniqueurs du Bas-Empire racontent que dans une invasion des Slaves, les Grecs les ont surpris, car les sentinelles qui chantaient toujours s'endormirent peu à peu elles-mêmes par leurs chants. Le paysan russe trouvait dans ses chants l'unique épanchement à ses souttrances. Il chante continuellement, en travaillant, en conduisant ses chevaux ou en se reposant au seuil de sa porte. Ce qui distingue ces chansons de celles des autres Slaves et même des Malo-Russes, c'est une tristesse profonde. Les paroles ne sont qu'une complainte qui se perd dans les plaines sans limites comme son malheur, dans les bois lugubres de sapin, dans les steppes infinies, sans rencontrer d'écho ami. Cette tristesse n'est pas un élan passionné vers quelque chose d'idéal, elle n'a rien de romantique, rien de ces aspirations maladives et monacales[5]écrasé par la fatalité, c'est un reproche à la destinée «destinée-marâtre sort amer»; c'est un désir comprimé qui n'ose pas se mauitester autrement, c'est le chant d'une lemme opprimée par son mari, du mari opprimé par son père, par l'ancien du village, de tous enfin opprimés par le seigneur ou le tzar; c'est l'amour protond, passionné, malheureux mais terrestre et réel[6]. Au milieu de ces chants mélancoliques vous entendez tout à coup les sons d'une orgie, d'une gaîté sans frein; des cris passionnés et fous, des mots dénués, de sens, mais enivrants, entraînants a une danse effrénée qui est tout autre chose que la danse dramatique et gracieuse en chœurs,

    é par la commune, perdu dans la famille ou libre au milieu des forêts, le coutelas à la ceinture. Dans les deux cas, le chant exprimait la même plainte, les mêmes déceptions: c'était une voix sourde qui disait que les forces innées ne trouvaient pas assez d'essor, qu'elles étaient mal à l'aise dans la vie resserrée par l'ordre social.

    égorie entière de chants russes, les chants des brigands. Ce ne sont plus des élégies plaintives: c'est le cri téméraire, c'est l'excès de joie d'un homme qui se sent enfin libre, cri de menace, de colère et de défi. «Nous viendrons boire votre vin, patience; nous viendrons caresser vos femmes, piller vos richards»… «Je ne veux plus travailler dans les champs; qu'aije gagné en labourant la terre? Je suis pauvre et méprisé; non, je prendrai pour compagnon la nuit sombre, un couteau affilé, je trouverai des amis dans les bois touffus, je tuerai le seigneur et je pillerai le marchand sur la grande route. Au moins tout le monde me respectera; et le jeune voyageur passant sur mon chemin et le vieillard assis devant sa maison me salueront».

    Le couvent, la Cosaquerie, les bandes de brigands étaient les seuls moyens de se rendre libre en Russie. Le peuple appelait poliment les brigands polissons (chalouny) ou licencieux (volnitza). Dans les temps anciens, la seule ville de Novgorod fournissait des bandes armées qui descendaient la Volga et l'Oka jusqu'aux bords de la Kama, «allant à l'aventure chercher le bonheur». Des Cosaques brigands persécutés par Jean IV, firent, pour se réhabiliter, la conquête de la Sibérie, sous les ordres de Iermak. Le vagabondage et le brigandage s'accrurent d'une manière prodigieuse pendant l'interrègne et au commencement du XVIIe siècle. La mémoire de Stenka Rasine s'est conservée chez le peuple dans une quantité de chansons composées en son honneur. La tradition de ces brigandages ne discontinua pas jusqu'à Pougatcheff, et il est probable qu'ils n'ont acquis une si grande proportion que grâce à une lutte sourde engagée par les paysans protestant contre leur asservissement. Il est notoire que, dans les chansons, le beau rôle revient au brigand, les sympathies sont pour lui et non pour ses victimes; c'est avec une joie secrète qu'on vante ses prouesses et sa bravoure. Le chansonnier populaire paraissait comprendre que son plus grand ennemi n'était pas le brigand.

    Un mouvement intellectuel d'un autre genre, mais non moins important, fut le mouvement des idées religieuses chez les sectaires. Ce que l'orthodoxes grecque n'a jamais su faire, intéresser l'homme du peuple, développer en lui une foi active, un intérêt véritable, les sectaires curent l'accomplir. Chez eux, point d'indifférentisme; la commune y est plus développée que chez les paysans orthodoxes, l'esprit de corps est on ne peut plus vivace; il y a des sectes dont la dogmatique est absurde, mais la conduite pleine d'énergie et honnêteté. Il y en a d'autres très répandues même, qui professent les doctrines communistes les plus avancées, entremêlées d'un christianisme mystique dans le genre des herrenhuts et même des anabaptistes. Persécutés par le gouvernement, des milliers de sectaires se sont expatriés en Livonie, en Turquie, où il y a des bourgs entiers habités par leur descendants. Les sectaires en général sont les ennemis les plus acharnés de la réforme de Pierre Ier. Pour eux Pierre et ses successeurs sont des antéchrists. Par contre, le gouvernement y voit des rebelles et les poursuit comme tels. Les sectaires tiennent bon, leur propagande s'accroît à mesure qu'augmente la persécution, ils ont des affidés sur tous les points de l'empire, une publicité clandestine. Il serait possible que d'un des Skites[7] é schismatique) sortît un mouvement populaire qui embrasât des provinces entières, dont le caractère serait certainement national et communiste et qui irait à la rencontre d'un autre mouvement dont la source est dans les idées révolutionnai-,res de l'Europe. Peut-être ces deux mouvements s'entre-choque-ront-ils sans comprendre leur affinité, au grand plaisir du tzar et de ses amis.

    La littérature russe européisée ne commence à obtenir une certaine signification que du temps de Catherine II. Avant son regne, on voit un travail préparatoire; la langue se forme aux nouvelles conditions de l'existence, elle fourmille de mots allemands et latins; l'esprit d'imitation s'empare de tout, au point qu'on essaie d'introduire dans notre langue métrique et sonore la versification syllabique. Revenue de ces exagérations, la langue commença à s'assimiler les flots de mots étrangers, à devenir plus naturelle et plus conforme au génie de la nation. Le premier Russe qui mania avec talent la langue ainsi faite fut Lomonossoff. Ce savant célèbre fut le type du Russe par son encyclopédisme, autant que par la facilité de son entendement. Il écrivit en russe, en allemand et en latin. Il était mineur, chimiste, poète, philologue, physicien, astronome et historien. Il composait en même temps une dissertation météorologique sur l'électricité, et une autre sur l'arrivée des Varègues en Russie, en réponse à l'historiographe Muller, ce qui ne l'empêchait pas de terminer ses odes triomphales et ses poèmes didactiques. Toujours lucide, plein du désir inquiet de tout comprendre, il jetait un sujet pour s'emparer d'un autre avec une facilité de conception étonnante.

    çait à s'épanouir sous l'égide pro tectrice du gouvernement restait encore sur les marches du trône, avec son admiration pour Pierre le Grand et avec son adulation sincère pour tout souverain. Le gouvernement continuait à marcher à la tête de la civilisation. Cette affinité de la littérature avec le gouvernement devient plus palpable du temps de Catherine II. Elle a son poète, poète d'un grand talent, qui, par entraînement et amour, lui adresse des épîtres, des odes, des hymnes et des satires qui est à genoux devant elle, à ses pieds, sans être toutefois vil ou esclave. Derjavine ne craint pas l'impératrice, il plaisante avec elle, la nomme «Félicie» «la tzarine de Kirgis-Kaïs-saks». Sa muse trouve parfois des sons qui ne sont guère ceux d'un serf chantant son souverain.

    Néanmoins, cette poésie apologétique avec toute sa sincérité et toute la beauté d'une langue plastique, n'était ni goûtée ni admirée, si ce n'est d'un petit nombre, du clergé et des savants. La haute société ne lisait rien en russe, la société inférieure ne lisait rien du tout. La première production russe qui ait eu une popularité immense ne fut ni une épître adressée à l'impératrice, ni une ode inspirée par les ravages inhumains et les massacres glorieux de Souvoroff, mais une comédie, une satire mordante contre les gentillâtres de la province. Tandis que Derjavine ne voyait, à travers les rayons de la gloire qui entouraient le trône, que l'impératrice, Fonvisine, esprit caustique, voyait le côté oppose il riait amèrement de cette société demi-barbare, de ses allures de civilisation. Ce fut le premier auteur dans les écrits ducmel perçât le principe démoniaque de sarcasme et d'indignation, qui devait dès lors traverser toute la littérature russe et s’en rendre l'esprit dominant. Dans cette ironie, dans cette flagellation où rien n'est ménagé, pas même la personne de l'auteur, il y a pour nous une joie de vengeance, de consolation maligne; par ce rire nous rompons la solidarité qui existe entre nous et ces amphibies qui ne savent ni garder la barbarie ni acquérir la civilisation et qui seuls surnagent à la surlace otlicielle de la société russe. Une protestation infatigable suivit pas à pas cette anomalie. Elle fut ardente, incessante.

    ère dominant de la littérature moderne. Ce lut une nouvelle négation de l'ordre des choses existant, qui surgit en dépit de la volonté impériale du fond de la conscience réveillée, cri d'horreur de chaque génération qui craignait de se voir confondue avec ces êtres dégradés.

    La littérature russe, au XVIIIe siècle, ne fut au fond qu'une noble occupation de quelques esprits, sans inlluence sur la société. La première inlluence sérieuse qui imprima de suite un autre caractère au dilettantisme littéraire vint de la franc – maçonnerie. Celle-ci était très répandue en Russie vers la tin du règne de Catherine II. Son chef, Novikolf, était un de ces grands personnages dans l'histoire qui font des prodiges sur une scène qui doit nécessairement rester dans les ténèbres; un de ces guides d'idées souterraines dont l'œuvre ne se manileste qu'au moment de l'éclat. Novikolf était imprimeur de son état, il fonda des librairies et des écoles dans plusieurs villes, il édita la première revue russe. Il taisait faire des traductions et les publiait à ses frais. C'est ainsi qu'on vit de son temps paraître la traduction de l'Esprit des Lois, d'Emile, de divers articles de l'Encyclopédie, ouvrages que la censure de notre époque ne permettrait certainement pas d'imprimer. Dans toutes ces entreprises, Novikolf fut puissamment aidé par la franc-maçonnerie dont il était grand-maître. Quelle œuvre immense, que la pensée hardie de réunir dans un intérêt moral, dans une tamille tralernclle tout ce qu'il y avait intellectuellement de mûr, depuis le grand seigneur de'empire, tel que le prince Lopoukhine, jusqu'au pauvre précepteur d'école et au chirurgien de district.

    L'impératrice Catherine fit jeter Novikoff dans la citadelle de Pétersbourg et l'exila ensuite. Ce fut dans les dernières années de son règne, où son caractère commençait à s'altérer. Avec Potiomkine disparaît la poésie des favoris, une débauche grossière remplace une volupté brillante et splendide. Les petites soirées de l'Ermitage, pétillantes d'esprit, firent place aux orgies sauvages des Zoritch. En attendant, la révolution française atteignait son apogée. Le tonnerre révolutionnaire troublait le sommeil des monarques, sur le Danube comme sur la Neva. Catherine en vieillissant devenait inquiète, soupçonneuse même à l'égard de son fils. Elle voyait avec défiance la franc-maçonnerie acquérir une force nouvelle, indépendante de sa volonté; on parlait beaucoup de la part que les illuminés et les martinistes avaient prise à la révolution, et au milieu de ces bruits, elle apprit que le grand-duc Paul était initié à la franc-maçonnerie parNovikolf. Dix ans auparavant, Catherine aurait fait chercher Novikoff et aurait vu que ce n'était point un obscur conspirateur dynastique, mais alors elle aima mieux le châtier que l'entretenir.

    écrivain de cette période, Karamzine. L'influence de ce dernier sur la littérature peut être comparée à l'influence de Catherine sur la société; il l'a humanisée. Il y avait en lui quelque chose de St. Réal, de Florian et d'Ancillon, un point de vue philosophique et moral, des phrases philantropiques, des larmes toujours acquises au malheur, une répulsion pour tout abus de forces, beaucoup d'amour pour la civilisation, un patriotisme tant soit peu rhétorique, le tout sans unité, sans pensée dirigeante, sans une seule conviction profonde. Il y eut quelque chose d'indépendant et de pur dans ce jeune littérateur, entouré d'un monde d'ambitions subalternes et d'un crasse matérialisme. Karamzine fut le premier littérateur russe lu des dames.

    érature que nos premiers auteurs ont été des hommes du monde. Ils firent passer dans la littérature une certaine élégance de bonne compagnie, une sobriété de paroles une noblesse d'images qui distinguent la conversation des hommes bien élevés. L'élément grossier et vulgaire qui se rencontre parfois dans la littérature allemande n'a jamais pénétré dans les livres russes.

    La grande œuvre de Karamzine, le monument qu'il a élevé a la postérité sont les douze volumes de son histoire russe. Oeuvre consciencieuse de la moitié de son existence et dont l'analyse n'entre pas dans notre plan, son histoire a beaucoup contribué à tourner les esprits vers l'étude de la patrie. Si l'on songe au chaos qui a précédé Karamzine, dans l'histoire russe, et au travail qu'il a dû employer pour le déblayer et pour donner une exposition claire et véridique du sujet, l'on comprendra qu'il y aurait de l'injustice à ne pas reconnaître ses services.

    Ce qui manquait à Karamzine, ce fut cet élément sarcastique qui de Fonvisine s'étendit à Kryloff et même à Dmitrieff, l'ami intime de Karamzine. Il y avait quelque chose d'allemand dans le tendre et bénévole Karamzine. On pouvait prédire que Karamzine tomberait avec sa sentimentalité dans les iilets impériaux, comme le fit plus tard le poète Joukofski.

    L'histoire de la Russie rapprocha Karamzine de l'empereur Alexandre. Il lui lisait les pages audacieuses où il flétrissait la tyrannie de Jean le Terrible et jetait des immortelles sur la tombe de la république de Novgorod. Alexandre l’ écoutait avec attention et émotion et pressait doucement la main de l'historiographe. Alexandre était trop bien élevé pour trouver bon que Jean fît parfois scier ses ennemis en deux et pour ne pas soupirer sur le sort de Novgorod, sachant bien que le comte Araktchéietf y introduisait déjà les colonies militaires. Karamzine, plus ému encore, restait épris des charmes de la bonté impériale. Mais où l'ont conduit ses pages audacieuses, ses indignations, ses condoléances? Qu'a-t-il appris dans l'histoire russe, quel résultat a-t-il tiré de ses recherches, lui qui, dans la préface de son histoire, dit que l'histoire du passé est l'enseignement de l'avenir? Il n'y puisa qu'une seule idée: «Les peuples sauvages aiment la liberté et l'indépendance, les peuples civilisés l'ordre et la tranquillité» – un seul résultat: «la réalisation de l'idée de l'absolutisme» devant le développement duquel il reste en extase et qu'il poursuit depuis Monomakh jusqu'aux Romanoff.

    ée de la grande autocratie, c'est l'idée du grand esclavage. Peut-on se figurer qu'un peuple de soixante millions n'existe que pour réaliser… l'esclavage absolu?

    Karamzine mourut dans les bonnes grâces de l'empereur Nicolas.

    Comme on le voit, la période que nous avons parcourue n'est que l'adolescence de la civilisation et de la littérature russes. La science florissait encore à l'ombre du trône, et les poètes chantaient leurs tzars sans être leurs esclaves. On ne trouve presque pas d'idées révolutionnaires, la grande idée révolutionnaire était encore la réforme de Pierre. Mais le pouvoir et la pensée, les oukases impériaux et la parole humaine, l'autocratie et la civilisation ne pouvaient plus aller ensemble. Leur alliance même au XVIIIe siècle frappe d'étonnement. Mais comment aurait-il pu en être autrement, lorsque l'héritier des tzars, le dynaste, le successeur d'Alexis, enfin l'autocrate de toutes les Russies, de la Blanche et de la Rouge, de la Grande et de la Petite, Pierre Ier, était, en même temps, un jacobin anticipé et un terroriste révolutionnaire?

    и непреклонной волей.

    – деспот и по своему положению, и во имя великой идеи, утверждавшей неоспоримое его превосходство над всем, что его окружало. Он разорвал покров таинственности, окутывавший царскую особу, и с отвращением отбросил от себя византийские обноски, в которые рядились его предшественники. Петр I не мог удовольствоваться жалкой ролью христианского далай-ламы, разукрашенного парчой и драгоценными камнями, которого издали, показывали народу, когда он торжественно следовал из своего дворца в Успенский собор и из Успенского собора во дворец. Петр I предстает перед своим народом, словно простой смертный. Все видят, как этот неутомимый труженик, одетый в скромный сюртук военного покроя, с утра до вечера отдает приказания и учит, как надо их выполнять; он кузнец, столяр, инженер, архитектор и штурман. Его видят везде, без свиты, – разве только с одним адъютантом, – возвышающегося над толпой благодаря своему росту. Как мы говорили, Петр Великий был первой свободной личностью в России и, уже по одному этому, коронованным революционером.

    Он подозревал, что он не сын царя Алексея. Как-то вечером он простодушно спросил за ужином графа Ягужинского, не является ли тот его отцом. «Не знаю, – сказал в ответ Ягужинский на настойчивое требование Петра, – ведь у покойной царицы было столько любовников!» Так обстояло дело с престолонаследием. Относительно династических интересов известно, что Петр, попав на Пруте в безнадежное положение, предложил в письме сенату избрать ему в наследники достойнейшего, так как считал своего сына неспособным ему наследовать. Впоследствии он велел его судить и предать казни в тюрьме. Петр I сделал императрицей трактирщицу, жену шведского солдата, ставшую наложницей царского любимица князя Меньшикова, в прошлом мальчишки-пирожника. Обстоятельства, при которых митрополит Феофан и князь Меньшиков объявили последнюю волю Петра I, возбуждают немало сомнений, но остается фактом, что лифляндская авантюристка, еле говорившая по-русски, была провозглашена после его смерти императрицей, причем никто и не подумал оспаривать ее права.

    Петр I едва скрывал свое равнодушие или презрение к греческой церкви, которая по необходимости должна была впасть в опалу вместе со старым порядком. Он запретил открывать новые мощи и творить чудеса. Он заменил патриарха синодом, назначаемым правительством, и определил туда обер-прокурором кавалерийского офицера. Патриарх никогда не обладал верховными правами и не был полностью независим от царя, но он сообщал известное единство церкви. Потому-то Петр I и свалил его трон, обычно занимавший место рядом с царским. Однако Петр I менее всего являлся главою церкви, власть его была совершенно светской. Этим объяснялись и те отличительные черты, которые он придал петербургскому империализму; цель Петра, его средства были практические, жизненные, мирские, он не выходил за пределы действительности и, сведя на нет влияние церкви, больше не думал ни о церкви, ни о религии. Его воображение было занято другим, он мечтал об огромной России, о гигантском государстве, которое простерлось бы до самых глубин Азии, стало бы властелином Константинополя и судеб Европы.

    Греческая церковь всегда была в беспрекословном подчинении у государства и выполняла все, чего желала власть, зато власть, в свою очередь, никогда прямо не вмешивалась в интересы религии или духовенства. Русская церковь имела собственную юрисдикцию, опиравшуюся на греческий Номоканон. Неужели было бы достаточно объявить себя главою церкви вместо подлинного ее главы, чтобы действительно приобрести духовную власть? Если бы дело шло о московских царях, скажем, об Иване IV, чем-то напоминавшем Константина Копронима и Генриха VIII и занимавшемся экзегетикой, когда ему некого было убивать, это предположение еще возможно допустить, но преемники Петра I, в числе которых были четыре женщины, причем только одна из них русская, заставляют от такого предположения отказаться. Мысль стать главою церкви была чужда им в продолжение целого столетия. Честь извлечения ее на свет божий принадлежит Павлу I. Завидуя, возможно, Робеспьеру, он велел сделать себе ко дню коронации полусолдатское, полусвященническое одеяние, стал говорить о духовном своем главенстве и даже захотел сам совершить богослужение в Казанском соборе; впрочем, его отговорили от сей смехотворной идеи. Известно, что этот самый Павел I, схизматик и человек женатый, получил звание гроссмейстера Мальтийского ордена, и ни для кого не секрет, что он несомненно был полусумасшедший.

    Чтобы совсем порвать со старой Россией, Петр I оставил Москву, восточный титул царя и переселился в порт на Балтийском море, где принял титул императора. Открывшийся таким образом петербургский период не был продолжением исторической монархии – то было начало молодого, деятельного, не знающего узды деспотизма, равно готового и на великие дела и на великие преступления.

    – мысль о расширении государства. Все было принесено ей в жертву: достоинство государей, кровь подданных, справедливое отношение к соседям, благосостояние всей страны… Только в этом и состояло сходство, в остальном же Петр Великий являл собою непрерывный протест против старой России. Мы видели, что в вопросах династических и религиозных он поступал как человек свободомыслящий; еще в большем противоречии с обычаями страны. Любитель шумных потех, он ни от кого не скрывал. Сколько раз видел Петербург, как его государь, в окружении своих еле державшихся на ногах министров, охмелевший от венгерского вина и анисовки, покинув на рассвете пиршественный стол, брался за барабан и бил сбор. Случалось также видеть, как он носился по улицам с ряжеными, сам тоже одетый в маскарадный костюм. Старые бояре, чей степенный и величавый вид прикрывал бездну невежества и тщеславия, с ужасом взирали на празднества, устраиваемые царем для английских и голландских моряков, где его православное величество безудержно предавалось своей любви к кутежам. С глиняной трубкой во рту, с кружкой пива в руке, он задавал тон своим сотрапезникам и ничуть не уступал им в сквернословии. Негодование бояр дошло до предела, когда он повелел их женам и дочерям, сидевшим взаперти, как на Востоке, принимать участие в этих празднествах. Под императорской порфирой в Петре всегда чувствовался революционер. Тогда как, век спустя, Наполеон каждый год прикрывал каким-нибудь новым лоскутом королевских отрепьев свое мещанское происхождение, Петр I каждый день сбрасывал с себя какой-нибудь лоскут отрепьев царизма, чтобы остаться верным себе и своей великой мысли, которой служили опорой его непреклонная воля и жестокость террориста. Произведенная Петром I революция разделила Россию на две части: по одну сторону остались крестьяне свободных и господских общин, посадские крестьяне и мещане; то была старая Россия – консервативная, общинная, традиционная Россия, строго православная или же раскольническая, неизменно религиозная, носившая национальную одежду и ничего не воспринявшая от европейской цивилизации. На эту часть нации правительство, что случается при победивших революциях, смотрело как на сборище недовольных, почти как на бунтовщиков. Находясь в немилости, в неопределенном положении, вне закона, она была отдана на волю другой части нации. Новую Россию составляло созданное Петром I дворянство, все потомки бояр, все гражданские чиновники и, наконец, армия. Быстрота, с которою эти классы освободились от своих обычаев, была поразительна. Они отреклись от прошлого без всяких возражений; одни только стрельцы пытались сопротивляться. Это – доказательство гибкости русского характера, а равно и крайней своевременности революции Петра Великого. Люди испытывали радость, расставаясь с неподвижными гнетущими формами московского режима. В чем же причина упорства русского крестьянина? Крестьяне являются наименее прогрессивной частью всех народов: помимо того, русское общинное крестьянство оставалось вне движения мероприятий правительства. Политическая централизация не была поддержана централизацией административной. Меры, принятые для того, чтобы воспрепятствовать переселению крестьян, задевали только тех, кто жил на помещичьих землях, вернее говоря, недовольное меньшинство, переходившее с места на место. Реформа Петра показалась им не только покушением на их обычаи и образ жизни, но вмешательством государства в их дела, бюрократическими придирками, каким-то неясным и неопределенным отягощением их рабства. С тех пор они перешли к безмолвному и пассивному противодействию, которое длится до наших дней и полностью оправдано мерами, принятыми против народа Петром I и его преемниками. Деревня осталась в стороне от реформы; нельзя быть русским крестьянином, отказавшись от старых обычаев; он может уйти из-под опеки общины, стать слугою или государственным чиновником, или даже дворянином, но во всех этих случаях он должен прежде всего выйти из общины. Членом сельской общины может быть только крестьянин и, как таковому ему надлежит носить бороду и национальную одежду. Никакой закон этого не требует – так угодно лишь обычаю, что и делает его столь живучим. Таким образом крестьяне совершенно непричастными к действиям правительства: ими руководят, но они ничего не одобрили своим согласием. Они косятся на наш образ жизни, упорствуют в своих обычаях: и вместе с тем они религиозней нас в противовес нашему безразличию, они – сектанты в противовес официальной церкви, которая вступает в сделку с немецкой цивилизацией. Лишь с этой точки зрения и можно оценить всю важность указов Петра I, предписывающих брить бороду и одеваться на немецкий лад. Борода и одежда резко отличают Россию, униженную тройным игом и охраняющую свою национальность, от России, которая приняла европейскую цивилизацию вместе с императорским деспотизмом. Между человеком в рубахе поверх штанов, ничего не имеющим общего с правительством, и человеком бритым, который одет на немецкий лад и чужд общине, существовала лишь одна живая связь – солдат. Правительство поняло это и, боясь, чтобы солдат не стал снова крестьянином, прибегло к ужасным мерам, определив чудовищный срок военной службы: 22 года в начале столетия и от 15 до 17 лет – в наши дни. Под предлогом воспитания солдатских детей оно, прикрепив их к военному сословию, создало настоящую касту индийских кшатриев и, словно не удовольствовавшись этим, обязало ветеранов, под страхом суровых наказаний, брить бороду и никогда не носить национальную одежду. Таким образом, русский народ остался в одиночестве, вне всякого движения, горестно уповая на будущее; если он не погиб, то лишь благодаря своей натуре и общине, но он ничего и не выиграл. Ни одна политическая идея до него не дошла, однако существуют интересы, которые не преминут всколыхнуть русскую общину.

    Вопрос об освобождении крепостных не был понят в Европе. Обычно думают, что здесь дело идет лишь о личной свободе, которая при петербургском деспотизме никакого значения не имеет; между тем дело идет об освобождении крестьян с землей. Этот вопрос занимает правительство, но оно ничего не сделает; он занимает дворянство – но оно не осмелится что-либо сделать; он занимает народ, который устал, который ропщет, но, быть может, что-нибудь да сделает.

    – не что иное, как история русского правительства и русского дворянства. Если судить о русском дворянстве по аналогии с всемогущей английской аристократией или жалкой аристократией немецкой, то никогда не удастся объяснить, что сейчас происходит в России. Не нужно упускать из виду, что созданное Петром I дворянство – не замкнутая каста; напротив, непрерывно вбирая в себя все, что покидает демократическую почву, оно обновляется благодаря своей основе. Солдат, получив офицерский чин, становится потомственным дворянином; приказный, писарь, прослуживший несколько лет государству, становится личным дворянином; если его повышают в чине, он приобретает потомственное дворянство. Сын крестьянина, освобожденный общиной или помещиком, после окончания гимназии делается дворянином. Лицо, получившее орден, живописец, принятый в академию, становятся дворянами. Стало быть, под русским дворянством нужно разуметь всех тех, кто не входит в состав сельской или городской общины и является чиновником. Права и привилегии одинаковы для потомков владетельных князей и бояр и для сыновей какого-нибудь второстепенного чиновника, пожалованного потомственным дворянством.

    Русское дворянство – это сословие, угнетающее другое сословие, которое было побеждено, хотя и не сражалось.

    Было бы нелепо искать какого-либо единства в классе, включающем в себя и солдат, и приказных, и поповичей, и, наконец, владельцев сотен тысяч крестьян.

    Петра, целых двадцать лет колебался в самом своем основании; народная традиция прервалась, не было веры в династию. Народ, поднимавшийся за самозваного сына Ивана IV, не ведал даже имен всех этих Романовых – Брауншвейг-Вольфенбюттельских или Гольштейн-Готторпских, скользивших, подобно призракам, по ступеням трона и исчезавших в снегах ссылки, в глубине казематов или в крови…

    – повиноваться тому, кто силен, и лишь до тех пор, пока сила в его руках. Но стоило этому кумиру пасть, как все немедленно его покидали. Политическое разложение того времени очень усилилось и превосходит все, что только можно себе вообразить. Императорский престол уподобился ложу Клеопатры: кучка вельмож и горсть янычаров с торжеством приводили иноземного принца, женщину, ребенка, дальнего родича какого-либо из родственников Петра I, возводили его на престол, поклонялись ему и щедро оделяли ударами кнута всех тех, кто осмеливался возражать. Но не успевал избранник упиться всеми наслаждениями своей непомерной власти, как новая волна сановников и преторианцев уносила его со всем ого окружением в пропасть. Сегодняшние министры и генералы уже на следующий день шли, закованные в кандалы, на место казни или отправлялись в Сибирь. Эти превратности жизни постигали людей с такой быстротой, что маршал Миних, сославший Бирона и в свою очередь изгнанный, встретился с ним у волжской переправы, где Бирон был задержан на несколько дней разливом реки. В этой bufera infernale[31], уносившей людей так стремительно, что не хватало даже времени привыкнуть к их чертам, уцелела, по глубочайшей иронии судьбы, лишь одна личность: то был начальник тайной канцелярии Бестужев, – этот почтенный сановник сохранил свое место, наперекор всем переворотам, и имел, таким образом, возможность допрашивать, пытать и казнить всех своих друзей, всех своих благодетелей и всех своих врагов.

    Можно ли после этого думать, чтобы народ в светских владыках видел владык православной церкви?

    Не надо забывать, что, помимо политических интриг, тот вольный тон, который ввел Петр I и который так был ему к лицу, перейдя ко двору, вскоре превратился в грязное распутство и в грубые излишества. Дочь Петра I Елизавета, еще будучи великою княжною, проводила ночи в оргиях с гренадерами императорской гвардии и разгуливала с ними по Летнему саду. В их обществе она настолько привыкла к крепким напиткам, что, став императрицей, напивалась каждый день. Самые важные дела останавливались, посланники не могли добиться аудиенции целыми неделями, когда у нее ни на мгновение не просветлялась голова. Императрица Анна жила по-супружески с бывшим своим конюхом Бироном, которого она сделала герцогом Курляндским. Регентша Анна Брауншвейгская летом спала со своим любовником на освещенном балконе дворца…

    Римской империей, был лишь один политический проблеск – когда императрице Анне продиктовали условия вступления на престол. Анна принесла присягу, согласилась на все, но тут же, поддержанная немецкой партией, возглавляемой Бироном, разорвала хартию и приказала умертвить всех, кто хотел ограничить императорскую власть. Между немцами и их приверженцами, с одной стороны, а русскими сановниками, окружавшими трон, – с другой, существовала старинная вражда. Ненависть к немцам облегчила Елизавете восшествие на престол. Эта бездарная и жестокая женщина приобрела популярность, угождая национальной партии.

    Не будем, впрочем, заблуждаться насчет значения этих партий. Немецкая партия не олицетворяла просвещения, как русская не олицетворяла невежества. Последняя отнюдь не хотела возвращения старого порядка вещей. Попытки князя Долгорукого во времена Петра II ни к чему не привели. Немцы тоже далеко не олицетворяли прогресса; ничем не связанные со страной, которую не давали себе труда изучить и которую презирали, считая варварской, высокомерные до наглости, они были раболепнейшим орудием императорской власти. Не имея иной цели, как сохранить монаршее к себе расположение, они служили особе государя, а не нации. Сверх того, они вносили в дела неприятные для русских повадки, педантизм бюрократии, этикета и дисциплины, совершенно противоположный нашим нравам.

    Враждебность славян и германцев – печальный, но обще известный факт. Каждое столкновение между ними обнаруживало глубину их ненависти. Самый характер немецкого господства немало способствовал распространению этой ненависти среди западных славян и поляков. Русским никогда не приходилось терпеть их гнет. Если владения России на побережье Балтийского моря и были завоеваны рыцарями Тевтонского ордена, то заселяли их финские племена, а не русские. Хотя среди славян русские меньше всех ненавидят немцев, все же чувство естественного отвращения, существующее между ними, не может исчезнуть. В основе этого чувства лежит несходство характеров, проявляющееся в любой мелочи.

    Предпочтение, которое правительство оказывало немцам после Петра I, было такого рода, что не могло примирить с ними русских. Добро, если б одни только Минихи и Остерманы приехали в Россию, а то на берега Невы обрушилась туча уроженцев тридцати шести – или сам не знаю, скольких – княжеств, составляющих единую и неделимую Германию.

    «Мы не любим русских, – сказал мне как-то в Риге один известный в Прибалтийском крае человек, – но во всей империи нет более верных императорской фамилии подданных, чем мы». Правительству известно об этой преданности, и оно наводняет немцами министерства и центральные управления. Это и не благоволение и не несправедливость. В немецких офицерах и чиновниках русское правительство находит именно то, что ему надобно; точность и бесстрастие машины, молчаливость глухонемых, стоицизм послушания при любых обстоятельствах, усидчивость в работе, не знающую усталости. Добавьте к этому известную честность (очень редкую среди русских) и как pas столько образования, сколько требует их должность, но совсем не достаточного для понимания того, что вовсе нет заслуги быть безукоризненными и неподкупными орудиями деспотизма: добавьте к этому полнейшее равнодушие к участи тех, которыми они управляют, глубочайшее презрение к народу, совершенное незнание национального характера, и вам станет понятно, почему народ ненавидит немцев и почему правительство так любит их.

    – почти член семьи; у них одни и те же привычки, одна и та же мораль и религия, они обычно едят за одним столом и очень хорошо понимают друг друга. Случается порой, что хозяин прибьет работника, который принимает тумаки с излишним христианским смирением, а бывает, что работник дает сдачи, но ни тот, ни другой не пойдут жаловаться в полицию. Воскресенье хозяин и работник празднуют одинаково – оба они возвращаются домой пьяными. Назавтра хозяин, понимая, что работник не в состоянии усердно трудиться, позволяет ему прогулять несколько часов, ибо знает, что в случае нужды тот будет работать для него и ночью. Зачастую хозяин дает работнику деньги вперед, зато работник долгие месяцы ждет своего жалованья, когда видит, что у его хозяина денежные затруднения. Хозяин-немец – не ровня русскому рабочему, он считает себя скорее его начальником, чем хозяином; методичный по природе, хранящий обычаи своей страны, немец преобразует гибкие, неопределенные отношения между русским работником и его хозяином в строго определенные юридические, от которых не отступит ни на йоту. Постоянная требовательность, нарочитая строгость, холодный деспотизм тем более оскорбляют работника, что хозяин никогда не снизойдет до него. Даже мирный характер немца, даже предпочтение, которое отдает он пиву перед водкой, только усиливают отвращение, внушаемое им русскому работнику. У последнего больше ловкости, чем прилежания, больше одаренности, чем знаний. Он может много сделать сразу, но он неусидчив в труде и не может приспособиться к однообразной размеренной дисциплине немца. Хозяин-немец не потерпит, чтобы работник пришел часом позже или ушел часом раньше. Головная боль с похмелья по понедельникам и баня по субботам в его глазах не оправдание. Он записывает всякий прогул, чтобы сделать вычет из жалованья, – быть может, самым справедливым образом, но русский работник видит в нем чудовищного эксплуататора, отсюда бесконечные споры и ссоры. Обозленный хозяин бежит в полицию или к помещику, если работник – крепостной, и навлекает на его голову все беды, какие только возможны в его положении. Русский же хозяин, без особо важных поводов, не пойдет ни к квартальному (полицейскому надзирателю) ни к помещику, ибо полиция и дворянство – общие враги и бородатого хозяина и небритого работника. Но вернемся к нашему повествованию.

    Императрица Елизавета выписала из Гольштинии своего преемника и женила его на принцессе Ангальт-Цербстской. Все нашли, что добрый и простой Петр III – слишком немец. Его жена, еще в меньшей степени русская, чем он сам, свергла его с престола, заключила в тюрьму и велела там отравить. Граф Орлов, наскучив ждать действия яда, задушил его.

    собою в императорский дворец известное изящество, светскость и хороший вкус, чего не было до нее и что оказало благотворное влияние на высшие слои общества.

    административные должности в областях, и учредила дворянские общества и собрания, обсуждавшие интересы дворян и наблюдавшие за расходованием средств на местные нужды.

    Она предоставила избирательные права также буржуазии и крестьянам; это имело, впрочем, больше принципиальное, нежели реальное значение. Однако эти уступки бледнеют рядом с тем преступлением, которое она совершила по отношению к крестьянам, освятив из склонности к бессмысленному мотовству крепостное право; она раздавала своим фаворитам и любовникам обширнейшие населенные земли. Она не только ограбила все монастыри в пользу своих вельмож, но и раздала им крестьян Малороссии, не знавшей до тех пор крепостного права. Вполне понятно, что, будучи философом, наподобие Фридриха II и Иосифа II она могла участвовать в преступном разделе Польши. Государственные интересы, желание увеличить территориальные владения объясняют этот факт, если и не оправдывают его; но отчуждать от государства населенные земли, превращать свободных хлебопашцев в крепостных, даже не подумав поставить какие-либо условия их новым владельцам, – это безумие. Возможно, императрица Екатерина помнила, с какой свирепой радостью бежали крестьяне четырех областей навстречу Пугачеву, который вешал всех попавшихся в его руки дворян; возможно и то, что еще слишком свежо было в ее памяти событие, также произошедшее в ее царствование, когда московский народ, убив за алтарем архиепископа, влачил по улицам его труп в полном архиерейском облачении. С другой стороны, видя, как признательно ей дворянство, как гордится оно своею преданностью ей, она не могла не связать себя с его интересами.

    по военным поселениям, по всем ужасам полицейского управления, по войне, настолько же кровопролитной, насколько и бессмысленной, которая длится двадцать пять лет в неприступных горах.

    Цивилизация очень быстро распространилась в верхних слоях дворянства, но она была насквозь иноземной, и единственной национальной чертой в ней оказалась известная грубоватость, странным образом уживавшаяся с формами французской вежливости. При дворе изъяснялись только по-французски, подражали Версалю. Тон задавала императрица, она переписывалась с Вольтером, проводила вечера с Дидро и комментировала Монтескье; идеи энциклопедистов просачивались в петербургское общество. Почти все старики того времени, которых мы только знали, были вольтерьянцами или материалистами, если не были франкмасонами. Эта философия прививалась русским с тем большей легкостью, что уму их свойственна, а трезвость, и ирония. Почва, завоеванная в России цивилизацией, была потеряна для церкви. Греческое православие властвует над душой славянина лишь в том случае, если находит в ней невежественность. По мере того как проникает в нее свет, тускнеет вера, внешний фетишизм уступает место полнейшему безразличию. Здравый смысл и практический ум русского человека отвергают совместимость ясной мысли с мистицизмом. Русский способен долго быть набожным до ханжества, но только при условии никогда не размышлять о религии; он не может стать рационалистом, ибо освобождение от невежественности для него равнозначно освобождению от религии. Мистические тенденции, встречаемые нами у франкмасонов, в действительности являлись лишь средством помешать успеху быстро распространявшегося грубого эпикуреизма. Что до мистицизма времен императора Александра, то он был порождением франкмасонства и немецкого влияния, не имевшим реальной основы, – увлечением модой у одних, восторженностью духа у других. После 1825 года о нем забыли и думать. Укрепление религиозной дисциплины при помощи полиции во времена императора Николая не говорит в пользу богобоязненности цивилизованных классов.

    делали его революционером. У нас же Вольтерова философия, разрывая последние узы, сдерживавшие полудикую натуру, ничем не заменяла старые верования и привычные нравственные обязанности. Она вооружала русского всеми орудиями диалектики и иронии, способными оправдать в его глазах собственную рабскую зависимость от государя и рабскую зависимость крепостных от него самого. Неофиты цивилизации с жадностью набросились на чувственные удовольствия. Они отлично поняли призыв к эпикуреизму, но до их души не доходили торжественные звуки набата, призывавшего людей к великому возрождению. Между дворянством и народом стоял чиновный сброд из личных дворян – продажный и лишенный всякого человеческого достоинства класс. Воры, мучители, доносчики, пьяницы и картежники, они были и являются еще и теперь самым ярким воплощением раболепства в империи. Класс этот был вызван к жизни крутой реформой суда при Петре I.

    свободные от предрассудков, чиновники извращали законы, каждый по-своему. с необычайным искусством. Это величайшие в мире мастера кляузы; они имеют в виду только личную свою ответственность: если ей ничто не угрожает, для них нет недозволенного; и крестьянин, как и чиновник, совершенно не верит в законы. Первый почитает их из страха, второй видит в них свою кормилицу-поилицу. Святость законов, незыблемость прав, неподкупность правосудия – все это слова, чуждые их языку. Даже всей императорской власти не под силу остановить, уничтожить зловредную деятельность этих чернильных гадин, этих притаившихся в засаде врагов, которые подстерегают крестьянина, чтобы вовлечь его в разорительные тяжбы.

    Составив себе приблизительное представление о неоевропейском обществе времен Екатерины. Набросим взгляд на первые шаги литературы во вновь созданном государстве.

    – ведение богословских споров; она изобрела условную живопись (иконопись) в осуждение плотской красоте античности. Презирая всякую независимую живую мысль, она хотела только смиреной веры. В России не было проповедников. Единственный епископ, прославившийся в древности своими проповедями, терпел гонения за эти самые проповеди. Чтобы понять, каково было воспитание, даваемое восточной церковью верной своей пастве, достаточно знать христианские племена Малой Азии, – и эта-то церковь, начиная с X века, стояла во главе цивилизации России. Огромную помощь оказали ей нескончаемые войны удельных князей и монгольское иго.

    представлявшем собою нечто среднее между языком церковным и народным, с большим или меньшим приближением к одному из них, в зависимости от социального положения автора. До XVIII столетия никакого движения в литературе не было. Несколько летописей, (поэма XII века (Поход Игоря), довольно большое количество сказок и народных песен, по большей части устных, – вот и все, что дали десять веков в области литературы. Существенно отметить, что, несмотря на эту скудость, язык библии, как и язык Несторовой летописи, а также упомянутой поэмы, отличается не только большой красотой, но явно носит следы длительного обращения и многовекового предшествовавшего развития.

    Кирилл и Мефодий, переводчики библии, упорядочили язык, установили алфавит, скопировали грамматические формы с греческих правил, но нашли в России богатый язык, видимо, выработанный славянами, жившими в Македонии и Фессалии. Надо знать, с какими трудностями сталкиваются англичане при переводе евангелия на языки дикарей, например, кафров; им не хватает слов; образы, понятия, особые обороты речи – все приходится передавать лишь приблизительными перифразами. А славянский перевод по сжатости, мужественной красоте и точности равен Лютерову.

    Все поэтические начала, бродившие в душе русского народа, находили себе выход в необычайно мелодичных песнях. Славянские народы – народы-певцы в подлинном значении этого слова. Летописцы Восточной Римской империи рассказывают, что во время одного из нашествий славян греки напали на них врасплох, ибо часовые, которые по обыкновению пели, один за другим уснули, убаюканные собственными песнями русский крестьянин только песнями и облегчал свои страдания. Он постоянно поет: и когда работает, и когда правит лошадьми, и когда отдыхает на пороге избы. Отличает его песни от песен других славян, и даже малороссов, глубокая грусть. Слова их – лишь жалоба, теряющихся в равнинах, таких же беспредельных; как его горе, в хмурых еловых лесах, в бесконечных степях, не встречая дружеского отклика. Эта грусть – не страстный порыв к чему-то идеальному, в нет ничего романтического, ничего похожего на болезненные монашеские[32] – это скорбь сломленной личности, это упрек судьбе, «судьбе-мачехе, горькой долюшке», это подавляемое желание, не смеющее заявить о себе иным образом, эта песня женщины, угнетаемой мужем, и мужа, угнетаемого своим отцом, деревенским старостой, наконец – всех угнетаемых помещиком или царем; это глубокая любовь, страстная, несчастливая, но земная и реальная[33] похож на драматический и грациозный хороводный танец.

    В печали или буйном веселье, в рабстве или анархии русский жил всю жизнь, как бродяга, без очага и крова, или был поглощен общиной; терялся в семье или ходил свободный среди лесов с ножом за поясом. В обоих случаях песня выражала ту же жалобу, то же разочарование: в ней глухо звучал голос, вещавший, что природным силам негде развернуться, что им не по себе в этой жизни, которую теснит общественный строй.

    – разбойничьи песни. То уже не грустные элегии; то смелый клик, в нем буйная радость человека, чувствующего себя, наконец, свободным, то угроза, гнев и вызов: «Погодите-ка, мы придем. Будем пить ваше вино, ласкать ваших жен, грабить богачей»… «Не хочу больше работать в поле. Что получил я, когда пахал землю? Нищий я, все мной гнушаются. Нет, возьму-ка я в товарищи ночку темную да острый нож, отыщу дружков в густых лесах, убью я барина и ограблю купца на большой дороге. По крайней мере все уважать меня будут; и молодой прохожий на моем пути и старик, что сидит у своей избы, мне поклонятся».

    Уход в монастырь, в казаки, в шайку разбойников – был единственным средством обрести свободу в России. Народ учтиво называл разбойников шалунами и вольницей. В древние времена один Новгород поставлял вооруженные шайки, которые спускались по Волге и Оке, до самых берегов Камы, «идучи искать наудачу счастья». Разбойники-казаки, преследуемые Иваном IV, завоевали под начальством Ермака Сибирь, чтобы исправить свою худую славу. Бродяжничество и разбой необычайно усилились в годы междуцарствия и в начале XVII столетия. Память о Стеньке Разине сохранилась во множестве песен, сложенных в его честь народом. Обычай разбойничества дожил до времен Пугачева, и весьма вероятно, что своим широким распространением он обязан именно глухой борьбе, начатой крестьянами, протестовавшими против закрепощения. Известно, что в песнях разбойнику отводится благородная роль, что все симпатии обращены к нему, а не к его жертвам; с тайной радостью превозносятся его подвиги и его удаль. Народный певец, казалось, понимал, что самый большой его враг – не этот разбойник.

    – заинтересовать простолюдина, пробудить в нем деятельную веру, подлинный интерес к религии, – то удалось сектантам. Им чуждо всякое равнодушие: община у них более развита, чем у православных крестьян, кастовый дух необычайно живуч; есть секты, чьи догматы нелепы, но сами сектанты добропорядочны и полны энергии. Есть также другие, и весьма распространенные, которые исповедуют наиболее крайние коммунистические учения, смешанные с мистическим христианством, наподобие гернгутеров и даже анабаптистов. Тысячи сектантов, преследуемых правительством, бежали в Лифляндию и Турцию, где существуют целые городки, населенные их потомками. Вообще сектанты – самые ожесточенные враги петровской реформы. Для них Петр I и его преемники – антихристы. Правительство, в свою очередь, считает их крамольниками и подвергает преследованиям. Раскольники держатся крепко; по мере того как увеличивается гонение на них, они усиливают свою пропаганду, у них есть сообщники во всех уголках государства, есть и подпольная печать. Вполне возможно, что от какого-нибудь скита[34] революционные идеи Европы. Быть может, оба эти движения, не осознавая своего родства, вступят в борьбу, к вящему удовольствию царя и его друзей. Европеизированная русская литература начинает приобретать известное значение лишь во времена Екатерины II. До ее царствования мы видим лишь подготовительную работу; язык приспосабливается к новым условиям существования, он кишит немецкими и латинскими словами; дух подражания овладевает всем до такой степени, что в наш метрический и звучный язык пытаются ввести силлабическое стихосложение. Отделавшись от этих излишеств, язык начал осваивать лавину иностранных слов и становиться более естественным и соответствующим духу нации. Первым русским, который мастерски владел сложившимся таким образом языком был Ломоносов. Как по своему энциклопедизму, так и по легкости восприятия этот знаменитый ученый был типом русского человека. Он писал по-русски, по-немецки и по-латыни. Он был горняком, химиком, поэтом, филологом, физиком, астрономом и историком. Одновременно он писал метеорологическое исследование об электричестве и другое – о пришествии варягов на Русь, в ответ историографу Мюллеру, что не мешало ему закончить свои торжественные оды и дидактические поэмы. Его ясный ум, полный беспокойного желания все понять, оставлял один предмет, чтобы овладеть другим, с удивительной легкостью постигая его. Цивилизация, начинавшая расцветать под эгидой правительства, все еще не покидала ступенек трона, восхищаясь Петром Великим и искренно преклоняясь перед любым государем. Правительство продолжало идти во главе цивилизации. Эта тесная близость литературы и правительства стала еще более явной во времена Екатерины II. У нее свой поэт, поэт большого таланта; полный восторженной любви, он пишет ей послания, оды, гимны и сатиры, он на коленях перед нею, он у ее ног, но он вовсе не холоп, не раб. Державин не боится Екатерины, он шутит с нею, называет ее «Фелицей» и «киргиз-кайсацкою царицей». Порою, муза его находит слова, совсем, иные, нежели те, в которых раб воспевает своего господина.

    Однако этой апологетической поэзией, при всей ее искренности, при всей красоте ее пластического языка восхищался лишь узкий круг духовенства и ученых. Высшее общество ничего не читало по-русски, низшее – вообще ничего не читало. Первым русским произведением, снискавшим огромную популярность, было не послание, обращенное к императрице, не ода, на которую вдохновили поэта бесчеловечные опустошения и кровопролитные победы Суворова, а комедия, едкая сатира на провинциальных дворянчиков. Тогда как Державин сквозь ореол славы, окружавшей трон, видел одну лишь императрицу, Фонвизин, ум сатирический, видел изнанку вещей; он горько смеялся над этим полуварварским обществом, над его потугами на цивилизованность. В произведениях этого писателя впервые выявилось демоническое начало сарказма и негодования, которому суждено было с тех пор пронизать всю русскую литературу, став в ней господствующей тенденцией. В этой иронии, в этом бичевании, не щадящих ничего, даже личность самого автора, мы находим какую-то радость мести, злорадное утешение; этим смехом мы порываем связь, существующую между нами и теми амфибиями, которые, не умея ни сохранить свое варварское состояние, ни усвоить цивилизацию, только одни и удерживаются на официальной поверхности русского общества. Неутомимый протест неотступно преследовал эту аномалию. Он был горячим, беспрестанным.

    Анализ общественной патологии определил преобладающий характер современной литературы. То было новое отрицание существующего порядка вещей, которое вырвалось, наперекор монаршей воле, из глубины пробудившегося сознания, – крик ужаса каждого молодого поколения, опасающегося, что его могут смешать с этими выродками.

    сразу придавшими другой характер литературному дилетантизму. Франкмасонство широко распространилось в России к концу царствования Екатерины II. Глава его Новиков, был одной из тех великих личностей в истории, которые творят чудеса на сцене, но необходимости погруженной во тьму, – одним из тех проводников тайных идей, чей подвиг становится известным лишь в минуту торжества этих идей. По профессии Новиков был типографом; во многих городах он основал книжные лавки и школы, он же издавал первый русский журнал. Он заказывал переводы и печатал их за свой счет. Именно таким образом и появились в его время переводы «Духа законов», «Эмиля» и различных статей из «Энциклопедии», – произведения, которые современная цензура, конечно, не дозволила бы напечатать. Во всех этих предприятиях Новиков пользовался большой поддержкой франкмасонов, будучи великим мастером масонской ложи. Каким огромным делом оказалась эта смелая мысль – объединить во имя нравственного интереса в братскую семью все, что есть умственно зрелого, от крупного сановника империи, как князь Лопухин, до бедного школьного учителя и уездного лекаря!

    Императрица Екатерина велела заточить Новикова в петербургскую крепость, а затем сослала. Это произошло в последние годы ее царствования, когда характер Екатерины стал портиться. С Потемкиным исчезает поэзия фаворитизма, роскошные, изысканные наслаждения сменяются грубым распутством. Искрящиеся остроумием званые вечера в Эрмитаже уступают место диким оргиям Зоричей. Тем временем французская революция приближалась к своему апогею. Громы революции тревожили сон монархов и на Дунае, и на Неве. С наступлением старости Екатерина становилась все беспокойней и подозрительней, даже по отношению к собственному сыну. Она смотрела с недоверием на усиливавшееся помимо ее воли франкмасонство; много говорили о том участии, которое иллюминаты и мартинисты приняли в французской революции, а среди прочих слухов дошло до нее и то, что великий князь Павел был введен Новиковым в общество франкмасонов. Десятью годами раньше Екатерина послала бы за Новиковым и увидела бы что он вовсе не участник тайного заговора против династии, но теперь она предпочла покарать его, а не разговаривать с ним.

    литературу гуманною. В нем было что-то от Сен-Реаля, Флориана и Ансильона – точка зрения философская и нравственная, филантропические фразы, всегда исторгаемые чужим несчастьем слезы, отвращение ко всякому злоупотреблению силой, большая любовь к просвещению и патриотизм, хотя и несколько риторический – но все без единства, без руководящей мысли, без какого-либо глубокого убеждения. В этом молодом литераторе, которого окружала среда мелкого честолюбия и грубого материализма, чувствовалось нечто независимое и чистое. Карамзин был первым русским литератором, которого читали дамы.

    образов, отличающие беседу людей воспитанных. Грубость и вульгарность, встречающиеся порой в немецкой литературе, никогда не проникали в русскую книгу.

    – это двенадцать томов русской истории. Его история, над которой он добросовестно работал полжизни и разбор которой не входит в наши планы, весьма содействовала обращению умов к изучению отечества. Если подумать о хаосе, царившем в русской истории до Карамзина, и о том труде, которого ему стоило в нем разобраться и дать ясное и правдивое изложение предмета, то станет понятно, как несправедливо было бы умолчать о его заслугах.

    Но Карамзину не хватало того саркастического элемента, который от Фонвизина перешел к Крылову и даже к Дмитриеву – задушевному другу Карамзина. В мягком и доброжелательном Карамзине было что-то немецкое. Можно было заранее предсказать, что из-за своей сентиментальности Карамзин попадется в императорские сети, как попался позже поэт Жуковский.

    с вниманием и волнением и тихонько пожимал руку историографа. Александр был слишком хорошо воспитан, чтобы одобрять Ивана, который нередко приказывал распиливать своих врагов надвое, и чтобы не 'повздыхать над участью Новгорода, хотя отлично знал, что граф Аракчеев уже вводил там военные поселения. Карамзина, охваченного еще большим волнением, пленяла очаровательная доброта императора. Но к чему же привели историка его дерзостные страницы, его возмущение, его сетования? Что же узнал он из русской истории, к какому выводу пришел в результате своих исследований, – он, написавший в предисловии к своему труду, что история прошлого есть поучение будущему? Он почерпнул в ней лишь одну идею: «Народы дикие любят свободу и независимость, народы цивилизованные – порядок и спокойствие», он сделал лишь один вывод: «осуществление идеи абсолютизма», развитие которой, прослеженное им от Мономаха до Романовых, преисполняет его восторгом.

    – это идея великого порабощения. Можно ли представить себе, чтобы шестидесятимиллионный народ существовал лишь затем, чтобы сделать реальностью… абсолютное рабство?

    – лишь отрочество цивилизации и русской литературы. Наука процветала еще под сенью трона, а поэты воспевали своих царей, не будучи их рабами Революционных идей почти не встречалось, – великой революционной идеей все еще была реформа Петра. Но власть и мысль, императорские указы и гуманное слово, самодержавие и цивилизация не могли больше идти рядом. Их союз даже в XVIII столетии удивителен. Но могло ли быть иначе, если наследник царей, династ, преемник Алексея, наконец, самодержец всея Руси, Белой и Червонной, Великой и Малой, Петр I, был и до времени явившимся якобинцем и революционером-террористом?

    Примечания

    4. Voir aux annexes la note relative à la commune russe.

    éme à remarquer que les héros des contes – Ilia Mourometz, Ivan Tzarévitch, etc. ont beaucoup plus de rapports avec les héros homériquos, qu'avec ceux du moyen âge, le «Bogatyr» n'est pas un chevalier, comme Achille n'en est pas un.

    6. Voyez la dissertation magnifique de Mme Talvi sur les chants slaves dans son ouvrage imprimé en 1846 à New-York.

    ègues ont appartenu aux «Starovertzy».

    – Илья Муромец, Иван Царевич и пр. – имеют гораздо больше сходства с гомеровскими героями, чем со средневековыми; «богатырь» – не рыцарь, как и Ахилл.

    34. Пугачев и его сподвижники принадлежали к староверам