• Приглашаем посетить наш сайт
    Салтыков-Щедрин (saltykov-schedrin.lit-info.ru)
  • Du développement des idées révolutionnaires en Russie (О развитии революционных идей в России).
    IV. 1812–1825

    IV. 1812–1825

    La guerre de 1812 termina la première partie de la période de Pétersbourg. Jusque-là le gouvernement avait été en tête du mouvement; dès lors la noblesse se mit au pas avec lui. Jusqu'en 1812, on doutait des forces du peuple et l'on avait une foi inébranlable dans la toute-puissance du gouvernement: Austerlitz était loin, on prenait Eylau pour une victoire et Tilsit pour un événement glorieux. En 1812, l'ennemi passa Memel, traversa la Lithuanie et se trouva devant Smolensk, cette «clef» de la Russie. Alexandre terrifié accourut à Moscou pour implorer le secours de la noblesse et du négoce. Il les invita an palais dé laissé du Kremlin pour aviser au secours de la patrie. Depuis Pierre Ier, les souverains de la Russie n'avaient pas parlé au peu pie; il fallait supposer le danger grand, à la vue de l'empereui Alexandre, au palais, et du métropolitain Platon, à la cathédrale, parlant du péril qui menaçait la Russie.

    La noblesse et les négociants tendirent la main au gouvernement et le tirèrent de l'embarras. Le peuple, oublié même dans ce temps de malheur général, ou trop méprisé pour qu'on eût voulu lui demander le sang qu'on se croyait en droit de répandre sans son assentiment, le peuple se levait en masse, sans attendre un appel, dans sa propre cause.

    Depuis l'avènement de Pierre Ier, cet accord tacite de toutes les classes se produisait pour la première fois. Les paysans s’en rolaien sans murmurer dans les rangs de la milice, les nobles donnaient le dixième serf et prenaient les armes eux-mêmes;

    égociants sacrifiaient la dixième partie de leur revenu. L'agitation populaire gagnait tout l'empire; six mois après l'évacuation de Moscou parurent sur la frontière d'Asie des bandes d'hommes armés qui accouraient du fond de la Sibérie, à la défense de la capitale. La nouvelle de son occupation et de son incendie avait fait tressaillir toute la Russie, car pour le peuple Moscou était la vraie capitale. Elle venait d'expier par son sacrifice le régime assoupissant des tzars; elle se relevait entourée d'une auréole de gloire; la force de l'ennemi s'était brisée dans ses murs; le conquérant avait commencé au Kremlin sa retraite qui ne devait s'arrêter qu'à Ste – Hélène. Au premier réveil du peuple, Pétersbourg était éclipsé, et Moscou, capitale sans empereur, qui s'était victimée pour la patrie commune, obtint une nouvelle importance.

    D'ailleurs après et baptême de sang, la Russie entière entra dans une nouvelle phase.

    Il était impossible de passer immédiatement de l'agitation d'une guerre nationale, de la promenade glorieuse à travers l'Europe, de la prise de Paris, au calme plat du despotisme de Pétersbourg. Le gouvernement lui-même ne pouvait retourner tout de suite à ses anciennes allures. Alexandre fit-le libéral, en cachette du prince Metternich, persifla des projets ultra-monarchiques des Bourbons et joua le rôle de roi constitutionnel en Pologne.

    Quant au pauvre paysan, il retourna à sa commune, à sa charrue et à son servage. Pour lui, rien ne changea, on ne lui concéda aucune franchise, pour prix de la victoire achetée par son sang. Alexandre préparait pour le récompenser le projet monstrueux des colonies militaires.

    Bientôt après la guerre, un grand changement se manifesta dans l'esprit public. Les officiers de la garde et des régiments de ligne, après avoir bravement exposé leur poitrine aux balles de l'ennemi, devinrent moins soumis et moins souples qu'autrefois. Des sentiments chevaleresques d'honneur et de dignité personnelle, inconnus jusque-là dans l'aristocratie russe, d'origine plébéienne, tirée du peuple par la grâce des souverains, se répandirent dans la société. En même temps la mauvaise administration, la vénalité des employés, les vexations policières excitaient des murmures unanimes. On voyait que le gouvernement, tel qu’il était organisé, ne pouvait, avec le meilleur vouloir, parer à ces abus, qu'il n'y avait aucune justice à attendre d'une infirmerie de vieillards qu'on appelait du nom pompeux de sénat dirigeant, corps d'une docilité ignare qui servait au gouvernement de garde-meubles pour y reléguer les fonctionnaires usés, qui ne méritaient ni de rester dans l'administration ni d'en être chassés. Des hommes d'Etat d'une grande autorité, comme le vieil amiral Mordvinoff, parlaient hautement de l'urgence de nombreuses réformes. Alexandre lui-même désirait des améliorations, mais il ne savait comment s'y prendre. Karamzine, l'historien absolutiste, et Spéranski, éditeur du code de Nicolas, travaillaient à un projet de constitution d'après ses ordres.

    énergiques et sérieux n'attendirent pas le terme de ces projets imaginaires, ils ne se contentèrent pas du mécontentement vague et cherchèrent à l'utiliser d'une autre manière. Ils. conçurent l'idée d'une grande association secrète. Elle devait faire l'éducation politique de la jeune génération, propager les idées de liberté et approfondir a question compliquée d'une réforme radicale et complète du gouvernement russe. Loin de s'en tenir à la théorie, ils s'organisaient en même temps de manière à profiter de la première circonstance favorable pour ébranler le pouvoir impérial. Tout ce qu'il y avait de distingué dans la jeunesse russe, de jeunes militaires comme Pestel, Fonvisine, Narychkine, Iouchnefski, Mouravioif, Orloff, les littérateurs les plus aimés comme Ryléietf et Bestoujelf; des descendants des-familles les plus illustres, comme les princes Obolénski, Troubetzkoï, Odoïefski, Voikonski, le comte Tchernychoff, s enrôlèrent avec empressement dans cette première phalange de l'émancipation russe. Cette société prit d'abord le nom d'Alian-ce du Bien-Etre.

    Chose étrange, en même temps que ces jeunes gens ardents, pleins de foi et de vigueur, juraient de renverser l'absolutisme a Pétersbourg, l'empereur Alexandre jurait de river la Russie aux monarchies absolutistes de l'Europe. Il venait de former la célèbre Sainte-Alliance, alliance mystique, inutile, impossible, quelque chose dans le genre d'un Gruttly absolutiste,d'un Tugendbund formé par trois étudiants couronnés, parmi lesquels Alexandre jouait le rôle de tête chaude.

    Les uns et les autres ont tenu leurs serments; les uns en allant mourir au gibet ou aux travaux forcés pour leurs idées; Alexandre en laissant la couronne à son frère Nicolas.

    Les dix années qui s'écoulèrent depuis la rentrée des troupes jusqu'en 1825, forment l'apogée de l'époque de Pétersbourg. La Russie de Pierre Ier se sentait forte, jeune, pleine d'espérance. Elle pensait que la liberté pouvait s'inoculer avec la même facilité que la civilisation, et oubliait que celle-ci n'avait pas encore dépassé la surface et n'appartenait qu'à une très petite minorité. Cette minorité était en vérité développée au point qu'elle ne pouvait rester dans les conditions provisoires du régime impérial.

    C'était la première opposition véritablement révolutionnaire qui se formait en Russie. L'opposition qu'avait rencontrée la civilisation, au commencement du XVIIIe siècle, était conservatrice. Celle même que faisaient quelques grands seigneurs, tels que le comte Panine, sous l'impératrice Catherine II, ne sortait pas du cercle des idées strictement monarchiques; elle était parfois énergique, mais toujours soumise et respectueuse. La direction qui s'empara des esprits après 1812 lut une tout autre. La collision entre le despotisme protecteur et la civilisation protégée devint imminente. Le premier combat qu'elles se livrèrent fut le 14 (26) décembre. L'absolutisme resta vainqueur; il montra alors quelle force il possédait pour le mal.

    é aux conditions du régime impérial, a pu paraître étrange, et pourtant il exprime le caractère qui frappe le plus, lorsqu'on envisage de près les actes du gouvernement russe. Ses institutions, ses lois, ses projets, tout en lui est évidemment temporaire, transitoire, sans être déterminé et sans forme définitive. Ce n'est pas un gouvernement conservateur, dans le sens du gouvernement autrichien, entre autres, parce qu'il n'a rien à conserver, à l'exception de sa force matérielle et de l'intégrité du territoire. lia débuté par une destruction tyrannique des institutions, des traditions, des mœurs, des lois, des coutumes du pays, et il continue par une série de bouleversements, sans acquérir de la stabilité et de la régularité.

    Chaque règne met en question la majeure partie des droits et des institutions; on défend aujourd'hui ce qu'on ordonnait hier, on modifie, on varie, on abroge les lois: le code publié par Nicolas est la meilleure preuve du manque de principes et d'unité dans la législation impériale. Ce code présente la réunion de toutes es lois existantes, c'est une juxtaposition d'ordonnances, de dispositions, d'oukases plus ou moins contradictoires qui expriment beaucoup mieux le caractère du prince ou l'intérêt du moment que l'esprit d'une législation unitaire. Le code du tzar Alexis sert de base, les ordonnances de Pierre Ier, conçues dans une tout autre tendance, servent de continuation: une loi de Catherine, dans l'esprit de Beccaria et de Montesquieu, s'y trouve à côté des ordres du jour de Paul Ier qui surpassent tout ce qu'on peut trouver de plus absurde et de plus arbitraire dans les édits des empereurs romains. Le gouvernement russe, comme tout ce qui n'a pas de racine historique, non seulement n'est pas conservateur, mais tout au contraire, il aime les innovations jusqu'à la folie. Il ne laisse rien en repos, et s'il améliore rarement, il change continuellement. C'est l'histoire des uniformes qu'on modiiie sans cesse et sans motif, pour les civils comme pour les militaires, passe-temps qui ne manquent pas de coûter des sommes immenses. C'est l'histoire du rebadigeonnage de vieux bâtiments, preuve de bon goût et du degré de la civilisation du gouvernement russe. Quelquefois on fait des révolutions entières en Russie, sans qu'on s'en aperçoive à l'étranger grâce au manque de publicité et au mutisme général. C'est ainsi qu'en 1838 on changea radicalement l'administration de toutes les communes rurales de l'empire. Le gouvernement s'immisça dans les affaires de la commune, il plaça chaque village sous une double surveillance de la police, Il commença une organisation forcée des travaux agricoles, il depouilla des communes et en enrichit d'autres, il établit enfin une administration nouvelle pour 17. 000. 000 d'hommes, sans que cet événement, qui a cependant presque toutes les dimensions une révolution, ait seulement transpiré en Europe.

    Les paysans, craignant les cadastres et les interventions des agents publics, qu'ils connaissaient pour des pillards privilégies uniformés, s'insurgèrent dans beaucoup d'endroits. Dans quelques districts des gouvernements de Kazan, Viatka et Tambov, on est allé jusqu'à les mitrailler, et le nouvel ordre jut maintenu.

    Un état pareil ne peut durer longtemps, et ce fut pour la première fois depuis 1812 qu'on commença à le sentir.

    Le temps d'une association politique et secrète était parfaitement bien choisi, sous tous les rapports. La propagande littéraire était très active; le célèbre Ryléieff en était l'âme, lui et ses amis, ils ont imprimé à la littérature russe ce caractère d'énergie et d'entrain qu'elle n'a jamais eu ni avant ni après. Ce n'étaient pas seulement des paroles, c'étaient des actes. On voyait une résolution prise, un but certain, on ne s'abusait pas sur le danger, mais on marchait d'un pas ferme et la tête haute vers une solution irrévocable.

    érature chez un peuple qui n'a point de liberté publique est la seule tribune, du haut de laquelle il puisse faire entendre le cri de son indignation et de sa conscience.

    L'influence de la littérature dans une société ainsi faite acquiert des dimensions que celles des autres pays de l'Europe ont perdues depuis longtemps. Les poésies révolutionnaires de Ryléieff et de Pouchkine se trouvent entre les mains des jeunes gens dans les provinces les plus éloignées de l'empire. Il n'y a point de demoiselle bien élevée qui ne les connaisse par cœur, d'officier qui ne les porte dans son havresac, pas de fils de prêtre qui n'en eût fait une douzaine de copies. Ces dernières années, cette ardeur s'est de beaucoup refroidie, parce qu'elles ont produit leur impression; toute une génération a subi l'influence de cette propagande jeune et ardente.

    épandait avec célérité à Pétersbourg, à Moscou, dans la Petite-Russie, parmi les officiers de la garde et de la 2e armée. Les Russes indolents, tant qu'ils ne trouvent pas d'impulsions, sont faciles à se laisser entraîner. Une fois entraînés, ils vont aux dernières conséquences sans chercher d'accommodement.

    Depuis Pierre Ier on a beaucoup parlé de la faculté d'imitation que les Russes poussaient jusqu'au ridicule. Quelques savants Allemands prétendaient que les Slaves fussent dénués de tout caractère propre, que leur qualité distinctive se bornât à l'acceptivité. En effet la nationalité slave a une grande élasticité; un fois sortie de l'exclusivisme patriotique, elle ne trouve plus d'obstacle infranchissable pour comprendre les autres nationalites. La science allemande qui ne passe pas le Rhin, et la poésie anglaise, qui s'altère en traversant le Pas-de-Calais, ont acquis, il y a longtemps, le droit de cité chez les Slaves. Il faut ajouter à cela, qu'au fond de cette acceptivité des Slaves, il y a quelque chose d'original qui, tout en se prêtant aux influences extérieures, conserve son propre caractère.

    Nous retrouvons ce trait de l'esprit russe dans la marche de la conjuration qui nous occupe. Au commencement, elle eut une tendance constitutionnelle, libérale dans le sens anglais. Mais à peine cette opinion fut-elle acceptée, que l'association se transforma, elle devint plus radicale, à la suite de quoi beaucoup de membres l'abandonnèrent. Le noyau des conjurés se fit républicain et no voulut plus se contenter d'une monarchie représentative. Ils pensaient avec raison que s'ils avaient assez de force pour limiter l'absolutisme, ils en auraient assez pour l'anéantir. Les chefs de l'union du Sud avaient en vue une fédéralisation' républicaine des Slaves, ils travaillaient à une dictature révolutionnaire qui devait organiser les formes républicaines.

    à la Société du Nord, il plaça la question sur un autre terrain. Il pensa que la proclamation de la république n'avancerait rien si l'on n'entraînait pas la propriété foncière dans la révolution. N'oublions pas qu'il s'agit ici des faits qui se sont passés entre 1817 et 1825. Les questions sociales n'occupaient alors personne en Europe, Gracchus Babœuf, «le fou, le sauvage» était déjà oublié, Saint-Simon écrivait ses traités, mais personne ne les lisait; Fourier était dans le même cas, les essais d'Owen n'intéressaient pas davantage. Les plus grands libéraux de ces temps, les Benjamin Constant, les P. L. Courier auiaient jeté des cris d'indignation en entendant les propositions de Pestel, propositions qui ne se taisaient pas dans un club composé de prolétaires, mais devant une grande association totalement formée de la noblesse la plus riche. Pestel lui proposait d'arriver, au prix de leur vie, à l'expropriation de leurs biens. On ne s'accordait pas avec lui, ses opinions bouleversaient trop les principes de l'économie politique qu'on venait à peine d'apprendre. Mais on ne l'accusait pas de vouloir le pillage et le massacre; Pestel restait néanmoins le véritable chef de l'association du Sud, et il est plus que probable, qu'en cas de succès, il serait devenu dictateur, lui qui était socialiste avant le socialisme.

    Pestel n'était ni rêveur, ni utopiste; tout au contraire, il était complètement dans la réalité, il connaissait l'esprit de sa nation. En laissant les terres à la noblesse, on aurait obtenu une oligarchie, le peuple n'aurait même pas compris son affranchissement, le paysan russe ne voulant être libre qu'avec sa terre.

    Ce fut encore Pestel qui pensa le premier à faire participer le peuple à la révolution. Il était d'accord avec ses amis que l'insurrection ne pouvait réussir sans l'appui de l'armée, mais il voulait aussi entraîner à toute force les sectaires religieux, projet profond dont la justesse et la portée seront prouvées par l'avenir.

    Après coup, nous pouvons dire que Pestel se faisait illusion: ni ses amis ne pouvaient travailler à une révolution sociale, ni le peuple faire cause commune avec la noblesse; mais il n'est donné qu'aux grands hommes de se tromper de la sorte en anticipant sur le développement des masses.

    Il se trompait en pratique, de date, mais théoriquement, il faisait une révélation. Il était prophète, et toute l'association fut une immense école pour la génération présente.

    écembre a réellement ouvert une nouvelle phase à notre éducation politique, et ce qui peut paraître étrange, la grande intluence que cette œuvre a eue et qui a agi plus que la propagande et plus que les théories, fut le soulèvement même, la conduite héroïque des conjurés sur la place publique, pendant le procès, dans les fers, en présence de l'empereur Nicolas, dans les mines, en Sibérie. Ce qui manquait aux Russes, ce n'étaient ni les tendances libérales, ni la conscience des abus, il leur manquait un précédent qui leur donnât l'audace de l'initiative. Les théories inspirent des convictions, l'exemple forme la conduite. Nulle part un pareil exemple n'est plus nécessaire que là où l'homme n'est pas habitué à poursuivre sa volonté, à se mettre en évidence, à compter sur lui-même et à estimer ses forces, où au contraire il a toujours été mineur, sans voix et sans opinion, abrité derrière la commune comme derrière une enceinte infranchissable absorbé par l'Etat dans lequel il était comme perdu. Avec la civilisation les idées de liberté s'étaient développées nécessairement, mais le mécontentement passif était trop entré dans les habitudes; on voulait sortir du despotisme, mais personne ne voulait être le premier à le faire.

    Eh bien, les premiers se présentèrent avec une grandeur d'âme et une force de caractère telles, que le gouvernement, dans son rapport officiel, n'osa ni les abaisser ni les flétrir; Nicolas se borna à les punir avec férocité. Le silence, la passivité muette étaient rompus; du haut de leur gibet, ces hommes réveillèrent l'âme de la nouvelle génération, un bandeau tomba des yeux.

    L'action du 14 décembre sur le gouvernement même ne fut pas moins décisive; de Pierre à Nicolas, le gouvernement avait tenu haut le drapeau du progrès et de la civilisation; dès l'année 1825, rien de pareil; le pouvoir ne songe qu'à ralentir le mouvement intellectuel, ce n'est plus le mot de progrès qu'on inscrit sur la bannière impériale, mais les mots: «autocratie, orthodoxie, nationalité», ce mane, fare, takel du despotisme, et de plus les deux derniers mots n'étaient là que pour la forme. Religion, patriotisme, ce n'étaient que les moyens pour raffermir l'autocratie, le peuple n'a jamais été dupe du nationalisme de Nicolas; le grand mot qui exprime son règne c'est le despotisme disant: «périsse la Russie, pourvu que le pouvoir reste illimité et intact». Avec cette devise sauvage plus de malentendu, et ce fut encore le 14 décembre qui força le gouvernement à quitter l'hypocrisie et à arborer le despotisme.

    Peu avant le sombre règne qui commença dans le sang russe et qui continua dans le sang polonais, parut le grand poète russe Pouchkine, et dès qu'il parut, il devint nécessaire, comme si la littérature russe ne pouvait se passer de lui. On a lu les autres poètes, on les a admirés, Pouchkine est dans les mains de chaque Russe civilisé, qui le relit toute sa vie. Sa poésie n'est plus ni ua essai ni une étude, ni un exercice, c'était sa vocation, et elle devint un art mûr; la partie civilisée de la nation russe trouva en lui, pour la première fois, le don de la parole poétique.

    Pouchkine est on ne peut plus national et en même temps intelligible aux étrangers. Il contrefait rarement la langue populaire des chansons russes, il exprime sa pensée telle qu'elle surgit dans son esprit. Comme tous les grands poètes, il est toujours au niveau de son lecteur, il grandit, devient sombre, orageux, tragique, son vers mugit comme la mer, comme la iorêt agitée par une tempête, mais il est en même temps serein, limpide, pétillant, avide de plaisirs, d'émotions. Partout, le poète russe est réel, rien en lui de maladif, rien de cette pathologie psychologique exagérée, de ce spiritualisme chrétien abstrait, qu'on voit si souvent dans les poètes allemands. Sa muse n'est pas un être pâle, aux nerfs attaqués, roulé dans un linceul, c'est une femme ardente, entourée de l'auréole de la santé, trop riche de sentiments véritables pour en chercher de factices, assez malheureuse pour ne pas inventer de malheurs artificiels. Pouchkine avait la nature panthéiste, épicurienne des poètes grecs, mais il y avait encore dans son âme un élément tout moderne. En se repliant sur lui-même, il trouvait au fond de son âme la pensée amère de Byron, l'ironie corrosive de notre siècle.

    ète anglais a en effet exercé une grande influence sur le poète russe. On ne sort jamais du commerce d'un homme fort et sympathique sans subir son influence, sans mûrir à ses rayons. La confirmation de ce qui vit dans notre cœur, par l'assentiment d'un esprit qui nous est cher nous donne un élan et une portée nouvelle. Mais il y a loin de cette action naturelle à l'imitation. Après les premiers poèmes de Pouchkine où l'influence de Byron se fit sentir puissamment, il devint à chaque nouvelle production de plus en plus original; toujours plein d'admiration pour le grand poète anglais, il ne fut ni son client ni son parasite, «ni traduttore ni traditore».

    Pouchkine et Byron s'écartent complètement l'un de l'autre vers la fin de leur carrière, et cela par une cause bien simple; Byron était profondément anglais et Pouchkine profondément russe, russe de la période de Pétersbourg. Il connaissait toutes les soulfrances de l'homme civilisé, mais il avait une foi dans l'avenir que l'homme de l'Occident n'avait plus. Byron, la grande individualité libre, l'homme qui s'isole dans son indépendance et qui s'enveloppe de plus en plus dans son orgueil, dans sa philosophie fière et sceptique, devient de plus en plus sombre et implacable. Il ne voyait aucun avenir prochain, accablé de pensées amères, dégoûté du monde, il va livrer ses destinées à un peuple de pirates slavo-héllènes qu'il prend pour des Grecs de l'ancien monde. Pouchkine, au contraire, se calme de plus en plus, il se plonge dans l'étude de l'histoire russe, rassemble des matériaux pour une monographie de Pougatcheff, il compose un drame historique, Boris Godounoff, il a une foi instinctive dans l'avenir de la Russie; les cris de triomphe et de victoire qui l'ont frappé enfant encore, en 1813 et 1814, retentissaient dans son âme; il a été même entraîné pendant quelque temps par un patriotisme pétersbourgeois qui se vante du nombre de baïonnettes, qui s'appuie sur les canons. Sans doute cette morgue est aussi peu pardonnable que l'aristocratisme poussé à l'excès de lord Byron, mais la cause en est évidente. Il est douloureux à dire, mais Pouchkine avait un patriotisme exclusif; de grands poètes ont été courtisans, témoins Gœthe, Racine, etc.; Pouchkine n'a été ni courtisan, ni gouvernemental, mais la force brutale de l'Etat lui plaisait par instinct patriotique, ce qui fit qu'if partagea le vœu barbare de répondre aux raisonnements par des boulets. La Russie est en partie esclave, parce qu'elle tiouve de la poésie dans la force matérielle et voit de la gloire à être l'épouvantail des peuples.

    Ceux qui disent qu'Onéguine, poème de Pouchkine, est le Don Juan des mœurs russes ne comprennent ni Byron, ni Pouchkine, ni l'Angleterre, ni la Russie: ils s'en tiennent à la forme extérieure. Onéguine est la production la plus importante de Pouchkine, elle a absorbé la moitié de son existence. Ce poème sort même de la période qui nous occupe, il a été mûri par les tristes années qui ont suivi le 14 décembre, et l'on irait croire qu'une œuvre pareille, une autobiographie poétique serait une imitation!

    Onéguine, ce n'est ni Hamlet, ni Faust, ni Manfred, ni Obermann, ni Trenmor, ni Charles Moor; Onéguine est un Russe, il n est possible qu'en Russie, là il est nécessaire et on l'y rencontre a chaque pas. Onéguine, c'est un fainéant, parce qu'il n'a jamais eu d'occupation; un homme superflu dans la sphère où il se trouve, sans avoir assez de force de caractère pour en sortir. C’est un homme qui tente la vie jusqu'à la mort et qui voudrait essayer de la mort pour voir si elle ne vaut pas mieux que la vie. a tout commencé sans rien poursuivre, il a pensé d'autant plus qu'il a moins fait, il est vieux à l'âge de vingt ans et rajeunit par l'amour en commençant à vieillir. Il a toujours attendu comme nous tous, quelque chose, parce que l'homme n'a pas assez de folie pour croire à la durée de l'état actuel de la Russie… Rien n'est venu, et la vie s'en allait. Le personnage d'Onéguine est si national qu'il se rencontre dans tous les romans et dans tous les poèmes qui ont eu quelque retentissement en Russie, non pas qu'on ait voulu le copier, mais parce qu'on le trouve continuellement autour de soi ou en soi-même.

    Tchatski, le héros d'une comédie célèbre de Griboïédoff, est un Onéguine raisonneur, son frère aîné.

    éros de nos jours, par Lermontoff, est son frère cadet. Même dans, les productions secondaires, Onéguine reparaît, outré ou incomplet, mais reconnaissable. Si ce n'est lui, c'est au moins sa copie. Le jeune voyageur, dans le Tarantass du cte Sollogoub, est un Onéguine borné et mal élevé. Le fait est que tous, nous sommes plus ou moins Onéguine, à moins que nous n'aimions mieux être tchinovnik (employé) ou pomechtchik (propriétaire).

    La civilisation nous perd, nous désoriente, c'est elle qui fait que nous sommes à charge aux autres et à nous-mêmes, désœuvrés, inutiles, capricieux; que nous passons de l'excentricité à la débauche, dépensant sans regret notre fortune, notre cœur, notre jeunesse, et cherchant des occupations, des sensations, des distractions, comme ces chiens d'Aix-la-Chapelle de Heine qui demandent aux passants, comme une grâce, un coup de pied pour les désennuyer. Nous faisons tout, de la musique, de la philosophie, de l'amour, de l'art militaire, du mysticisme, pour nous distraire, pour oublier le vide immense qui nous opprime.

    Civilisation et esclavage, sans même qu'il y ait «un chiffon» entre les deux, pour empêcher que nous ne soyons pas broyés intérieurement ou extérieurement entre ces deux extrêmes forcément rapprochés!

    On nous donne une éducation large, on nous inocule les désirs, les tendances, les souffrances du monde contemporain, et l'on nous crie: «Restez esclaves, muets, passifs, ou vous êtes perdus». En récompense, on nous laisse le droit d'écorcher le paysan et de dissiper sur le tapis vert ou au cabaret l'impôt de sang et de larmes que nous prélevons sur lui.

    érêt vivace dans ce monde de servilisme et d’ambition mesquine. Et pourtant, c’est dans cette société, qu’il est condamne à vivre, car le peuple encore plus élogné de iui. «Ce monde» est au moins composé d’étres déchus de la même espéce, tandit qu’il n’y a rien de commun entre lui et le peuple. Les traditions ont été si bien rompues par Pierre Ier qu'il n'y a pas de force humaine capable de les réunir, au moins quant à présent. Il nous reste l'isolement ou la lutte et nous n'avons pas assez de force morale ni pour le premier ni pour la seconde. C'est ainsi qu'on se fait Onéguine, si l'on ne périt pas dans les maisons publiques ou dans les casemates d'une forteresse.

    é la civilisation, et Jupiter veut nous punir avec le même acharnement qu'il a mis à tourmenter Prométhée.

    A côté d'Onéguine, Pouchkine a placé Vladimir Lénski, autre victime de la vie russe, le vice-versa d'Onéguine. C'est la souffrance aiguë, à côté de la souffrance chronique. C'est une de ces natures virginales, pures, qui ne peuvent s'acclimater dans un milieu corrompu et fou, qui ont accepté la vie, mais ne peuvent rien accepter de plus du sol immonde, si ce n'est la mort. Victimes expiatoires, ces adolescents passent jeunes, pâles, marqués au front par la fatalité, comme un reproehe, comme un remords et laissent encore plus noire la nuit triste dans laquelle «nous nous mouvons et sommes».

    Pouchkine a tracé le caractère de Lénski avec cette tendresse, qu'on a pour les rêves de sa jeunesse, pour les réminiscences de ce temps où l'on a été si plein d'espérance, de pureté, d'ignorance. Lénski est le dernier cri de conscience d'Onéguine, car c'est lui-oiênie, c'est son idéal de jeunesse. Le poète a vu qu'un tel homme l'avait rien à faire en Russie, il l'a tué da la main d'Onéguine, d'Onéguine qui l'aimait et qui, en le visant, ne voulait pas le blesser. Pouchkine s'est effrayé lui-même de cette fin tragique, il se presse de consoler le lecteur, en lui traçant la vie banale qui attendait le jeune poète.

    A côté de Pouchkine se place aussi un Lénski – ce fut Vénévitinoff, âme candide et poétique écrasée par les mains grossieres de la vie russe, à vingt-deux ans.

    Entre ces deux types, entre l'enthousiaste dévoué, entre le poète, et de l'autre côté, l'homme fatigué, aigri, inutile; entre la tombe de Lénski et l'ennui d'Onéguine, se traîne le fleuve profond et bourbeux de la Russie civilisée, avec ses aristocrates, bureaucrates, officiers, gendarmes, grands-ducs et empereur, masse informe et muette de bassesse, de servilisme, de lérocité et d'envie, qui entraîne et engloutit tout, «ce goultre, comme dit Pouchkine, où, cher lecteur, nous nous baignons avec vous».

    ébuté par des poésies révolutionnaires d'une grande beauté. Alexandre l'a exilé de Pétersbourg sur les confins méridionaux de l'empire; nouvel Ovide, il passa l'époque de sa vie de 1819 à 1825 dans la Chersonese taurique. Séparé de ses amis, loin du mouvement politique, au centre d'une nature magnifique mais sauvage, Pouchkine, poète avant tout, se concentra dans son lyrisme; ses pièces lyriques sont les phases de sa vie, la biographie de son âme; on y trouve les vestiges de tout ce qui émouvait cette âme de feu, la vérité et l'erreur, l'entraînement passager d'un moment et les sympathies profondes et éternelles. Nicolas rappela Pouchkine de l'exil quelques jours après avoir fait pendre les héros du 14 décembre. Il voulut le perdre dans l'opinion publique par sa grâce, le réduire par ses bontés.

    Pouchkine rentra et ne reconnut plus ni la société de Moscou ni la société de Pétersbourg. Il ne trouva plus ses amis, on n'osait même pas proférer leur nom, on ne parlait que d'arrestations, de visites domiciliaires, d'exil; tout était sombre et terrifié. Il rencontra un instant Mickiewicz, cet autre poète slave; ils se tendirent la main comme au milieu d'un cimetière. L'orage grondait sur leurs têtes: Pouchkine revenait de l'exil, Mickiewicz s'y rendait. Leur entrevue fut lugubre, mais ils ne se comprirent pas. Le cours de Mickiewicz, au Collège de France, a mis au jour le dissentiment qui existait entre eux; pour un Polonais et un Russe le temps de se comprendre n'était pas encore arrivé.

    édie, nomma Pouchkine gentilhomme de la chambre. Celui-ci saisit le trait et ne vint pas à la cour. On lui présenta alors l'alternative de se rendre au Caucase ou de revêtir l'habit de cour. Il était déjà marié à une femme qui a causé ensuite sa perte, un second exil qui paraissait plus pénible que le premier, – il opta pour la cour. On reconnaît le mauvais côté du caractère russe dans ce manque de fierté, de résistance, dans cette souplesse douteuse.

    Le grand-duc héritier le complimentant un jour à l'occasion de sa promotion, «Altesse, lui répondit Pouchkine, vous êtes le premier qui me félicitez à ce sujet».

    En 1837, Pouchkine fut tué en duel par un de ces spadassins étrangers qui, comme les mercenaires du moyen âge ou les Suisses de nos jours, vont mettre leur épée au service de tout despotisme. Il tomba au milieu de la plénitude de ses forces, sans avoir achevé ses chants, sans avoir dit ce qu'il avait à dire.

    étersbourg, à l'exception de la cour et de son entourage, pleura; ce fut alors seulement qu'on vit quelle popularité il avait acquise. Pendant son agonie, une foule compacte se pressait autour de sa maison pour avoir des nouvelles de sa santé. Comme c'était à deux pas du Palais d'hiver, l'empereur put, de ses fenêtres, contempler la foule; il en conçut de la jalousie et confisqua au public les funérailles du poète; on transporta furtivement, par une nuit glaciale, le corps de Pouchkine, entouré de gendarmes et d'agents de police, dans une tout autre église que celle de sa paroisse; là, un prêtre lut hâtivement la messe des morts, un traîneau emporta le corps du poète dans un couvent du gouvernement de Pskov, où se trouvaient ses terres. Lorsque la foule ainsi trompée se porta à l'église où avait été déposé le défunt, la neige avait déjà effacé toute trace du convoi.

    éservé chez nous à quiconque ose lever la tête au-dessus du niveau tracé par le sceptre impénal; poète, citoyen, penseur, une fatalité inexorable les pousse dans la tombe. L'histoire de notre littérature est un martyrologe ou un registre des bagnes. Ceux-mêmes que le gouvernement a'épargnés périssent, à peine éclos, se pressant de quitter la vie. Là sotto i giorni brevi e nebulosi Nasce una goûte a cui il morir non duole.

    Ryléieff pendu par Nicolas.

    Pouchkine tué dans un duel, à trente-huit ans.

    Griboïédoff assassiné à Téhéran.

    é dans un duel, à 30 ans, au Caucase.

    Vénévitinoff tué par la société, à vingt-deux ans.

    Koltzoff tué par sa famille, à trente-trois ans.

    Bélinnski tué, à trente-cinq ans, par la faim et la misère.

    éjaïetf mort dans un hôpital militaire, après avoir été forcé de servir comme soldat au Caucase pendant huit années.

    ès un exil de douze ans.

    é au Caucase tout jeune encore, après les travaux forcés en Sibérie…

    «Malheur, dit l'Ecriture, aux peuples qui lapident leurs prophètes!» Mais le peuple russe n'a rien à craindre, car il n'y a rien à ajouter à son malheureux sort.

    –1825

    Первая часть петербургского периода закончилась войною 1812 года. До этого времени во главе общественного движения стояло правительство; отныне рядом с ним идет дворянство. До 1812 года сомневались в силе народа и питали несокрушимую веру во всемогущество правительства: Аустерлиц был далеко, Эйлау принимали за победу, а Тильзит – за славное событие. В 1812 году неприятель вошел в Мемель и, пройдя через всю Литву, очутился под Смоленском, этим «ключом» России. Объятый ужасом Александр примчался в Москву молить о помощи дворянство и купечество. Он пригласил их в заброшенный Кремлевский дворец, чтобы обсудить, как помочь отечеству. Со времен Петра I русские государи не говорили с народом; надо думать, велика была опасность, если император Александр во дворце, а митрополит Платон в соборе заговорили об угрозе, которая нависла над Россией.

    вправе проливать и без его согласия, – народ этот, не дожидаясь призыва, поднимался всей массой за свое собственное дело.

    Впервые со времени восшествия на престол Петра I имело место это безмолвное единение всех классов. Крестьяне безропотно вступали в ряды ополчения, дворяне давали каждого десятого из своих крепостных и сами брались за оружие; купцы жертвовали десятую часть своих доходов. Народное волнение охватило всю империю; спустя шесть месяцев после оставления Москвы на границах Азии появились толпы вооруженных людей, спешивших из глубины Сибири на защиту столицы. Весть о ее взятии и пожаре потрясла всю Россию, ибо для народа подлинной столицей была Москва. Она искупила, пожертвовав собой, усыпляющий царский строй; она вновь поднималась в ореоле славы; сила врага сломилась в ее стенах; в Кремле началось отступление завоевателя, которому предстояло закончиться лишь на острове св. Елены. При первом же пробуждении народа Петербург затмился, а Москва, столица без императора, принесшая себя в жертву для общего отечества, приобрела новое значение.

    Невозможно было сразу перейти от волнений национальной войны, от славной прогулки по всей Европе, от взятия Парижа к мертвому штилю петербургского деспотизма. Само правительство не могло сразу же вернуться к своим старым замашкам. Александр, тайком от князя Меттерниха, притворялся либералом, высмеивал ультрамонархические проекты Бурбонов и разыгрывал роль конституционного короля Польши.

    Что же до нищего крестьянина, то он возвратился в свою общину, к своей сохе, к своему рабству. Ничто для него не изменилось, ему не пожаловали никаких льгот в благодарность за победу, купленную его кровью. Александр подготавливал ему в награду чудовищный проект военных поселений.

    как прежде. В обществе стали часто проявляться рыцарские чувства чести и личного достоинства, неведомые до тех пор русской аристократии плебейского происхождения, вознесенной над народом милостью государей. В то же время дурное управление, продажность чиновников, полицейский гнет стали вызывать всеобщий ропот. Было ясно, что правительство, организованное подобным образом, не могло, при всей его доброй воле, ограждать от этих злоупотреблений, что нечего было ждать справедливости от богадельни для стариков, которую торжественно именовали правительствующим сенатом, – от этого собрания смиренных невежд, игравшего роль кладовой, куда правительство убирало старых чиновников, не заслуживавших ни быть оставленными в аппарате управления, ни быть оттуда изгнанными. Государственные люди, пользующиеся большим авторитетом, как, например, старик адмирал Мордвинов, говорили вслух о крайней необходимости многих реформ. Сам Александр желал улучшений, но не знал, как приступить к ним. Историк-абсолютист Карамзин и Сперанский, составитель свода законов Николая I, работали по его приказу над проектом конституции.

    общество. Это общество должно было заниматься политическим воспитанием молодого поколения, распространять идеи свободы и тщательно изучать сложный вопрос радикальной и полной реформы образа правления в России. Не удовольствовавшись одной лишь теорией, они в то же время организовали свое общество таким образом, чтобы воспользоваться первым удобным случаем и поколебать императорскую власть. Все самое благородное среди русской молодежи – молодые военные, как Пестель, Фонвизин, Нарышкин, Юшневский, Муравьев, Орлов, самые любимые литераторы, как Рылеев и Бестужев, потомки самых славных родов, как князь Оболенский, Трубецкой, Одоевский, Волконский, граф Чернышев, – поспешили вступить в ряды этой первой фаланги русского освобождения. Вначале общество приняло название «Союза благоденствия».

    Как ни странно, но в то самое время, когда эти пылкие молодые люди, полные веры и сил, давали клятву ниспровергнуть петербургский абсолютизм, Александр давал клятву накрепко связать Россию с неограниченными монархиями Европы. Он только что создал знаменитый Священный союз – союз мистический, бесполезный, невозможный, нечто вроде абсолютистского Грютли, Тугендбунда, образованного тремя коронованными студентами, среди которых Александр играл роль горячей головы. Те и другие сдержали клятву: одни – идя умирать за свои идеи на виселицу или на каторгу, а Александр – оставив корону своему брату Николаю.

    Десять лет, со времени возвращения войск и до 1825 года, являются апогеем петербургского периода. Россия Петра I чувствовала себя сильной, юной, полной надежд. Она полагала, что свобода способна привиться с такою же легкостью, как цивилизация, забывая, что цивилизация еще не проникла дальше поверхности и является достоянием лишь очень незначительного меньшинства. Но меньшинство это действительно обладало таким развитием, что не могло мириться с провизорными условиями царского строя.

    Это была первая поистине революционная оппозиция, создававшаяся в России. Оппозиция, встреченная цивилизацией в начале XVIII столетия, была консервативной. И даже та, которую образовали в царствование Екатерины II несколько вельмож, подобно графу Панину, не выходила из круга строго монархических идей: порою она бывала энергичной, но всегда оставалась покорной и почтительной. Направление умов после 1812 года было совершенно иным. Столкновение между покровителем – деспотизмом и покровительствуемой цивилизацией стало неминуемым. Первая битва между ними произошла 14(26) декабря. Победителем остался абсолютизм, показав, какой силой располагал он для причинения зла.

    действий русского правительства. Его установления, законы, проекты – все в нем явно непостоянное, преходящее, лишенное определенности и законченной формы. Это не какое-нибудь консервативное правительство, в духе австрийского, например, потому что ему нечего сохранять, кроме материальной силы и целостности своей территории. Оно дебютировало тираническим разгромом установлений, традиций, нравов, законов и обычаев страны, а продолжает – целым рядом переворотов, не приобретая устойчивости и упорядоченности. Каждое царствование ставит под вопрос большую часть прав и установлений; то, что предписано было вчера, сегодня воспрещается; законы то меняются, то ограничиваются, то упраздняются. Свод законов, изданный Николаем, – лучшее свидетельство отсутствия принципов и единства в имперском законодательстве. Этот свод представляет собою собрание всех существующих законов, это смесь распоряжений, повелений, указов, более или менее противоречивых, которые гораздо лучше выражают характер государя или интересы дня, нежели дух единого законодательства. Основой служит уложение царя Алексея, а продолжением – указы Петра I, проникнутые совсем иной тенденцией; рядом с законом Екатерины, в духе Беккариа и Монтескье, находишь там суточные приказы Павла I, превосходящие все самое нелепое и своевластное, что было в эдиктах римских императоров. Русское правительство, подобно всему, что лишено исторических корней, не только не консервативно, но, совсем напротив, оно до безумия любит нововведения. Оно ничего не оставляет в покое и, если редко что-либо улучшает, зато постоянно изменяет. Такова история беспрерывного и беспричинного видоизменения форменной одежды как гражданских, так и военных чинов, – это развлечение обошлось, разумеется, в огромную сумму. Такова же история перекрашивания старых зданий – свидетельство хорошего вкуса и степени цивилизованности русского правительства. Порою в России совершаются целые революции, но это остается вовсе неизвестным за границей вследствие недостатка гласности и всеобщей немоты. Так, в 1838 году коренным образом было изменено управление всеми сельскими общинами империи. Правительство вмешалось в дела общины, установило двойной полицейский надзор за каждой деревней, начало вводить принудительную организацию полевых работ, обездолило одни общины, обогатив за их счет другие, наконец, создало для 17 000 000 человек новую форму управления, причем даже это событие, чуть ли не достигшее размеров революции, осталось не известным Европе.

    Крестьяне, опасаясь кадастра и вмешательства чиновников, которых знали как одетых в мундир привилегированных грабителей, во многих местах взбунтовались. В некоторых, уездах Казанской, Вятской и Тамбовской губерний дело дошло Е?у до того, что крестьян расстреливали картечью, и новый порядок был сохранен.

    Подобное положение вещей долго длиться не может, и впервые это почувствовали после 1812 года.

    Время для тайного политического общества было выбрано прекрасно во всех отношениях. Литературная пропаганда велась очень деятельно. Душой ее был знаменитый Рылеев: они его друзья придали русской литературе энергию и воодушевление, которыми она никогда не обладала ни раньше, ни позже. То были не только слова, то были дела. Знали, что принято решение, что есть определенная цель и, не заблуждаясь относительно опасности, шли шагом, с высоко поднятой головой, к неотвратимой развязке.

    – единственная трибуна, с высоты которой он заставляет услышать крик своего возмущения и своей совести. Влияние литературы в подобном обществе приобретает размеры, давно утраченные другими странами Европы. Революционные стихи Рылеева и Пушкина можно найти в руках у молодых людей, в самых отдаленных областях империи. Нет ни одной благовоспитанной барышни, которая не знала бы их наизусть, ни одного офицера, который не носил бы их в своей полевой сумке, ни одного поповича, который не снял бы с них дюжину копий. В последние годы пыл этот значительно охладел, ибо они уже сделали свое дело: целое поколение подверглось влиянию этой пылкой юношеской пропаганды.

    дают себя увлечь. А увлекшись, они идут на все последствия и не ищут какого-либо соглашения.

    Со времени Петра I много говорилось о способности русских к подражанию, которое они доводят до смешного. Несколько немецких ученых утверждали, будто славяне вовсе, лишёны самобытности, будто. Отличительным их свойством является лишь переимчивость. Славяне действительно обладают большой эластичностью: выйдя однажды из своей патриотической исключительности, они уже не находят непреодолимого препятствия для понимания других национальностей. Немецкая наука, которая не переходит за Рейн, и английская поэзия, которая ухудшается, переправляясь через Па-де-Кале, давно приобрели право гражданства у славян. К этому надо прибавить, что в основе переимчивости славян есть нечто своеобразное, нечто такое, что, хотя и поддается внешним влияниям, все же сохраняет свой собственный характер.

    Мы встречаем эту черту русской души и в ходе интересующего нас заговора. Вначале он имел конституционную и либеральную тенденцию в английском смысле. Но стоило этому воззрению получить поддержку, как Союз преобразился: он стал более радикальным, вследствие чего многие его покинули. Ядро заговорщиков стало республиканским и не пожелало более довольствоваться представительной монархией. Они справедливо считали, что если хватит у них силы ограничить самодержавие, то ее хватит и на то, чтобы его уничтожить. Главари Южного общества имели в виду республиканскую федерацию славян, они подготавливали революционную диктатуру, которая должна была установить республиканские формы.

    – он там поставил вопрос по-иному. Он полагал, что провозглашение республики ни к чему не приведет, если не вовлечь в революцию поземельную собственность. Не будем забывать, что дело идет здесь о событиях, которые произошли между 1817 и 1825 годами. Социальные вопросы никого тогда не занимали в Европе, «безумец и дикарь» Гракх Вабёф был уже забыт, Сен-Симон писал свои трактаты, но никто не читал их, в том же положении был Фурье, не больше интересовались и опытами Оуэна. Самые видные либералы того времени – Бенжамены Констаны, П. Л. Курье – встретили бы негодующими криками предложения Пестеля, – предложения, сделанные не в клубе, членами которого были пролетарии, но перед большим обществом, целиком состоявшим из самых богатых дворян. Пестель предлагал этим дворянам добиваться, пусть даже ценою жизни, экспроприации их собственных имений. С ним не соглашались, его убеждения ниспровергали только что усвоенные принципы политической экономии. Но ему не приписывали желания грабить и убивать; Пестель все же оставался истинным вождем Южного обществам и весьма вероятно – что в случае успеха он стал бы диктатором, – он, который был социалистом прежде, чем появился социализм.

    Пестель не был ни мечтателем, ни утопистом: совсем напротив, он весь принадлежал действительности, он знал дух своей нации. Оставить земли дворянам значило бы создать олигархию; народ даже не понял бы своего освобождения, ибо русский крестьянин хочет быть свободным не иначе, как владея собственной землей.

    собой раскольников – глубокий замысел, правильность и дальновидность которого докажет будущее.

    После всех событий мы можем сказать, что Пестель заблуждался: ни друзья его не могли подготовить социальную революцию, ни народ – участвовать в общем деле с дворянством; но только великим людям дано ошибаться подобным образом, предвосхищая развитие народных масс.

    – огромной школой для нынешнего поколения.

    14(26) декабря действительно открыло новую фазу нашего политического воспитания, и – что может показаться странным – причиной огромного влияния, которое приобрело это дело и которое сказалось на обществе больше, чем пропаганда, и больше, чем теории, было само восстание, геройское поведение заговорщиков на площади, на суде, в кандалах, перед лицом императора Николая, в сибирских рудниках. Русским недоставало отнюдь не либеральных стремлений или понимания совершавшихся злоупотреблений: им недоставало случая, который дал бы им смелость инициативы. Теория внушает убеждения, пример определяет образ действий. Подобный пример всего необходимей там, где человек не привык осуществлять свою волю, выступать открыто, полагаться на себя и чувствовать свои силы; где, напротив, он всегда был несовершеннолетним, не имел ни голоса, ни своего мнения, хоронился за общиной, будто за неприступной стеной, и был поглощен государством, как бы затерявшись в нем. Вместе с цивилизацией, естественно, развивались также идеи свободы, но пассивное недовольство слишком вошло в привычку, – от деспотизма хотели избавиться, но никто не хотел взяться за дело первым.

    И вот эти первые пришли, явив такое величие души, такую силу характера, что правительство не посмело в своем официальном донесении ни унизить их, ни заклеймить позором; Николай ограничился жестоким наказанием. Безмолвию, немому бездействию был положен конец; с высоты своей виселицы эти люди пробудили душу у нового поколения; повязка спала с глаз.

    – ничего похожего: власть только о том и думает, как бы замедлить умственное движение; уже не слово «прогресс» пишется на императорском штандарте, а слова «самодержавие, православие и народность» – это mane, fares, takel деспотизма, причем последние два слова стояли там только для проформы. Религия, патриотизм были всего лишь средством укрепить самодержавие, народ никогда не обманывался насчет национализма Николая; ярчайшее выражение его царствования – девиз деспотизма: «Пусть погибнет Россия, лишь бы власть осталась неограниченной и нерушимой». Этот дикарский девиз устраняет все недоразумения, именно 14 декабря принудило правительство отбросить лицемерие и открыто провозгласить деспотизм.

    не могла без него обойтись. Читали других поэтов, восторгались ими, но произведения Пушкина – в руках у каждого образованного русского, и он перечитывает их всю свою жизнь. Его поэзия – уже не проба пера, не литературный опыт, не упражнение: она – его призвание, и она становится зрелым искусством; образованная часть Русской нации обрела в нем впервые дар поэтического слова. Пушкин как нельзя более национален и в то же время понятен иностранцам. Он редко подделывается под просторечие русских песен, он передает свою мысль такой, какой она возникает в нем. Подобно всем великим поэтам он всегда на уровне своего читателя; он становится величавым, мрачным, грозным, трагичным, стих его шумит, как море, как лес, раскачиваемый бурею, и в то же время он ясен, прозрачен, сверкает, полон жаждой наслаждения и душевных волнений. Русский поэт реален во всем, в нем нет ничего болезненного, ничего от того преувеличенного патологического психологизма, от того абстрактного христианского спиритуализма, которые так часто встречаются у немецких поэтов. Муза его – не бледное создание с расстроенными нервами, закутанное в саван, а пылкая женщина, сияющая здоровьем, слишком богатая подлинными чувствами, чтобы искать поддельных, и достаточно несчастная, чтобы иметь нужду в выдуманных несчастьях. У Пушкина была пантеистическая и эпикурейская натура греческих поэтов, но был в его душе и элемент вполне современный. Углубляясь в себя, он находил в недрах души горькую думу Байрона, едкую иронию нашего века.

    В Пушкине видели подражателя Байрону. Английский поэт действительно оказал большое влияние на русского. Общаясь с сильным и привлекательным человеком, нельзя не испытать его влияния, нельзя не созреть в его лучах. Сочувствие ума, который мы высоко ценим, дает нам вдохновение и новую силу, утверждая то, что дорого нашему сердцу. Но от этой естественной реакции далеко до подражания. После первых своих поэм, в которых очень сильно ощущается влияние Байрона, Пушкин, с каждым новым произведением, становится все более оригинальным; всегда глубоко восхищаясь великим английским поэтом, он не стал ни его клиентом, ни его паразитом, ни traduttore, ни traditore.[35]

    К концу своего жизненного пути Пушкин и Байрон совершенно отдаляются друг от друга, и по весьма простой причине: Байрон был до глубины души англичанин, а Пушкин – до глубины души русский, – русский петербургского периода. Ему были ведомы все страдания цивилизованного человека, но он обладал верой в будущее, которой человек Запада уже лишился. Байрон, великая свободная личность, человек, уединяющийся в своей независимости, все более замыкающийся в своей гордости, в своей надменной, скептической философии, становится все более мрачным и непримиримым. Он не видел перед собой никакого близкого будущего и, удрученный горькими мыслями, полный отвращения к свету, готов связать свою судьбу с племенем славяно-эллинских морских разбойников, которых принимает за греков античных времен. Пушкин, напротив, все более успокаивается, погружается в изучение русской истории, собирает материалы для исследования о Пугачеве, создает историческую драму «Борис Годунов». Он обладает инстинктивной верой в будущность России; в душе его звучали торжествующие, победные клики, поразившие его еще в детстве, в 1813 и 1814 годах; одно время он даже увлекался петербургским патриотизмом, который похваляется количеством штыков и опирается на пушки. Эта спесь, конечно, столь же мало извинительна, как и доведенный до крайности аристократизм лорда Байрона, однако причина ее ясна. Грустно сознаться, но патриотизм Пушкина был узким; среди великих поэтов встречались царедворцы, свидетельством тому – Гёте, Расин и др.; Пушкин не был ни царедворцем, ни сторонником правительства, но грубая сила государства льстила его патриотическому инстинкту, вот почему он разделял варварское желание отвечать на возражения ядрами. Россия – отчасти раба и потому, что она находит поэзию в материальной силе и видит славу в том, чтобы быть пугалом народов.

    Те, кто говорят, что пушкинский «Онегин» – это русский «Дон-Жуан», не понимают ни Байрона, ни Пушкина, ни Англии, ни России: они судят по формальным признакам. «Онегин» – самое значительное творение Пушкина, поглотившее половину его жизни. Возникновение этой поэмы относится именно к тому периоду, который нас занимает, она созрела под влиянием печальных лет, последовавших за 14 декабря. И кто же поверит, что подобное произведение, поэтическая автобиография, может быть простым подражанием?

    – это ни Гамлет, ни Фауст, ни Манфред, ни Оберман, ни Тренмор, ни Карл Моор; Онегин – русский, он возможен лишь в России; там он необходим, и там его встречаешь на каждом шагу. Онегин – человек праздный, потому, что он никогда и ничем не был занят; это лишний человек в той среде, где он находится, не обладая нужной силой характера, чтобы вырваться из нее. Это человек, который испытывает жизнь вплоть до самой смерти и который хотел бы отведать смерти, чтобы увидеть, не лучше ли она жизни. Он все начинал, но ничего не доводил до конца; он тем больше размышлял, чем меньше делал, в двадцать лет он старик, а к старости он молодеет благодаря любви. Как и все мы, он постоянно ждал чего-то, ибо человек не так безумен, чтобы верить в длительность настоящего положения в России… Ничто не пришло, а жизнь уходила. Образ Онегина настолько национален, что встречается во всех романах и поэмах, которые получают какое-либо признание в России, и не потому, что хотели копировать его, а потому, что его постоянно находишь возле себя или в себе самом. Чацкий, герой знаменитой комедии Грибоедова, – это Онегин-резонер, старший его брат.

    Герой нашего времени Лермонтова – его младший брат. Онегин появляется даже во второстепенных сочинениях; утрированно ли он изображен или неполно – его всегда легко узнать. Если это не он сам, то, по крайней мере, его двойник. Молодой путешественник в «Тарантасе» гр. Соллогуба – ограниченный и дурно воспитанный Онегин. Дело в том, что все мы в большей или меньшей степени Онегины, если только не предпочитаем быть чиновниками или помещиками

    Цивилизация нас губит, сбивает нас с пути; именно она делает нас, бездельных, бесполезных, капризных, в тягость другим и самим себе, заставляет переходить от чудачества к разгулу, без сожаления растрачивать наше состояние, наше сердце, нашу юность в поисках занятий, ощущений, развлечений, подобно тем ахенским собакам у Гейне, которые, как милости, просят у прохожих пинка, чтобы разогнать скуку. Мы занимаемся всем: музыкой, философией, любовью, военным искусством, мистицизмом, чтобы только рассеяться, чтобы забыть об угнетающей нас огромной пустоте. Цивилизация и рабство – даже без всякого лоскутка между ними, который помешал бы раздробить нас физически или духовно меж этими двумя насильственно сближенными крайностями!

    Нам дают широкое образование, нам прививают желания, стремления, страдания современного мира, а потом кричат: «Оставайтесь рабами, немыми и пассивными, иначе вы погибли». В возмещение за нами сохраняется право драть шкуру с крестьянина и проматывать за зеленым сукном или в кабаке ту подать крови и слез, которую мы с него взимаем.

    «Этот свет» хотя бы состоит из падших существ одной с ним породы, тогда как между ним и народом ничего нет общего. Петр I так разорвал все традиции, что никакая сила человеческая не соединит их – но крайней мере в настоящее время. Остается одиночество или борьба, но у нас не хватает нравственной силы ни на то, ни на другое. Таким-то образом и становятся Онегиными, если только не погибают в домах терпимости или в казематах какой-нибудь крепости. Мы похитили цивилизацию, и Юпитер с той же яростью пожелал наказать нас, с какой он терзал Прометея.

    [36] Онегина. Это – остро страдание рядом с хроническим. Это одна из тех целомудренных, чистых натур, которые не могут акклиматизироваться в развращенной и безумной среде, – приняв жизнь, они больше ничего не могут принять от этой нечистой почвы, разве только смерть. Эти отроки – искупительные жертвы – юные, бледные, с печатью рока на челе, проходят как упрек, как угрызение совести, и печальная ночь, в которой «мы движемся и пребываем», становится еще чернее.

    Пушкин обрисовал характер Ленского с той нежностью, которую испытывает человек к грезам своей юности, к воспоминаниям о временах, когда он был так полон надежды, чистоты, неведения. Ленский – последний крик совести Онегина ибо это он сам, это его юношеский идеал. Поэт видел, что такому человеку нечего делать в России, и он убил его рукой Онегина, – Онегина, который любил его и, целясь в него, не хотел ранить. Пушкин сам испугался этого трагического конца; он спешит утешить читателя, рисуя ему пошлую жизнь, которая ожидала бы молодого поэта.

    – то Веневитинов, правдивая, поэтическая душа, сломленная в свои двадцать два года грубыми руками русской действительности.

    Между этими двумя типами, между самоотверженным энтузиастом-поэтом и человеком усталым, озлобленным, лишним, между могилой Ленского и скукой Онегина медленно течет глубокая и грязная река цивилизованной России, с ее аристократами, бюрократами, офицерами, жандармами, великими князьями и императором, – бесформенная и безгласная масса низости, раболепства, жестокости и зависти, увлекающая и поглощающая все, «сей омут, – как говорит Пушкин, – где мы с вами купаемся, дорогой читатель».

    Таврическом. Разлученный с друзьями, вдали от политической жизни, среди роскошной, но дикой природы, Пушкин, поэт прежде всего, весь ушел с свой лиризм; его лирические стихи – это фазы его жизни, биография его души; в них находишь следы всего, что волновало эту пламенную душу: истину и заблуждение, мимолетное увлечение и глубокие неизменные симпатии.

    Николай вернул Пушкина из ссылки через несколько дней после того, как были повешены по его приказу герои 14 декабря. Своею милостью он хотел погубить его в общественном мнении, а знаками своего расположения – покорить его.

    ссылке; все было мрачно и объято ужасом. Он встретился мельком с Мицкевичем, другим славянским поэтом; они протянули друг другу руки, как на кладбище. Над их головами грохотала гроза: Пушкин возвратился из ссылки, Мицкевич отправлялся в ссылку. Их встреча была горестной, но они не поняли друг друга. Курс, прочитанный Мицкевичем в College de France, обнаружил существовавшее между ними разногласие: для русского и поляка время взаимного понимания еще не наступило.

    Продолжая комедию, Николай произвел Пушкина в камер-юнкеры. Тот понял этот ход и не явился ко двору. Тогда ему предложили на выбор: ехать на Кавказ или надеть придворный мундир. Он уже был женат на женщине, которая позже стала причиной его гибели, и вторичная ссылка ему казалась теперь еще более тяжкою, чем первая; он выбрал двор. В этом недостатке гордости и сопротивления, в этой странной податливости узнаешь дурную сторону русского характера.

    Как-то великий князь-наследник поздравил Пушкина с производством: «Ваше высочество, – ответил ему тот, – вы первый поздравляете меня по этому случаю».

    Он пал в расцвете сил, не допев своих песен и не досказав того, что мог бы сказать.

    известий о здоровье поэта. Это происходило в двух шагах от Зимнего дворца, и император мог наблюдать из своих окон толпу; он проникся чувством ревности и лишил народ права похоронить своего поэта; морозной ночью тело Пушкина, окруженное жандармами и полицейскими, тайком переправили в церковь чужого прихода, там священник поспешно отслужил по нем панихиду, и сани увезли тело поэта в монастырь, в Псковскую губернию, где находилось его имение. Когда обманутая таким образом толпа бросилась к церкви, где отпевали покойного, снег уже замел всякий след погребального шествия. Ужасный, скорбный удел уготован у нас всякому, кто осмелится поднять свою голову выше уровня, начертанного императорским скипетром; будь то поэт, гражданин, мыслитель – всех их толкает в могилу неумолимый рок. История нашей литературы – это или мартиролог, или реестр каторги. Погибают даже те, которых пощадило правительство, – едва успев расцвести, они спешат расстаться с жизнью.

    Là sotto giorni brevi e nebulosi
    Nasce una gente a cui il morir non duole[37].

    Рылеев повешен Николаем.

    Грибоедов предательски убит в Тегеране.

    Лермонтов убит на дуэли, тридцати лет, на Кавказе.

    Веневитинов убит обществом, двадцати двух лет.

    Полежаев умер в военном госпитале, после восьми лет принудительной солдатской службы на Кавказе.

    Баратынский умер после двенадцатилетней ссылки.

    «Горе народам, которые побивают камнями своих пророков!» – говорит писание. Но русскому народу нечего бояться, ибо ничем уже не ухудшить несчастной его судьбы.

    35. ни переводчиком, ни предателем (итал.).

    37. Там, под облачным небом, где краток день, рождается племя, которому умирать не жалко (итал.).

    Раздел сайта: