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  • La Russie (Россия)

    La Russie (Россия)
    Россия
    Примечания

    La Russie

    A G. H.

    <I>

    ésiré voir mes élucubrations russes sur l'histoire des événements contemporains: les voici. Je vous les adresse de bon cœur. Vous n'y trouverez rien de neuf. Ce sont là des sujets, sur lesquels nous nous sommes si souvent et si tristement entretenus, qu'il serait difficile d'y rien ajouter. Votre corps, il est vrai, tient encore à ce monde inerte et décrépit dans lequel vous vivez; mais déjà votre âme l'a quitté pour s'orienter et se recueillir en elle-même. Vous êtes ainsi arrivé au même point que moi, qui me suis éloigné d'un monde incomplet, livré encore au sommeil de l'enfance et n'ayant pas conscience de lui-même.

    à l'étroit au milieu de ces murs noirâtres, crevassés par le temps et menaçant ruine de toutes parts; j'étouffais, de mon côté, dans cette atmosphère chaude et humide, au milieu de cette vapeur calcaire d'un édifice inachevé: on ne saurait vivre dans un hôpital ni dans une crèche. Partis de deux extrêmes opposés, nous nous rencontrons au même point. Etrangers dans notre patrie, nous avons trouvé un terraia commun sur une terre étrangère. Ma tâche, il faut l'avouer, a été moins pénible que la vôtre. A moi, fils d'un autre monde, il m'a été facile de m'affranchir d'un passé que je ne connaissais que par ouï-dire et dont je n'avais aucune expérience personnelle.

    La position des Russes, à cet égard, est très remarquable. Nous sommes moralement plus libres que les Européens, et ce n'est pas seulement parce que nous sommes affranchis des grandes épreuves à travers lesquelles se développe l'Occident, mais aussi parce que nous n'avons point de passé qui nous maîtrise. Notre histoire est pauvre, et la première condition de notre vie nouvelle a été de la renier entièrement. Il ne nous est resté de notre passé que la vie nationale, le caractère national, la cristallisation de l'Etat: tout le reste est élément de l'avenir. Le mot de Goethe sur l'Amérique s'applique fort bien à la Russie:

    «Dans ton existence pleine de sève et de vie, tu n'es troublée ni par d'inutiles souvenirs, ni par de vaines discussions».

    étranger, en Europe; vous, vous vous êtes fait étranger. Une fois seulement, et pour quelques instants, nous nous sommes sentis chez nous: c'était au printemps de1848. Mais combien cher nous avons payé ce rêve, quand, au réveil, nous nous sommes trouvés au bord de l'abíme, sur la pente du quel est placée la vieille Europe, aujourd'hui sans force, sans initiative et paralysée de tous ses sens. Nous voyons avec effroi la Russie se préparer à pousser encore plus avant vers leur ruine les Etats épuisés de l'Occident, semblables à un mendiant aveugle conduit au précipice par la malice d'un enfant.

    é à nous faire illusion. Le chagrin dans l'âme, prêts d'ailleurs à tout événement, nous avons étudié jusqu'au bout cette effroyable situation. Quelques observations fugitives, empruntées à cette série de pensées qui nous occupaient dans ces derniers temps, se mêlaient à nos entretiens, et leur donnaient pour vous un certain charme; elles n'en auront aucun pour d'autres, pour ceux-là surtout qui sont placés avec nous sur le bord du même abîme. L'homme, en général, n'aime pas la vérité; mais quand elle contrarie ses désirs; quand elle fait évanouir ses rêves les plus chers; quand il ne peut l'acquérir qu'au prix de ses espérances et de ses illusions, il se prend alors de haine contre elle, comme si elle en était cause.

    Nos amis sont si vains dans leurs espérances; ils acceptent si facilement le fait accompli! Furieux contre la réaction, ils la regardent comme quelque chose d'accidentel et de passager; à leurs yeux, c'est un mal aisément guérissable qui n'a ni sens profond, ni racines étendues. Peu d'entre eux veulent reconnaître que la réaction est puissante, parce que la Révolution a été faible. Les démocrates politiques se sont effrayés des démocrates socialistes, et la Révolution s'est brisée en retombant sur ellemême.

    éveloppement calme et paisible dans sa marche progressive s'est évanoui, tous les ponts de transition se sont rompus. Ou l'Europe succombera sous les coups terribles du Socialisme, ébranlée, arrachée par lui de ses fondements, comme autrefois Rome succomba sous les efforts du christianisme; ou l'Europe, telle qu'elle est, avec sa routine au lieu d'idées, avec sa décrépitude au lieu d'énergie, vaincra le Socialisme, et, comme une seconde Byzance, se traînera dans une longue apathie, en cédant à d'autres peuples, à d'autres contrées le progrès, l'avenir, la vie. S'il pouvait y avoir un troisième terme, ce serait le chaos d'une lutte universelle sans victoire d'aucun côté; la confusion d'un soulèvement et d'une effervescence générale qui conduirait au despotisme, à la terreur, à l'extermination.

    Rien en cela d'impossible; nous sommes à l'entrée d'une époque de larmes et de souffrances, de hurlements et de grincements de dents, nous avons vu des deux côtés s'en dessiner le caractère. Qu'on se rappelle seulement l'insurrection de Juin et de quelle manière elle a été comprimée. Depuis lors, les partis se sont aigris toujours davantage; on ne ménage plus rien, et le Tiers-état, qui, pendant des siècles, a dépensé tant de travail et d'efforts pour acquérir quelques droits et quelque liberté est prêt à tout sacrifier de nouveau.

    ême tenir sur le terrain légitime d'un Polignac et d'un Guizot, et revient sciemment aux temps de la Saint-Barthélémy, de la guerre de Trente Ans et de l'Edit de Nantes, derrière lesquels on aperçoit la barbarie, la ruine, de nouvelles agglomérations de peuples et les faibles commencements d'un monde à venir. Le germe historique se développe et croît lentement; il lui a fallu cinq siècles de ténèbres pour organiser quelque peu le monde chrétien, après que déjà cinq siècles avaient passé sur l'agonie du monde romain.

    énible époque que la nôtre! Tout, autour de nous, se dissout; tout s'agite dans le vague et l'inutilité; les plus noirs pressentiments se réalisent avec une effrayante rapidité. Six mois ne se sont pas écoulés depuis que j'ai écrit mon troisième dialogue. Alors nous nous demandions encore s'il y avait, ou non, quelque chose à faire; aujourd'hui cette question n'est déjà plus de mise; car nous commençons à douter même de la vie… La France est devenue l'Autriche de l'Occident, elle s'abîme dans l'opprobre et la fange. Le sabre prussien arrête les dernières palpitations du mouvement allemand; la Hongrie saigne de toutes ses veines sous les coups redoublés de la hache de son bourreau impérial; la Suisse attend une guerre générale; la Rome chrétienne succombe avec la grandeur et la majesté de l'ancienne Rome païenne, en imprimant une flétrissure éternelle au front de ce pays, qui, naguère, était placé si haut dans l'amour des Peuples. Un libre penseur qui refuse de se courber devant la force, n'a plus, dans toute l'Europe, d'autre refuge que le pont d'un vaisseau faisant voile pour l'Amérique.

    «Si la France succombe, – a dit un de nos amis, – il faut alors proclamer toute l'humanité en danger». Et cela est peutêtre vrai, si, par l'humanité, nous entendons seulement l'Europe germano-romaine. Mais pourquoi faudrait-il l'entendre ainsi? Devons-nous donc, comme les Romains, nous poignarder à la manière de Caton, parce que Rome succombe, et que nous ne voyons rien, ou ne voulons rien voir hors de Rome; parce que nous tenons pour barbare tout ce qui n'est pas elle? Est-ce donc que tout ce qui est placé en dehors de notre monde est de trop et ne sert absolument à rien?

    Le premier Romain, dont le regard observateur perça la nuit des temps, en comprenant que le monde auquel il appartenait devait succomber, se sentit l'âme accablée de tristesse, et, par désespoir, ou peut-être parce qu'il était plus haut placé que les autres, il jeta un coup d'œil au-delà de l'horizon national, et son regard fatigué s'arrêta sur les barbares. Il écrivit son livre les œurs des Germains; et il eut raison, car l'avenir leur appartenait.

    étise rien; mais je ne crois pas non plus que les destins de l'humanité et son avenir soient attachés, soient cloués à l'Europe occidentale. Si l'Europe ne parvient pas à se relever par une transformation sociale, d'autres contrées se transformeront; il y en a qui sont déjà prêtes pour ce mouvement, d'autres qui s'y préparent. L'une est connue, je veux dire les Etats de l'Amérique du Nord; l'autre, pleine de vigueur, mais aussi pleine de sauvagerie, on la connaît; peu ou mal.

    ère sur tous les tons, dans les parlements et dans les clubs, dans les rues et dans les journaux, a répété le cri du braillard berlinois: «Ils viennent, les Russes! les voilà! les voilà!» Et, en effet, non seulement ils viennent, mais ils sont déjà venus, grâce à la maison de Habsbourg; peut-être vont-ils s'avancer encore, grâce à la maison de Hohenzollern.

    écier la mâle jeunesse dans ce combat, dont il est sorti vainqueur. Que veut ce Peuple, qu'apporte-t-il avec lui? Qui en sait quelque chose? César connaissait les Gaulois mieux que l'Europe ne connaît les Russes. Tant que l'Europe occidentale a eu foi en elle-même, tant que l'avenir ne lui est apparu que comme une suite de son développement, elle ne pouvait s'occuper de l'Europe orientale; aujourd'hui les choses ont bien changé.

    Cette ignorance superbe ne sied plus à l'Europe; ce ne serait plus aujourd'hui la conscience de la supériorité, mais la ridicule prétention d'un hidalgo castillan qui porte des bottes sans semelles et un manteau troué. Le danger de la situation ne peut se dissimuler. Reprochez aux Russes, tant qu'il vous plaira, d'être esclaves, à leur tour ils vous demandent: «Et vous, vous êtes libres?» Ils peuvent même ajouter que jamais l'Europe ne sera libre que par l'affranchissement de la Russie. C'est pour cela, je crois, qu'il y aurait utilité à connaître un peu ce pays.

    êt à le communiquer. Il y a déjà longtemps que j'ai conçu la pensée de ce travail, et bientôt, puisqu'on nous a rendu si libéralement le temps de lire et d'écrire, j'accomplirai mon projet. Ce travail me tient d'autant plus au cœur qu'il m'offre le moyen de témoigner à la Russie et à l'Europe ma reconnaissance. On ne devra chercher dans cette œuvre ni une apothéose, ni un anathème. Je dirai la vérité, toute la vérité, autant que je la comprends et la connais, sans réserve, sans but préconçu. Il ne m'importe en rien de quelle manière on dénaturera mes paroles et comment on s'en prévaudra. J'estime trop peu les partis pour mentir en faveur de l'un ou de l'autre.

    été écrits dans l'intention de faire mieux connaître le sujet; ils ont servi à lа propagande libérale, soit en Russie, soit en Europe; on voulait effrayer celle-ci et l'instruire, en lui présentant le tableau du despotisme russe. C'est ainsi qu'à Sparte, pour inspirer l'horreur de l'ivrognerie, on montrait en spectacle des ilotes pris de vin.

    é une littérature semi-officielle, chargée de le louer et de mentir en sa faveur. D'un côté, c'est un organe de la République bourgeoise qui, dans son ignorance, mais avec la meilleure intention du monde et par patriotisme, représente les Russes comme un peuple de Calibans, croupissant dans l'ordure et l'ivrognerie, avec de petits fronts aplatis qui ne permettent pas à leurs facultés de se développer, et n'ayant de passions que celles qu'inspirent les fureurs de l'ivresse.

    ôté, un journal allemand, payé par la cour d'Autriche, publie des lettres sur la Russie, dans lesquelles on exalte toutes les infamies de la politique russe et où l'on dépeint le gouvernement russe comme le plus fort et le plus national. Ces exagérations passent en dix autres journaux et servent de base aux jugements que l'on porte ensuite sur ce pays.

    ème siècle accordait à la Russie une attention plus profonde et plus sérieuse que ne<le>fait le dixneuvième, peut-être parce qu'il redoutait moins cette puissance. Les hommes prenaient alors un intérêt réel à l'étude de ce nouvel Etat, se montrant tout à coup à l'Europe dans la personne d'un tzar charpentier et venant réclamer une part dans la science et dans la politique européenne.

    Pierre Ierénergique sauvagerie, se saisit hardiment de l'administration au détriment d'une aristocratie énervée. Il était si naïve ment brutal, si plein d'avenir que les penseurs d'alors se mirent à l'étudier avidement, lui et son Peuple. Ils voulaient s'expli-quer comment cet Etat s'était développé sans bruit, par des voies tout autres que le reste des Etats européens; ils voulaient approfondir les éléments dont se composait la puissante organisation de ce Peuple.

    Des hommes, comme Müller, Schlosser, Ewers, Lévesque, consacrèrent une partie de leur vie à l'étude de l'histoire de la Russie, comme historiens, d'une manière tout aussi scientifique que s'en occupèrent sous le rapport physique Pallas et Gmelin. De leur côté des philosophes et des publicistes considéraient avec curiosité l'histoire contemporaine de ce pays, le phénomène d'un gouvernement qui, despotique et révolutionnaire à la fois, dirigeait son Peuple et n'était pas entraîné par lui.

    ône, fondé par Pierre Ierônes féodaux et traditionnels de l'Europe; les tentatives violentes de Catherine II, pour transporter dans la législation russe les principes de Montesquieu et de Beccaria proscrits dans presque toute l'Europe, sa correspondance avec Voltaire, ses rapports avec Diderot confirmaient encore à leurs yeux la réalité de ce phénomène.

    ère infamie qui souilla la Russie. L'Europe ne comprit pas toute la portée de cet événement; car elle était alors occupée d'autres soins. Elle assistait, le cou tendu, et respirant à peine, aux grands événements par lesquels s'annonçait déjà la Révolution française. L'impératrice de Russie se mêla au tourbillon et offrit son secours au monde chancelant. La campagne de Souvarow en Suisse et en Italie n'eut absolument aucun sens, elle ne pouvait que soulever l'opinion publique contre la Russie.

    époque de ces guerres absurdes, que les Français nomment encore aujourd'hui la période de leur gloire, finit avec leur invasion en Russie; ce fut une aberration de génie, comme la campagne d'Egypte. Il plut à Bonaparte de se montrer à la terre debout sur un monceau de cadavres. A la gloire des Pyramides il voulut ajouter la gloire de Moscou et du Kremlin. Cette fois il ne réussit pas; il souleva contre lui tout un Peuple qui saisit résolument les armes, traversa l'Europe derrière lui et prit Paris.

    ça la Russie sous le même drapeau que l'Autriche, comme si entre cet empire pourri et mourant et le jeune Etat qui venait d'apparaître dans sa splendeur, il <n>'y avait rien de commun, comme si le représentant le plus énergique du monde slave pouvait avoir les mêmes intérêts que l'oppresseur le plus ardent des Slaves.

    Par cette monstrueuse alliance avec la réaction européenne, la Russie, à peine grandie par ses victoires, fut abaissée aux yeux de tous les hommes de sens. Ils secouèrent tristement la tête en voyant cette contrée, qui venait, pour la première fois, de prouver sa force, offrir aussitôt après sa main et son aide à tout ce qui était rétrograde et conservateur, et cela contrairement même à ses propres intérêts.

    écidément toutes les nations contre la Russie. Lorsque les nobles et malheureux restes de la Révolution polonaise, errant par toute l'Europe, y répandirent la nouvelle des horribles cruautés des vainqueurs, il s'éleva de toutes parts, dans toutes les langues européennes un éclatant anathème contre la Russie. La colère des Peuples était juste…

    œurs saignaient de douleur, et nos yeux s'emplissaient de larmes amères.

    un Peuple seul de la famille des autres Peuples et de le rendre responsable de ce qu'a fait son gouvernement.

    L'Autriche et la Prusse n'y ont-elles pas aidé? La France, dont la fausse amitié a causé à la Pologne autant de mal que la haine déclarée d'autres Peuples, n'a-t-elle donc pas dans le même temps, par tous les moyens, mendié la faveur de la cour de Pétersbourg; l'Allemagne, alors déjà, n'était-elle pas volontairement, à l'égard de la Russie, dans la situation où se trouvent aujourd'hui, forcément, la Moldavie et la Valachie; n'étaitelle pas alors comme maintenant gouvernée par les chargés d'affaires de la Russie et par ce proconsul du tzar qui porte le titre de roi de Prusse?

    épendance; mais l'Angleterre ne fit rien non plus pour les Polonais: elle songeait peut-être à ses propres torts envers l'Irlande. Le gouvernement russe n'en mérite pas moins de haine et de reproches; je prétends seulement faire aussi retomber cette haine sur tous les autres gouvernements, car on ne doit pas les séparer l'un de l'autre; ce ne sont que les variations d'un même thème.

    Les derniers événements nous ont beaucoup appris; l établi en Pologne, et la prise de Varsovie sont relégués à l'arrière-plan, depuis que l règne à Paris et que Rome est prise; depuis qu'un prince prussien préside chaque jour à de nouvelles fusillades, et que la vieille Autriche, dans le sang jusqu'aux genoux, essaie d'y rajeunir ses membres paralysés.

    é d'attirer l'attention sur la Russie et les Cosaques. La prophétie de Napoléon a perdu son sens: peut-être est-il possible d'être à la fois républicain et cosaque. Mais il y a une chose évidemment impossible, c'est d'être républicain et bonapartiste. Honneur aux jeunes Polonais! eux, les offensés, les dépouillés, eux à qui le gouvernement russe a ravi la patrie et les biens, ce sont eux qui, les premiers, tendaient la main au Peuple russe; ils ont séparé la cause du Peuple de celle de son gouvernement. Si les Polonais ont pu dompter à notre égard leur juste haine, les autres Peuples pourront aussi bien dompter leur panique effroi.

    Mais revenons aux écrits sur la Russie. Il n'a paru dans ces dernières années que deux ouvrages importants: le voyage de Custine (1842) et le voyage de Haxthausen (1847)[81]été dans toutes les mains, il a eu cinq éditions; le livre de Haxthausen, au contraire, est très peu connu, parce qu'il s'applique à un objet spécial. Ces deux écrits sont particulièrement remarquables, non comme opposés entre eux, mais parce qu'ils représentent les deux côtés dont se compose, en effet, la vie russe. Custine et Haxthausen diffèrent dans leurs récits, parce qu'ils parlent de choses diverses. Chacun d'eux embrasse une sphère différente; mais il n'y a point entre eux de contradiction. C'est comme si l'un décrivait le climat d'Arkangel, l'autre celui d'Odessa: tous deux restent toujours en Russie.

    égèreté d'esprit, est tombé dans de grandes méprises; par sa prédilection pour les phrases, il s'est laissé entraîner à d'énormes exagérations d'éloge ou de blâme, mais il est d'ailleurs un bon et fidèle observateur. Il s'abandonne tout d'abord à la première impression et ne rectifie jamais un jugement une fois porté. De là vient que son livre fourmille de contradictions; mais ces contradictions mêmes, loin de cacher la vérité au lecteur attentif, la lui montrent sous plusieurs côtés. Légitimiste et jésuite, il vint en Russie avec la plus grande vénération pour les institutions monarchiques, il la quitta, en maudissant l'autocratie aussi bien que l'atmosphère empestée qui l'entoure.

    à Custine.

    A son arrivée en Russie, il ne vaut pas mieux lui-même que tous les courtisans, auxquels il lance les traits de sa satire. A. moins peut-être qu'on ne lui fasse un titre d'estime de ce qu'il accepta volontairement le rôle que ceux-ci remplissaient comme un devoir?

    à relever chaque parole, chaque geste de l'impératrice; à parler du cabinet et de la toilette de l'impératrice, de é ératrice; aucun n'a si souvent répété à l'empereur qu'il était plus grand que son Peuple (Custine alors ne connaissait le Peuple russe que par les cochers de fiacre de Pétersbourg); plus grand que Pierre Ier, que l'Europe ne lui rendait pas justice; qu'il était un grand poète et que ses poésies l'attendrissaient jusqu'aux larmes.

    ère de la cour, Custine ne la quitte pas; il ne sort pas des antichambres et s'étonne de n'y trouver que des valets; c'est aux gens de cour qu'il s'adresse pour en tirer des informations. Ceux-ci savent qu'il est écrivain, ils craignent son bavardage et le trompent. Custine est indigné; il s'irrite et met le tout sur le compte du Peuple russe. Il va à Moscou, il va à Nijni-Novgorod; mais partout il est à Pétersbourg; partout l'atmosphère de Pétersbourg l'environne et donne aux objets qui passent sous ses yeux une teinte uniforme.

    Aux relais seulement, il jette de rapides coups d'œil sur la vie du Peuple; il fait d'excellentes remarques, il prophétise à ce Peuple un avenir colossal, il ne peut assez admirer la beauté et l'agilité du paysan, il dit qu'il se sent beaucoup plus libre à Moscou, que l'air y est moins lourd et que les hommes y vivent plus contents.

    – et poursuivant sa marche sans se mettre en peine le moins du monde d'accorder ces observations avec celles qui ont précédé, sans s'étonner de rencontrer chez un seul et même Peuple des qualités tout-à-fait opposées, – il ajoute: «La Russie aime l'esclavage jusqu'à la passion». Et ailleurs: «Ce Peuple est si grandiose crue même dans ses vices il est plein de force et de grâce».

    égligé la manière de vivre du Peuple russe (dont il se tint toujours éloigné), mais il ne savait rien non plus du monde littéraire et savant, bien plus rapproché de lui; il connaissait le mouvement intellectuel de la Russie tout aussi peu que ses amis de cour, qui ne se doutaient pas même, qu'il y eût des livres russes et quelqu'un pour les lire; c'est seulement par hasard et à l'occasion d'un duel qu'il a entendu parler de Pouchkin.

    «Poète sans initiative», dit de lui le brave marquis, et oubliant que ce n'est pas des Français qu'il parle, il ajoute: «Les Russes sont généralement incapables de comprendre nettement quelque chose de profond et de philosophique». Peut-on après cela s'étonner que Custine termine son livre précisément, comme il l'a commencé, en disant que la cour est tout en Russie?

    à ce monde qu'il avait choisi pour centre de son action, et qu'il nomme lui-même si excellement le monde des façades. Sans doute, c'est sa faute s'il n'a voulu rien voir derrière ces façades, et l'on aurait quelque droit de lui en faire reproche, car il répète cent fois dans son livre que l'avenir de la Russie est grand; que plus il apprend à connaître ce pays, plus il tremble pour l'Europe; qu'il voit en lui une puissance grandissant dans sa force, qui s'avance en ennemi contre cette partie du monde qui s'affaiblit chaque jour davantage.

    és, en raison même de ces présages, à exiger de lui une étude un peu plus approfondie de ce Peuple; néanmoins nous devons avouer que s'il a négligé les deux tiers de la vie russe, il en a compris très bien le dernier tiers et l'а dépeint de main de maître en beaucoup d'endroits. Quoiqu'en dise l'autocratie de la cour de Pétersbourg, encore faut-il qu'elle accorde que le portrait est frappant dans ses traits principaux.

    Custine sentait lui-même qu'il n'avait étudié que la Russie gouvernementale, la Russie de Pétersbourg. Il prend comme épigraphe le passage de la Bible: «Tel <qu'est> le prince de la ville, tels sont aussi les citoyens». Mais ces paroles ne conviennent pas à la Russie dans sa période actuelle. Le prophète pouvait le dire des Juifs de son temps, comme aujourd'hui chacun peut le dire de l'Angleterre. La Russie ne s'est pas encore formée. La période de Pétersbourg fut une révolution nécessaire en son temps, mais dont la nécessité est déjà moindre aujourd'hui.

    <II>

    être plus opposé au brillant et léger marquis de Custine, que le flegmatique agronome westphalien, baron de Haxthausen, conservateur, érudit de vieille souche et l'observateur le plus bienveillant du monde. Haxthausen vint en Russie dans un but qui n'y avait amené encore personne avant lui. Il voulait étudier à fond les mœurs des paysans russes. Après s'être occupé longtemps d'économie rurale en Allemagne, il rencontra par hasard quelques débris des institutions de la commune rurale chez les Slaves; il s'en émerveilla d'autant plus, qu'il les trouva entièrement opposées à toutes les autres institutions du même genre.

    écouverte le frappa tellement qu'il vint en Russie pour y examiner de près les communes rurales. Haxthausen, instruit dès son enfance que toute puissance vient de Dieu, habitué dès ses plus jeunes ans à vénérer tous les gouvernements, Haxthausen ayant conservé les idées politiques du temps de Puffendorf et de Hugo Grotius, ne pouvait se défendre d'admirer la cour de Pétersbourg. Il se sentait écrasé par cette puissance qui a six cent mille soldats pour sa défense et neuf mille verstes de terrain pour ses bannis. Etonné et anéanti par la grandeur effrayante de cette autocratie, il quitta heureusement bientôt Pétersbourg, resta quelque temps à Moscou et s'éclipsa pour toute une année.

    Cette année, Hasthausen l'employa à une étude approfondie de la commune rurale en Russie. Le résultat de ses recherches ne fut pas tout à fait semblable à celui de Custine. Il dit, en effet, qu'en Russie, la commune rurale est tout. Là, suivant l'opinion du baron, est la clef du passé de la Russie et le germe de son avenir, la monade vivifiante de l'Etat russe. «Chaque commune rurale, dit-il, est, en Russie, une petite République, qui se gouverne elle-même pour ses affaires intérieures, qui ne connaît ni propriété foncière personnelle, ni prolétariat; qui a élevé à l'état de fait accompli depuis longtemps une partie des utopies socialistes; on se sait pas vivre autrement ici; et l'on n'y a même jamais autrement vécu».

    èrement l'opinion de Haxthausen; mais je crois qu'en Russie la commune rurale n'est pas tout non plus. Haxthausen a vraiment saisi le principe vivifiant du Peuple russe; mais, dans sa prévention native pour tout ce qui est patriarcal et, sans aucun talent de critique, il n'a pas vu, que c'est précisément le côté négatif de la vie communale qui a provoqué la réaction de Pétersbourg. S'il n'y avait pas eu complète absorption de la personnalité dans la commune, cette autocratie, dont parle Custine avec un si juste effroi, n'aurait pu se former.

    Il me semble qu'il y a dans la vie russe quelque chose de plus élevé que la commune et de plus fort que le pouvoir; ce quleque chose est difficile à exprimer par des mots, et plus difficile encore à indiquer du doigt. Je parle de cette force intime n'ayant pas entièrement conscience d'elle-même, qui tenait si merveilleusement le Peuple russe sous le joug des hordes mongoles et de la bureaucratie allemande, sous le knout oriental d'un Tartare et sous la verge occidentale d'un caporal; je parle de cette force intime, à l'aide de laquelle s'est conservée la physionomie ouverte et belle et la vive intelligence du paysan russe, malgré la discipline avilissante du servage, et qui, au commandement impérial de se civiliser, a répondu, après un siècle, par la colossale apparition d'un Pouchkin; je parle de cette force, enfin, et de cette confiance en soi qui s'agite dans notre poitrine. Cette force, en dehors de tous les accidents extérieurs et malgré eux, a conservé le Peuple russe et protégé cette foi inébranlable qu'il a en lui-même: à quelle fin?.. C'est ce que le temps nous apprendra.

    «Communes rurales russes et république, villages slaves et institutions sociales». Ces mots, ainsi accouplés, résonnent sans doute d'une manière bizarre aux oreilles des lecteurs de Haxthausen. Beaucoup, j'en suis sûr, demanderont si l'agronome westphalien était dans son bon sens; et pourtant Haxthausen a parfaitement raison; l'organisation sociale des communes rurales en Russie est une vérité tout aussi grande que la puissante organisation slave du système politique. Cela est étrange!.. Mais n'est-il pas encore plus étrange, qu'à côté des frontières européennes un Peuple ait vécu pendant mille ans, qui compte aujourd'hui cinquante millions d'âmes, et qu'au milieu du dix-neuvième siècle sa manière de vivre soit pour l'Europe une nouveauté inouïe?

    émorial, et les formes s'en retrouvent assez semblables chez toutes les tribus slaves. Là, ou elle n'existe pas, c'est qu'elle a succombé sous l'influence germanique. Chez les Serbes, les Bulgares et les Monténégrins, elle s'est conservée plus pure encore qu'en Russie. La commune rurale représente pour ainsi dire l'unité sociale, une personne morale, l'Etat n'a jamais dû aller au-delà; elle est le propriétaire, la personne à imposer; elle est responsable pour tous et chacun, et par suite autonome en tout ce qui concerne ses affaires intérieures.

    économique est l'antithèse parfaite de la célèbre proposition de Malthus: elle laisse chacun sans exception prendre place à sa table. La terre appartient à la commune et non à ses membres en particulier; à ceux-ci appartient le droit inviolable d'avoir autant de terre que chaque autre membre en possède au dedans de la même commune; cette terre lui est donnée, comme possession sa vie durant; il ne peut et n'a pas besoin non plus de la léguer par héritage. Son fils, aussitôt qu'il a atteint l'âge d'homme, a le droit, même du vivant de son père, de réclamer de la commune une portion de terre. Si le père a beaucoup d'enfants, tant mieux, car ils reçoivent de la commune une portion de terre d'autant plus grande; à la mort de chacun des membres de la famille, la terre revient à la commune.

    Il arrive fréquemment, que des vieillards très âgés rendent leur terre et acquièrent par là le droit de ne point payer d'impôts. Un paysan, qui quitte pour quelque temps sa commune, ne perd pas pour cela ses droits sur la terre; ce n'est que par l'exil qu'on peut la lui retirer, et la commune ne peut prendre part à une décision de cette sorte que par un vote unanime; elle n'a cependant recours à ce moyen que dans les cas extrêmes. Enfin, un paysan perd aussi ce droit dans le cas où, sur sa demande, il est affranchi de l'union communale. Il est alors autorisé seulement à prendre avec lui son bien mobilier, rarement lui permet-on de disposer de sa maison ou de la transporter. De cette sorte, le prolétariat rural est chose impossible.

    èdent une terre, dans la commune, c'est-à-dire chaque individu majeur et imposé, a voix dans les intérêts de la commune. Le président et ses adjoints sont choisis dans une assemblée générale. On procède de même pour décider les procès entre les différentes communes, pour partager la terre et répartir les impôts. (Car c'est essentiellement la terre qui paie et non la personne. Le gouvernement compte seulement les têtes; la commune complète le déficit de ses impôts par têtes au moyen d'une répartition particulière, et prend pour unité le travailleur actif, c'est-à-dire le travailleur qui a une terre à son usage.)

    Le président a une grande autorité sur chaque membre, mais non sur la commune; pour peu que celle-ci soit unie, elle peut très bien contrebalancer le pouvoir du président, l'obliger même à renoncer à sa place, s'il ne veut pas se plier à leurs;vœux. Le cercle de son activité est d'ailleurs entièrement administratif; toutes les questions qui vont au-delà d'une simple police, sont résolues, ou d'après les coutumes en vigueur, ou par le conseil des Anciens, ou enfin par l'Assemblée générale. Haxthausen a commis ici une grande erreur en disant que le président administre despotiquement la commune. Il ne peut agir despotiquement que si toute la commune est pour lui.

    à voir dans le président de la commune l'image de l'autorité impériale. L'autorité impériale, résultat de la centralisation moscovite et de la réforme de Pétersbourg, n'a pas de contre-poids, tandis que l'autorité du président, comme avant la période moscovite, dépend de la commune.

    ère maintenant que chaque Russe qui n'est point citadin ou noble, doit appartenir à une commune, et que le nombre des habitants des villes, par rapport à la population des campagnes, est extrêmement restreint. Le plus grand nombre des travailleurs des villes appartient aux communes rurales pauvres, surtout a celles qui ont peu de terre; mais, comme il a été dit, ils ne perdent, pas leurs droits dans la commune; ainsi les fabricants doivent nécessairement payer aux travailleurs un peu plus que ne leur rapporterait le travail des champs.

    ées; ces derniers forment entre eux de grandes associations de travailleurs; c'est une sorte de commune russe mobilisée. Ils vont de ville en ville (tous les métiers sont libres en Russie), et leur nombre s'élève souvent jusqu'à plusieurs centaines, quelquefois même jusqu'à mille; il en est ainsi, par exemple, des charpentiers et des maçons à Pétersbourg et à Moscou et des voituriers sur les grandes routes. Le produit de leur travail est administré par des directeurs choisis et partagé d'après l'avis de tous.

    Ajoutez-que le tiers, des paysans appartient à la noblesse. Les droits du seigneur sont un honteux fléau qui pèse sur une partie du Peuple russe, d'autant plus honteux, qu'ils ne sont en rien autorisés par la loi, et qu'ils résultent uniquement d'un accord immoral avec un gouvernement qui, non seulement tolère les abus, mais qui les protège par la puissance de ses baïonnettes. Néanmoins, cette situation, malgré f'insolent arbitraire des propriétaires nobles, n'exerce pas une grande influence sur la commune.

    éduire ses paysans au minimum de la terre; il peut choisir pour lui le meilleur sol; il peut agrandir ses bien-fonds, et, par là, le travail du paysan; il peut augmenter les impôts, mais il ne peut pas refuser au paysan une portion de terre suffisante, et la terre, une fois appartenant à la commune, demeure complètement sous son administration, la même en principe, que celle qui régit les terres libres; le seigneur ne se mêle jamais dans ses affaires; on a vu des seigneurs qui voulaient introduire le système européen du partage parcellaire des terres et la propriété privée.

    échouèrent toutes et finirent généralement par le massacre des seigneurs ou par l'incendie de leurs châteaux; car tel est le moyen national, auquel le paysan russe a recours pour faire connaître qu'il proteste[82]étrangers ont au contraire souvent accepté les institutions communales de la Russie. Il est impossible de briser en Russie la commune rurale, à moins que le gouvernement ne se décide à déporter ou à supplicier quelques millions d'hommes.

    é ce que c'est que le paysan russe quand on l'attaque dans sa dernière forteresse. Le libéral Alexandre emporta les villages d'assaut; l'exaspération des paysans grandit jusqu'à la fureur la plus tragique: ils égorgèrent leurs enfants pour les soustraire aux institutions absurdes qui leur étaient imposées par la baïonnette et la mitraille. Le gouvernement, furieux de cette résistance, poursuivit ces hommes héroïques; il les fit battre de verges jusqu'à la mort, et, malgré toutes ces cruautés et ces horreurs, il ne put rien obtenir. La sanglante insurrection de la Staraïa-Roussa, en 1831, a montré combien peu ce malheureux Peuple se laisse dompter. Après que le gouvernement eut comprimé la révolte, il lui fallut encore céder à la nécessité, et se contenter du mot, ne pouvant obtenir la chose.

    à précisément pourquoi la Révolution opérée par Pierre Ier fut si passivement accueillie par les paysans et rencontra si peu de résistance; c'est qu'elle passait au-dessus de leur tête. Le gouvernement ne commence à prendre des mesures générales, à l'égard des paysans, que depuis qu'en 1838 il a créé le ministère du domaine de l'Etat. Ce n'est point une mauvaise idée, de secouer un peu la commune, car la vie de village, comme tout communisme, absorbait complètement la personnalité.

    é à se reposer de tout sur la commune, est perdu dès qu'il en est séparé; il devient faible, il ne trouve en lui ni force, ni ressort; au moindre péril il court bien vite se réfugier sous la protection de cette mère, qui tient ainsi ses enfants dans un état constant de minorité et exige d'eux une obéissance passive. Il y a trop peu de mouvement dans la commune; elle ne reçoit aucune impulsion du dehors qui excite en elle le progrès, point de concurrence, point de lutte intérieure, qui produise la variété et le mouvement; en donnant à l'homme sa part de terrain, elle le dispense de tout souci.

    L'organisation communale endormait le Peuple russe, et ce sommeil devenait chaque jour plus profond, jusqu'à ce qu'enfin Pierre Ier éveilla brutalement une partie de la nation. Il provoqua artificiellement une sorte de lutte et d'antagonisme, et ce fut là précisément l'œuvre providentielle de la période de Pétersbourg.

    à peine éveillés, nous nous trouvons en face de l'Europe, et tout d'abord notre manière de vivre naturelle, à demi-sauvage, répond mieux à l'idéal rêvé par l'Europe, que la manière de vivre du monde civilisé germano-romain; ce qui n'est' encore pour l'Occident qu'une espérance, vers laquelle tendent ses efforts, est le fait même par où nous débutons; nous, qui sommes opprimés par l'absolutisme impérial, nous allons à la rencontre du Socialisme comme les anciens Germains, les adorateurs de Thor et d'Odin, marchaient au-devant du christianisme.

    é par une commune analogue; qu'elle exista chez les Germains dans son complet développement, mais que partout elle a dû disparaître avec les commencements de la civilisation. On en conclut que le même sort attend la commune russe; mais je ne vois pas que la Russie doive nécessairement subir toutes les phases du développement européen, je ne vois pas davantage pourquoi la civilisation de l'avenir serait invariablement soumise aux mêmes conditions d'existence que la civilisation du passé.

    ée en présence de deux idées sociales complètement opposées à; la vie communale: la féodalité et le droit romain. Nous, par bonheur, nous nous présentons, avec notre commune, à une époque où la civilisation anticommunale aboutit à l'impossibilité absolue de se dégager, par ses principes, de la contradiction entre le droit individuel et le droit social. Pourquoi la Russie perdrait-elle maintenant sa commune rurale, puisqu'elle a pu la conserver pendant toute la période de son développement politique; puisqu'elle l'a conservée intacte so us le joug pesant du moscovite, aussi bien que sous l'autocratie à l'européenne des empereurs?

    étacher d'une administration créée par la force, et sans racines aucunes dans le Peuple, que de renoncer à la commune; mais, dit-on, par ce partage continu du sol, la vie communale trouvera sa limite naturelle dans l'accroissement de la population. Quelque grave en apparence que soit cette objection, il suffit, pour l'écarter, de répondre que la Russie possède encore des terres pour tout un siècle et que, dans cent ans, la brûlante question de possession et de propriété sera résolue d'une façon ou de l'autre. Il y a plus à dire. L'affranchis sèment des biens nobles, la possibilité de passer d'une province plus peuplée dans une autre mal peuplée, offrent aussi de grandes ressources.

    ûe cette instabilité dans la possession, la culture du sol ne prend aucun accroissement; le possesseur temporaire du sol, ne considérant jamais que le profit qu'il en tire sans y chercher son intérêt, sans y placer son capital, – cela peut bien être; mais les amateurs agronomes oublient que l'amélioration de l'agriculture, dans le système occidental de la possession, laisse la plus grande partie de la population sans un morceau de pain, et je ne crois pas que la fortune croissante de quelques fermiers et le progrès de I agriculture, comme art, puissent être considérés, par l'agriculture elle-même, comme un juste dédommagement de l'horrible situation du prolétariat affamé.

    énétré de bonne heure toutes les sphères de la vie populaire en Russie. Chaque ville, à sa manière, représentait une commune; elle avait ses assemblées générales, et, sur les questions qui se présentaient, elle se prononçait à l'unanimité; la minorité, ou donnait son assentiment à la majorité, ou la combattait sans se soumettre; très souvent elle abandonnait la ville et il y a même des exemples qu'elle fut fréquemment annihilée.

    Dans cette minorité inflexible, on peut reconnaître le fier veto des magnats polonais. L'autorité princière, en présence des tribunaux composés de jurés qui décidaient verbalement par une sentence arbitrale, en face du droit de libres assemblées dans les villes, et, d'ailleurs, sans armée permanente, ne pouvait grandir dans sa force; on le comprendra surtout si l'on ne perd pas de vue combien les besoins de la vie sont bornés chez un Peuple livré aux travaux de l'agriculture. La centralisation moscovite mit un terme à cet état de choses; Moscou fut pour la Russie un premier Pétersbourg. Les grands-ducs de Moscou, déposant ce titre pour prendre celui de tzar de toutes les Russies, tendirent à une toute autre puissance que celle dont avaient joui leurs prédécesseurs.

    îne: ils étaient témoins de la puissance des empereurs grecs de Byzance, et de celle des kans mogols de la horde principale de Tamerlan, connue sous le nom de. Horde d'Or. é des tzars a revêtu, dans son développement, le double caractère de ces deux puissances. A chaque pas que firent les tzars moscovites dans la voie du despotisme, l'autorité du Peuple alla s'affaiblissant. La vie s'est resserrée, s'est appauvrie progressivement dans chacune de ses parties; seule la commune rurale s'est maintenue constamment dans sa modeste sphère.

    é de l'époque qui suivit le règne de Pierre ne se fit sentir que lorsque les tzars moscovites eurent réalisé leur centralisation; car celle-ci n'était importante que parce qu'elle se composait de diverses parties d'un fédéralisme princier, d'une race unie par les liens du sang, un puissant ensemble; mais elle ne pouvait aller plus loin, car, au fond, elle ne savait pas précisément pourquoi et dans quel but elle réunissait ces parties éparses. C'est en quoi se révéla tout ce qu'il y avait de misérable dans l'idée intime de la période moscovite: elle ne savait pas elle-même, où la conduirait la centralisation politique.

    à l'extérieur un mobile d'action, comme la lutte avec les Tartares, les Lithuaniens et les Polonais, les forces qu'elle avait en elle trouvèrent à s'occuper et à se répandre; mais lorsque le Peuple, après l'interrègne de 1612, dans lequel il fit preuve d'une merveilleuse énergie, retomba dans son repos, le gouvernement s'ossifia alors dans l'apathie d'un formalisme oriental.

    L'Etat, encore plein de jeunesse et de vigueur, se couvrit, comme une eau dormante, d'une écume verdâtre; le temps des premiers Romanoff fut une vieillesse anticipée et si lourdement assoupie, que le Peuple ne put alors se délasser des secousses précédentes. Dans la Russie des tzars, comme dans la commune rurale, manquait complètement tout ferment, tout levain; il n'y avait ni minorité remuante, ni principe de mouvement. Ce ferment, ce levain, cette individualité rebelle parut, et ce fut sur le trône.

    er a fait infiniment de bien et de mal à la Russie; mais le fait, qui lui mérite surtout la reconnaissance des Russes, c'est l'impulsion qu'il a donnée à tout le pays, c'est le mouvement qu'il a imprimé à la nation, et qui, depuis lors, ne s'est pas ralenti. Pierre Ier ète de son Peuple, ainsi que l'obstacle qui nuisait au développement de cette force; avec l'énergie d'un révolutionnaire et l'opiniâtreté d'un autocrate, il résolut de briser complètement avec le passé: mœurs, usages, législation; en un mot – avec tout l'ancien organisme politique.

    âcheux que Pierre Ier éal que le régime européen. Il ne vit pas que ce qu'il admirait dans la civilisation de l'Europe, n'était en aucune façon attaché aux formes politiques alors subsistantes, mais se soutenait bien plutôt en dépit de ces formes; il ne vit pas que ces formes elles-mêmes ne représentaient rien autre chose que le résultat de deux mondes déjà passés, et qu'elles étaient marquées du sceau de la mort, comme le byzantisme moscovite.

    Les formes politiques du dix-septième siècle étaient le dernier mot de la centralisation monarchique, le dernier résultat de la paix de Westphalie. C'était le temps de la diplomatie, de la chancellerie et du régime de caserne; le commencement de ce froid despotisme, dont les allures égoïstes ne purent être anoblies, même par le génie de Frédéric II, le prototype de tous les caporaux petits et grands.

    êmes, pour disparaître, que leur Pierre Ierévolution française. Afranchi des traditions, vainqueur de la dernière, Pierre Ier é. Mais son âme manquait de génie et de puissance créatrice: il était subjugué par l'Occident et il en devint le copiste. Haïssant tout ce qui était de l'ancienne Russie, bon et mauvais, il imita tout ce qui était européen, mauvais et bon. La moitié des formes étrangères qu'il transplanta en Russie, était complètement antipathique à l'esprit du Peuple russe.

    âche n'en devint que plus difficile, et cela sans aucun profit. Il aimait par instinct prophétique la Russie de l'avenir; il caressait l'idée d'une puissante monarchie russe, mais il ne faisait aucun compte du Peuple. Indigné de la stagnation et de l'apathie générales, il voulut renouveler le sang aux veines de la Russie, et, pour opérer cette transfusion, il prit un sang, déjà vieux et corrompu. Et puis, avec tout le tempérament d'un révolutionnaire, Pierre Ier éanmoins un monarque. Il aimait passionnément la Hollande et reconstruisait sa chère Amsterdam sur les bords de la Néva, mais il empruntait fort peu de choses aux libres institutions des Pays-Bas. Non seulement il ne restreignit pas la puissance des tzars, mais il l'agrandit encore en lui livrant tous les moyens de l'absolutisme européen et en renversant toutes les barrières qu'avaient élevées jusqu'alors les mœurs et les coutumes.

    En même temps qu'il se rangeait sous les bannières de la civilisation, Pierre Ier éanmoins à un passé, qu'il répudiait, le knout et la Sibérie, pour réprimer toute opposition, toute parole courageuse, tout acte de liberté.

    Représentez-vous maintenant l'union du égime des chancelleries allemandes, avec la procédure inquisitoriale empruntée au code militaire prussien, et vous comprendrez comment l'autorité impériale en Russie a laissé loin derrière elle le despotisme de Rome et de Byzance.

    à tout en apparence, n'a réellement rien accepté de cette réforme. Pierre Ier ésistance passive; il n'aimait pas le paysan russe et n'entendait rien non plus à sa manière de vivre. Il a fortifié, avec une légèreté coupable, les droits de la noblesse et resserré encore la chaîne du servage; il a tenté le premier d'organiser ces absurdes institutions; or, les organiser, c'était en même temps les reconnaître et leur donner une base légale. Dès lors, le paysan russe se renferma plus étroitement que jamais au sein de sa commune, et ne s'en écarta qu'en jetant autour de lui des regards défiants et en faisant force signes de croix. Il cessa de comprendre le gouvernement; il vit dans l'officier de police et le juge un ennemi; il vit dans le seigneur terrien une puissance brutale contre laquelle il ne pouvait rien faire.

    ça dès lors à ne voir dans tout condamné qu'un malheureux: ésigne tout condamné dans ce pays, où il semble ne plus y avoir que des victimes et des bourreaux; à mentir sous le serment et à nier tout, quand il était interrogé par un homme qui se présentait en uniforme et qui lui semblait lé représentant du gouvernement allemand. Cent cinquante ans, loin de les réconcilier avec le nouvel ordre des choses, l'en ont encore éloigné davantage. Que nous autres, nous ayons été élevés dans la réforme de Pierre; que nous ayons sucé le lait de la civilisation européenne; que la vieillesse de l'Europe nous ait été inoculée, de telle sorte que ses destins soient devenus les nôtres, à la bonne heure! mais il en est tout autrement du paysan russe.

    é, beaucoup souffert, il souffre beaucoup à cette heure, mais il est resté lui-même. Quoique isolé dans sa petite commune, sans liaison avec les siens, tous dispersés sur cette immense étendue du pays, il a trouvé dans une résistance passive, et dans la force de son caractère, les moyens de se conserver; il a courbé profondément la tête, et le malheur a passé souvent sans le toucher, au-dessus de lui; voilà pourquoi, malgré sa position, le paysan russe possède tant de force, tant d'agilité, tant d'intelligence et de beauté, qu'à cet égard il a excité l'étonnement de Custine et d'Haxthausen.

    <III>

    Tous les voyageurs rendent justice aux paysans russes, mais ils font grand bruit de leur impudente friponnerie, de leur fanatisme religieux, de leur idolâtrie, pour le trône impérial.

    éfauts dans le Peuple russe, et je me fonde en particulier sur ce que ces défauts sont communs à toutes les nations européennes. Ils tiennent étroitement à notre civilisation, à l'ignorance des masses et à leur pauvreté. Les Etats européens ressemblent au marbre poli, ils ne brillent qu'à la surface, mais, au fond et dans leur ensemble, ils sont grossiers.

    Je comprends qu'on puisse accuser la civilisation, les formes sociales actuelles, tous les Peuples ensemble, mais je trouve qu'il y a inhumanité sans profit à s'attaquer à un Peuple en particulier, et à condamner en lui les vices de tous les autres; c'est d'ailleurs une étroitesse d'esprit, qui n'est permise qu'aux Juifs, de tenir sa nation pour un Peuple choisi. A cet égard les derniers événements politiques ont dû être pour nous une grande leҫon; presque tous les écrivains n'ont-ils pas, naguère, accusé de ces mêmes défauts, les Romains et les Viennois, en y ajoutant même le reproche de lâcheté?

    évolution d'octobre et le triumvirat romain ont réhabilité la réputation de ces villes. Mais ce n'est pas tout. Il est très vrai que le paysan russe, toutes les fois qu'il le peut, trompe le gentilhomme et l'officier public, qui ne s'abstiennent de le tromper à leur tour que parce qu'ils trouvent beaucoup plus simple de le dépouiller. Tromper ses ennemis, en pareil cas, c'est faire preuve d'intelligence. Au contraire, les paysans russes, dans leurs rapports entre eux, se montrent pleins d'honneur et de loyauté. La preuve, c'est que jamais ils ne dressent entre eux de contrat par écrit. La terre est partagée dans les communes, et l'argent dans les associations de travailleurs. A peine, dans l'espace de dix années et plus, se produit-il à cet égard, deux ou trois procès.

    être sans religion. Une conscience éclairée est une conséquence du progrès; la vérité et la pensée, jusqu'à présent, n'existent que pour le petit nombre. Au Peuple, la religion tient lieu de tout; elle répond à toutes ses questions d'esthétique et de philosophie qui se rencontrent à tous les degrés dans l'âme humaine. La poésie fantastique de la religion sert de délassement aux travaux prosaïques de l'agriculture et de la coupe des foins. Le paysan russe est superstitieux, mais indifférent à l'égard de la religion, qui, d'ailleurs, est pour lui lettre close. Il observe exactement toutes les pratiques extérieures du culte, pour en avoir le cœur net; il va le dimanche à la messe, pour ne plus penser de six jours à l'église. Les prêtres, il les méprise comme des paresseux, comme des gens avides qui vivent à ses dépens. Dans toutes les obscénités populaires, dans toutes les chansons des rues, le héros, objet de ridicule et de mépris, est toujours le pope et le diacre ou leurs femmes.

    é de proverbes témoignent de l'indifférence des Russes en matière de religion: «Tant que le tonnerre ne gronde pas et que l'éclair ne frappe pas, le paysan ne se signe pas». «Fie-toi en Dieu, mais encore plus en toi». Custine raconte que le postillon qui défendait, en plaisantant, son penchant à de petits larcins, disait: «C'est une chose innée dans l'homme, et si le Christ n'a pas volé, c'est qu'il en était empêché par les blessures de ses mains». Tout cela montre que l'on ne rencontre chez ce Peuple ni le fanatisme farouche que nous trouvons en Belgique et à Lucerne, ni cette foi austère, froide et sans espérance, que l'on remarque à Genève et en Angleterre, comme en général chez les Peuples qui ont été longtemps sous l'influence des jésuites et des calvinistes.

    Dans le sens propre du mot, les schismatiques seuls sont religieux. La raison n'en est pas seulement dans le caractère national, mais dans la religion elle-même. L'Eglise grecque n'a jamais été extraordinairement propagandiste et expansive; plus fidèle que le catholicisme à la doctrine évangélique, sa vie, par cela même, s'est répandue moins au dehors; mûrie sur le sol putréfié de Byzance, elle s'est concentrée dans l'intérieur des cellules monastiques, elle s'est occupée, surtout, de controverse théologique et de questions de théorie; subjuguée par le pouvoir temporel, elle s'est éloignée, en Russie, plus encore que dans l'empire byzantin, des intérêts de la politique. A partir du dixième siècle jusqu'à Pierre Ier ît qu'un seul prédicateur populaire, et, à celui-là, le patriarche lui imposa silence.

    Je regarde comme un grand bonheur pour le Peuple russe, Peuple aisément impressionnable et doux de caractère, qu'il n'ait pas été corrompu par le catholicisme. Il a ainsi échappé en même temps à un autre fléau. Le catholicisme, comme certaines affections malignes, ne peut se traiter que par des poisons; il traîne fatalement après lui le protestantisme qui n'affranchit d'un côté les esprits que pour les mieux enchaîner de l'autre. Enfin la Russie, n'appartenant pas à la grande unité de l'Eglise d'Occident, n'a pas besoin non plus de se mêler à l'histoire de l'Europe.

    é davantage dans le Peuple russe qu'il fût bien affectionné au trône et prêt à se dévouer pour lui. Il est vrai que le paysan russe voit dans l'empereur un protecteur contre ses ennemis immédiats; qu'il le considère comme la plus haute expression de la justice, et qu'il croit à son droit divin, comme y croient plus ou moins tous les Peuples monarchiques de l'Europe. Mais cette vénération ne se manifeste par aucun acte, et son attachement à l'empereur n'en ferait ni un vendéen, ni un carliste espagnol; cette vénération ne va pas jusqu'à ce touchant amour qui naguère encore ne permettait pas à certain Peuple de parler de princes sans verser des larmes.

    ône, depuis que, grâce à la bureaucratie européenne, il s'est détourné du gouvernement. Un mouvement dynastique, comme celui qui éclata, par exemple, en faveur du faux Démétrius, est aujourd'hui tout à fait impossible. Depuis Pierre Ierà toutes les révolutions de Pétersbourg. Quelques prétendants, une poignée d'intrigants et de gardes prétoriennes ont, de 1725 à 1762, fait passer de main en main le trône impérial. Le Peuple s'est tu impassible et sans s'inquiéter que la princesse de Brunswick ou de Courlande, le duc de Holstein ou sa femme, de la famille d'Anhalt-Zerbst, fussent reconnus par la camarilla comme empereurs et Romanoff: ils lui étaient tous inconnus, et de plus ils étaient Allemands.

    L'insurrection de Pougatcheff eut un tout autre sens: ce fut la dernière tentative, l'effort suprême du Cosaque et du serf pour s'affranchir du cruel joug qui s'appesantissait visiblement sur eux chaque jour davantage. Le nom de Pierre III ne fut rien qu'un prétexte; ce nom seul n'eût pas eu la vertu de soulever quelques provinces. Pour la dernière fois, en 1812, un intérêt politique anima le Peuple russe. Ce Peuple est persuadé qu'il est impossible de le vaincre chez lui; cette pensée est au fond de la conscience de tout paysan russe, c'est là sa religion politique. Lorsqu'il vit l'étranger apparaître en ennemi sur son territoire, il laissa reposer sa charrue et saisit le fusil. En mourant sur le champ de bataille «pour le blanc tzar et la sainte mère de Dieu», comme il disait, il mourait en réalité pour l'inviolabilité du sol russe.

    édiat, est la noblesse provinciale et le corps des employés, qui forment le dernier degré de la Russie civilisée. Les employés, profondément corrompus par l'interdiction de toute publicité, représentent la classe la plus servile en Russie; son sort est complètement à la merci du gouvernement. La noblesse provinciale, de son côté, non moins corrompue par son droit d'exploitation sur les paysans, est cependant plus indépendante, et, par suite, un peu moins machine que le corps des employés. Il y a encore un peu de vie dans les assemblées provinciales, la noblesse fait ordinairement opposition aux gouverneurs et à leurs officiers: les moyens ne lui manquent pas pour cela.

    ème de Pierre Ierême temps elle précipita des millions de paysans dans le servage, et paya avec des communes de paysans ses nuits de Cléopâtre. La noblesse de chaque province a le droit de tenir ses assemblées particulières, d'élire ses maréchaux et, ce qui est encore plus important, les juges dans les deux premières instances, les présidents de ces tribunaux et tous les officiers d'administration et de police des districts.

    à ces droits, mais la majorité reste à la noblesse, à l'exception des autorités municipales et des bourguemestres qui sont élus par les marchands et les bourgeois de la ville. Le gouvernement envoie dans chaque. province un gouverneur, un conseil d'administration et de finances, dans chaque ville un officier de police, et pour chaque tribunal un procureur. La noblesse a le droit de contrôler le gouverneur dans toutes les affaires d'argent; tout gentilhomme peut, dans sa province et sans aucune restriction, être élu juge, président et maréchal. C'est à cela que se réduisent toutes les institutions libres.

    à la constitution de l'Etat, à chaque pas, à mesure que nous remonterons l'échelle hiérarchique, s'effaceront davantage les droits de l'homme et la part des gouvernés au gouvernement. La centralisation de Pétersbourg, comme la cime neigeuse d'une montagne, écrase tout de son poids glacial et uniforme; plus on s'en approche, moins on découvre de traces de vie et d'indépendance. Le sénat, le conseil d'Etat, les ministres, ne sont rien que des instruments passifs; les plus hauts dignitaires ne sont rien que des scribes, des sbires, en un mot, des bras télégraphiques, au moyen desquels le Palais d'hiver de Pétersbourg annonce au pays sa volonté.

    La noblesse russe, dans la forme qu'elle conserve depuis Pierre Ierésente plutôt une prime pour des services rendus, qu'une caste existant par elle-même; on perd même la noblesse, d'après la loi, quand, dans une famille, deux générations successives ne sont pas entrées au service de l'Etat. Les chemins qui conduisent à la noblesse sont ouverts de tous côtés. Il y a cinq ans qu'on a élevé, à cet égard, quelques difficultés; mais elles appartiennent au nombre de ces mesures qui disparaissent sans conséquence le jour qui suit l'investiture impériale.

    Pierre Ierécuter s'il n'avait pas rencontré déjà une foule de mécontents. Ces mécontents lui vinrent en aide; c'est d'eux et de tout ce qui servait le nouveau gouvernement, que s'est formée la Russie européenne. Pierre Ier à la Russie agreste. Mais outre que cette classe n'a produit aucune aristocratie ayant force et vigueur, elle a encore absorbé en elle l'aristocratie, autrefois puissante, de l'ancienne noblesse, des boyards et des princes[83]ère aristocratique qu'à l'égard du paysan, aussi longtemps qu'il restait paysan, c'est-à-dire à l'égard de cette portion du Peuple qui se trouvait aussi placée par le gouvernement en dehors de la loi.

    éforme, tous ces lourds et grossiers boyards, avec leur perruque poudrée et leurs bas de soie, ressemblaient fort à ces élégants d'Otaïti qui se pavannent en uniforme rouge anglais avec des epaulettes, sans culottes ni chemises. Mais grâce à notre talent d'imitation, la haute noblesse s'est bientôt appropriée les manières et la langue des courtisans de Versailles. En adoptant la délicatesse des formes et des mœurs de l'aristocratie européenne, elle ne perdit pas tout à fait les siennes propres, et, par suite, sa manière de vivre, au temps de Catherine II, offrait un mélange original de sauvage indiscipline et d'éducation de cour, de morgue aristocratique et de soumission semi-orientale. Ces mœurs étaient cependant plutôt originales et anguleuses que caricature; elles n'avaient rien de ce ton banal et sans goût qui a toujours distingué l'aristocratie allemande.

    étersbourg, et le prolétariat noble és et des gentilshommes sans propriété, se trouve l'épaisse couche de la moyenne noblesse, dont le centre moral est à Moscou. Abstraction faite de la corruption générale de cette classe, il faut avouer que c'est en elle que résident le germe et le centre intellectuel de la prochaine Révolution. La position de la minorité instruite de cet ordre (cette minorité est assez considérable) est fort tragique; elle est séparée du Peuple parce que, depuis quelques générations, ses pères se sont attachés au gouvernement civilisateur, et séparée du gouvernement parce qu'elle s'est civilisée. Le Peuple voit en eux des Allemands, le gouvernement des Français.

    é entre la civilisation et le droit de planteur, entre le joug d'un pouvoir illimité et les droits seigneuriaux qu'il possède sur les paysans; dans cet ordre, où l'on rencontre la plus haute culture scientifique de l'Europe, sans la liberté de la parole, sans autre affaire que le service de l'Etat, s'agitent une masse de passions et de forces qui, pré-cisément par défaut d'issue, fermentent, grandissent et souvent se font jour en produisant quelque individualité éclatante, pleine d'excentricité.

    éraire; c'est de lui qu'est sorti Pouchkin, ce représentant le plus complet de l'ampleur et de la richesse de la nature russe, c'est en lui qu'on a vu naître etgrandir, le 26 décembre 1825, cette indulgentia plenaria êté de compte pour tout un siècle.

    Dix ans de travaux forcés, vingt-cinq ans d'exil, n'ont pu rompre et courber ces hommes héroïques, qui, avec une poignée de soldats, descendirent sur la place d'Isaac pour y jeter le gant à l'impérialisme, et faire entendre publiquement des paroles qui, jusqu'à cette heure, et encore aujourd'hui, se transmetten! d'âme en âme, au sein de la nouvelle génération.

    ôt la première époque de la période de Pétersbourg. La question était résolue La classe intruite, cette classe du Peuple, qui reste conséquente à l'impulssion donnée par Pierre Ieré ses frères d'Occident. Ils se sont trouvés en complète communauté de sentiments et d'opinions avec Riégo, Gonfaloniéri et les Carbonari. L'effroi du gouvernement fut d'autant plus grand, qu'il trouva, d'un côté, tous les éléments de la noblesse et de la hiérarchie militaire impliqués dans l'insurrection, et que, de l'autre, il se souvint qu'aucun lien réel ne l'attachait à l'ancien Peuple, resté russe.

    écembre a révélé tout ce qu'il y avait d'artificiel,' de fragile et de passager dans l'impérialisme de Pétersbourg. Le succès de la Révolution a tenu à un cheveu… Qu'en serait-il advenu? Il est difficile de le dire: mais quel qu'eût été le résultat, on peut hardiment affirmer, que le Peuple et la noblesse auraient tranquillement accepté le fait accompli.

    à précisément ce que le gouvernement comprit avec terreur. Dans sa défiance de la noblesse, il voulait se rendre national, et ne réussit qu'à se faire l'ennemi de toute civilisation. La veine nationale lui manquait complètement. Le gouvernement se montra, tout d'abord, sombre et défiant; tout un corps de police secrète organisé à neuf, environna le trône. Le gouvernement renia alors les principes de Pierre Ier, développés pendant cent ans. Ce fut une succession de coups, portés à toute liberté, à toute activité intellectuelle; la terreur se déploya chaque jour davantage. On n'osait faire rien imprimer; on n'osait écrire une lettre; on allait jusqu'à craindre d'ouvrir la bouche, non seulement en public, mais même dans sa chambre: tout était muet.

    ôté, que le sol au-dessous d'eux n'était pas celui de la patrie; ils comprirent toute leur faiblesse, et le désespoir les saisit. Cachant au fond de leur âme leurs larmes et leurs douleurs, ils se dispersèrent dans leurs campagnes et sur toutes les grandes routes de l'Europe. Pétersbourg, à l'exemple du gouvernement, prit un tout autre caractère; ce fut une ville en état de siège perpétuel. La société rebroussa chemin à grands pas. Les sentiments aristocratiques de la dignité humaine qui, sous Alexandre, avaient gagné beaucoup de terrain, furent refoulés jusqu'à rendre possible une loi pour les passeports à l'étranger, jusqu'à rendre possible ces mœurs que vous dépeint Custine.

    érieur se continua, d'autant plus énergique dans ses profondeurs qu'il ne trouvait aucune occasion de se révéler par des faits à la surface. De temps en temps retentissaient des voix qui faisaient tressaillir toutes les fibres du cœur humain: c'était un cri de douleur, un gémissement d'indignation, un chant de désespoir, et, à ce cri, à ce gémissement, à ce chant, se mêlait la triste nouvelle du sort encouru par quel-qu'audacieux, forcé de chercher l'exil dans les contrées du Caucase ou de la Sibérie. C'est ainsi que, dix ans après le 26 décembre, un penseur a jeté dans le monde quelques feuilles qui, partout où se trouvent, en Russie, des lecteurs, produisirent une secousse électrique.

    écrit était un reproche calme et sans amertume; il ressemblait à un examen sans passion de la situation des Russes, mais c'était le coup d'œil irrité d'un homme profondément offensé dans les plus nobles parties de son être. Sévère et froid, il demande compte à la Russie de toutes les souffrances qu'elle prépare à l'homme pensant, et, après les avoir analysées toutes, il se détourne avec horreur, il maudit la Russie dans son passé, il dédaigne son présent, et ne prophétise que malheur à son avenir. On n'entendait pas de ces voix-là pendant la brillante époque du libéralisme un peu exotique d'Alexandre, – elles n'éclatèrent même pas dans les poésies de Pouchkin; pour les arracher d'une poitrine humaine, il a fallu le poids intolérable d'une terreur de dix ans: il nous a fallu voir la ruine de tous nos amis, la gloire du siège de Varsovie et la pacification de la Pologne.

    Tschaadaeff avait tort en beaucoup de points, mais sa plainte était légitime et sa voix avait fait entendre une terrible vérité. C'est là ce qui explique son immense retentissement. A cette époque, tout ce qui est de quelque importance en littérature prend un nouveau caractère. C'en est fait de l'imitation des Français et des Allemands, la pensée se concentre et s'envenime; un désespoir plus amer et une plus amère ironie de son propre destin éclate partout, aussi bien dans les vers de Lermontoff que dans le rire moqueur de Gogol, rire, sous lequel, suivant l'expression de l'auteur, se cachent les larmes.

    éléments de la vie nouvelle et du mouvement restèrent alors isolés; s'ils n'arrivèrent pas à cette unité qui régnait avant le 26 décembre, c'est, avant tout, que les questions les plus importantes devinrent beaucoup plus complexes et plus profondes. Tous les hommes sérieux comprirent qu'il ne suffisait plus de se traîner à la remorque de l'Europe, qu'il existe en Russie quelque chose qui lui est propre et particulier, et qu'il faut nécessairement étudier et comprendre dans le passé et dans le présent.

    à la Russie, ne virent rien d'hostile ni d'antipathique aux institutions de l'Europe; loin de là, ils prévoyaient le temps, où la Russie, au-delà de la période de Pétersbourg, et l'Europe, au-delà du constitutionnalisme, viendraient à se rencontrer. Les autres, au contraire, rejetant sur le caractère antinational du gouvernement tout le poids de la situation présente, confondirent dans une même haine tout ce qui tient à l'Occident.

    étersbourg enseigna à ces hommes à mépriser toute civilisation, tout progrès; ils voulaient retourner aux formes étroites des temps qui avaient précédé Pierre Ierà peu près étranglée. Heureusement, le chemin, pour revenir à la vieille Russie, s'est depuis longtemps couvert d'une épaisse forêt, et ni les slavophiles ni le gouvernement ne réussiront à la raser.

    é à la littérature une nouvelle vie; les journaux ont vu s'accroître considérablement le nombre de leurs souscripteurs, et, aux cours d'histoire, les bancs de l'université de Moscou rompaient sous la foule des auditeurs. N'oubliez pas que, dans l'excessive pauvreté d'organes de l'opinion publique, les questions de littérature et de science se sont transformées en une arène pour les partis politiques. Tel était l'état de choses lorsque la Révolution, de Février éclata.

    Le gouvernement, d'abord étourdi, ne fit rien, mais lorsqu'il vit l'allure humble et soumise de la modeste République, il reprit bientôt ses sens. Le gouvernement russe déclara hautement qu'il se considérait comme le champion du principe monarchique et, présageant la solidarité de la civilisation avec la Révolution (à l'exemple de l'Assemblée Nationale française) il ne cacha pas qu'il était prêt à tout sacrifier pour la cause de Le gouvernement russe, avec plus d'énergie que cette Assemblée, marcha, dans sa cynique hardiesse, à l'anéantissement de la civilisation et du progrès.

    être, la ruine de tout élément civilisateur. Epouvantable résultat! Mais la Russie n'en sera pas abîmée pour cela. Il est même fort possible que ce résultat devienne, pour le Peuple, le signal du réveil, et que s'ouvre alors une nouvelle ère pour la justice et les droits du Peuple.

    é, qu'il est né à Pétersbourg, qu'il est le gouvernement de la Russie civilisée; qu'il est lié, lui aussi, par les gages qu'il a donné à la civilisation européenne, et qu'en dépit de ses airs actuels d'orthodoxie et de nationalité, le paysan russe le regarde toujours comme allemand.

    ône de Pétersbourg – admirez la sublime ironie! – est lié à la civilisation; en l'anéantissant il se précipite dans un abîme effroyable, et s'il la laisse grandir, il tombe dans un autre abîme. – Il est possible, d'ailleurs, que la Russie, par suite d'une oppression intolérable, se décompose en un grand nombre de parties; peut-être aussi se précipitera-t-elle tout simplement en avant, et, dans son impatience, secouera-t-elle, de dessus son dos vigoureux, les cavaliers maladroits. Tout cela est encore dans l'avenir, et je ne suis pas maître dans l'art de la divination.

    ès tout ce que j'ai dit, voilà la question que l'on s'adresse involontairement. Quelle idée, quelle pensée apporte donc ce Peuple dans l'histoire? Jusqu'à présent, nous voyons seulement qu'il se présente lui-même, et c'est là, d'ordinaire, la condition de tout ce qui n'a pas encore mûri. Quelle idée apporte un enfant dans la famille? Rien autre chose que la faculté, la disposition, la possibilité d'un développement. Quant à savoir si cette possibilité existe, si les mucles de l'enfant sont vigoureux, si ses facultés y répondent, ce sont là des questions abandonnées à notre examen. Et voilà précisément pourquoi j'insiste aujourd'hui plus que jamais sur la nécessité d'étudier la Russie.

    épuisées à travers les luttes d'une longue vie, se pose un Peuple, dont l'existence commence à peine, et qui, sous la dure écorce extérieure du tzarisme et de l'impérialisme, a grandi et s'est développé, comme les cristaux croissent sous une géode; l'écorce du tzarisme moscovite est tombée, aussitôt qu'elle est devenue inutile; l'écorce de l'impérialisme adhère encore moins fortement à l'arbre.

    Il est vrai que, jusqu'à présent, le Peuple russe ne s'est en rien occupé de la question de gouvernement; sa foi a été celle d'un enfant, sa soumission toute passive. Il ne s'est réservé qu'un seul fort, resté debout à travers tous les âges: c'est sa commune rurale, et par là il est plus près d'une Révolution sociale que d'une Révolution politique. La Russie naît à la vie comme Peuple, le dernier de tous, encore plein de jeunesse et d'activité à une époque, où les autres Peuples veulent du repos; il apparaît dans l'orgueil de sa force à une époque, où les autres Peuples se sentent fatigués et sur leur déclin. Son passé a été pauvre, son présent est monstrueux; il est vrai que cela ne constitue encor aucuns droits.

    ène de l'histoire, sans avoir vécu dans toute la plénitude de la vie; mais ils n'avaient pas, comme la Russie, des prétentions aussi colossales sur l'avenir. Vous le savez: dans l'histoire on ne peut pas dire éservés, s'ils sont capables de s'en nourrir. Et c'est ici la grande question.

    La force du Peuple russe est avouée de toute l'Europe par la crainte même qu'il lui inspire; il a montré ce dont il est capable dans la période de Pétersbourg; il a beaucoup fait, et cela, malgré les chaînes dont ses mains étaient chargées: chose étrange et vraie cependant, comme il est vrai que d'autres peuples, pauvrement doués, ont consumé des siècles entiers sans rien faire, quoique jouissant d'une pleine liberté. La justice n'appartient pas aux qualités eminentes de l'histoire; la justice est trop sage et trop prosaïque, tandis que la vie, dans son développement, est au contraire capricieuse et poétique. Au point de vue de l'histoire, la justice donne à qui n'a pas mérité; le mérite trouve d'ailleurs sa récompense dans le service même qu'il a rendu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    à, mon cher ami, tout ce que je voulais vous dire pour cette fois. Je pourrais fort bien terminer ici, mais il me vient à cette heure une pensée bizarre: c'est qu'il se rencontrera. quantité de bonnes gens, d'oreille un peu dure, qui verront dans ma lettre un patriotisme exclusif, une préférence pour la Russie, et qui s'écrieront là-dessus qu'ils avaient conçu de ce pays une tout autre idée.

    Oui, j'aime la Russie.

    énéral, je regarde comme impossible ou comme inutile d'écrire sur un sujet, pour lequel on ne ressent ni amour ni haine. Mais mon amour n'est point le sentiment bestial de l'habitude; ce n'est point cet instinct naturel dont on a fait la vertu du patriotisme; j'aime la Russie parce que je la connais, avec conscience, avec raison. Il y a aussi beaucoup de choses en Russie que je hais sans mesure et avec toute la puissance d'une première haine. Je ne dissimule ni l'un, ni l'autre.

    ît point du tout la Russie; en Russie on connaît très mal l'Europe. Il fut un temps où, en présence des Monts-Ourals, je me faisais de l'Europe une idée fantastique; je croyais à l'Europe et surtout à la France. Je profitai du premier moment de liberté pour venir à Paris.

    était encore avant la Révolution de Février. Je considérai les choses d'un peu plus près et je rougis de ma prévention. Maintenant je suis furieux de l'injustice de ces publicistes au cœur étroit qui ne reconnaissent le tzarisme que sous le 59é de latitude boréale. Pourquoi ces deux mesures? Injuriez tant qu'il vous plaira, et accablez de reproches l'absolutisme de Pétersbourg et la persévérance de notre résignation; mais injuriez partout et reconnaissez le despotisme sous quelque forme qu'il se présente, s'appelât-il président d'une République, gouvernement provisoire ou Assemblée nationale.

    ès avoir perdu tout ce qu'on avait espéré, tout ce qu'on avait acquis, à côté des cadavres de ceux qui sont tombés et que l'on a fusillés, a côté de ceux que l'on a enchaînés et déportés, à l'aspect de ces malheureux, chassés de contrée en contrée, à qui on donne l'hospitalité comme aux Juifs dans le moyen-âge, à qui l'on jette, comme aux chiens, un morceau de pain pour les obliger ensuite à poursuivre leur chemin: en l'an 1849, dis-je, c'est une honte de s'arrêter au point de vue étroit du constitutionnalisme libéral, de cet amour platonique et stérile pour la politique.

    à l'esclavage l'aspect de la liberté, s'est évanouie; les masques sont tombés, nous savons maintenant, au juste, ce que vaut la liberté républicaine de la France et la liberté constitutionnelle de l'Allemagne; nous voyons maintenant (ou, si nous ne le voyons pas, c'est notre faute), que tous les gouvernements subsistants, depuis le plus modeste canton en Suisse jusqu'à l'autocrate de toutes les Russies, ne sont que des variations d'un seul et même thème.

    “Il faut sacrifier la liberté a l'ordre, l'individu a la société; donc, plus le gouvernement est fort, mieux cela vaut».

    é la Russie? Pour répondre à cette question, je vous traduirai quelques paroles de ma lettre d'adieux à mes amis: «Ne vous y trompez pas! Je n'ai trouvé ici ni joie, ni distraction, ni repos, ni sécurité personnelle; je ne puis même imaginer que personne aujourd'hui puisse trouver en Europe ni repos, ni joie. La tristesse respire dans chaque mot de mes lettres. La vie ici est très pénible.

    «Je ne crois ici à rien qu'au mouvement; je ne plains rien ici que les victimes; je n'aime rien ici que ce que l'on persécute; et je n'estime rien que ce que l'on supplicie, et cependant je reste. Je reste pour souffrir doublement de notre douleur et de celle que je trouve ici, peut-être pour être abîmé dans la dissolution générale. Je reste, parce que la lutte ici est ouverte, parce qu'ici elle a une voix.

    à celui qui est ici vaincu! Mais il ne succombe pas sans avoir fait entendre sa voix, sans avoir éprouvé sa force dans le combat; et c'est à cause de cette voix, à cause de cette lutte ouverte, à cause de cette publicité que je reste ici».

    à ce que j'écrivais le 1er é. Le privilège de se faire entendre et de combattre publiquement s'amoindrit chaque jour davantage; l'Europe, chaque jour davantage, devient semblable à Pétersbourg; il y a même des contrées qui ressemblent plus à Pétersbourg que la Russie même. Les Hongrois le savent, eux qui se sont réfugiés, dans le délire de leur désespoir, sous la protection des drapeaux russes…

    à nous mettre aussi un bâillon sur la bouche, et que l'oppression ne nous permette pas même de maudire à haute voix nos oppresseurs, je m'en irai alors en Amérique. Homme, je sacrifierai tout à la dignité de l'homme et à la liberté de la parole.

    ût 1849.


    Россия
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