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    La Russie et le vieux monde
    Старый мир и Россия
    Примечания

    LA RUSSIE ET LE VIEUX MONDE

    Lettres à W. Linton, esq.

    PREMIÈRE LETTRE

    «Quel est, à votre avis, l'avenir de la Russie?»

    Chaque fois que je dois répondre à une question pareille, je réponds à mon tour. La voici: l'Europe est-elle, ou non, capable d'une régénération sociale? — Cette question est grave! Car si le peuple russe n'a qu'un seul avenir, il y a peut-être deux éventualités pour l'avenir de l'empire éalisera? cela dépend de l'Europe.

    Il me semble, à moi, que l'Europe, telle qu'elle existe, a terminé son rôle; la dissolution va d'un train exorbitant depuis 1848.

    Ces paroles effrayent, et on les conteste sans s'en rendre compte. Certainement, ce ne sont pas les qui périront, mais les Etats, mais les institutions romaines, chrétiennes, féodales et jusle-milieu-parlementaires, monarchiques ou républicaines, peu importe.

    L'Europe doit se transformer, se décomposer, pour entrer eu nouvelles combinaisons. C'est ainsi que le monde romain se transforma en Europe chrétienne. Il cessa d'être lui-même; il n'entra que comme un des éléments — les plus actifs — dans ia constitution du nouveau monde.

    à nos jours, le monde européen n'a subi que des réformations; les bases de l'Etat, moderne restaient intactes: on continuait sur le même fond en améliorant les détails. Telle a été la réforme de Luther, telle la Révolution de 1789.

    Telle ne sera pas la Révolution sociale.

    Nous sommes arrivés à la dernière limite du replâtrage; il est impossible de se mouvoir dans les anciennes formes sans les faire éclater. Notre idée révolutionnaire est complètement incompatible avec l'état de choses existant.

    é sur l'idée romaine de l'absorption de l'individu par la société, sur la sanctification de la propriété accidentelle et monopolisée, sur une religion consacrant le dualisme le plus absolu (même dans la formule révolutionnaire Dieu et le Peuple), — n'a rien à donner l'Avenir que son cadavre, que ses éléments chimiques émancipés par sa mort.

    Le socialisme, c'est la négation de tout ce que la République politique a conservé de la vieille société. Le socialisme, c'est la religion de l'homme, la religion terrestre, sans ciel: c'est la société sans gouvernement, c'est l'accomplissement du christianisme et la réalisation de la Révolution.

    Le christianisme a fait de l'esclave un fils de l'homme, la Révolution a fait de l'affranchi un Citoyen, le socialisme veut en faire un (car la cité doit dépendre de l'homme et non l’homme de la cité). Le christianisme montre aux fils des hommes, idéal, le fils de Dieu, — le socialisme va plus loin, il déclare le fils majeur... et, comme tel, l'homme veut être plus que fils de Dieu, — il veut être lui-même.

    été et les individus, et ceux même entre les individus doivent être totalement changés. Or, la grande question est maintenant de savoir si les peuples germano-romains auront la force de subir cette métempsychose et s'ils l'auront maintenant?

    L'idée de la révolution sociale est européenne. — Cela ne veut pas dire que les peuples les plus capables de la réaliser soient les peuples de l'Occident.

    Le christianisme n'a été que crucifié à Jérusalem.

    ée sociale peut bien être un testament, une dernière volonté, une limite au-delà de laquelle le monde aller? Elle peut aussi être l'entrée solennelle dans une nouvelle existence, l'acquisition de la toge virile?

    L'Europe est trop riche pour risquer son va-tout; elle a trop à conserver, elle est trop civilisée dans ses régions supérieures et trop peu dans les inférieures, pour s'élancer à corps perdu dans une Révolution si complète.

    Républicains et monarchistes, déistes et jésuites, bourgeois et paysans... tous, en Europe, sont des conservateurs. Il n'y a de révolutionnaires — que les ouvriers.

    L'ouvrier peut sauver le vieux monde d'une grande honte et de grands malheurs. — Sauvé par lui, le vieux monde ne se survivra pas un jour. C'est que nous serons alors en plein socialisme militant — ésolue positivement.

    Mais l'ouvrier peut, aussi, être terrassé — comme dans les journées de juin. La répression sera encore plus cruelle, plus terrible. Alors la destruction du vieux monde doit entrer par une autre porte, et la réalisation même de l'idée sociale peut se produire dans un autre monde.

    Regardez un peu ces deux plateaux immenses qui se touchent par la nuque — des deux côtés de l'Europe. Pourquoi sont-ils si grands, à quoi se préparent-ils, quelle est cette passion d'activité, d 'agrandissement qui les dévore? Ces deux mondes, si opposés l'un à l'autre, auxquels pourtant il est impossible de refuser quelque analogie: — ce sont les Etats-Unis et la Russie. Personne ne doute que l'Amérique ne soit la véritable continuation du développement de l'Europe et rien que cette continuation. — Dénuée de toute initiative, de toute invention, comme elle l'est, l'Amérique est prête à recevoir l'Europe, à réaliser les idées sociales, mais elle ne viendra pas achever le vieil édifice... elle ne quittera pas ses plaines fertiles.

    Peut-on affirmer la même chose du monde slave? Qu'est-ce que le monde slave? Que veut ce monde muet é les siècles depuis la migration des peuples jusqu'à nos jours dans un continuel à parte, sans desserrer les dents?

    Monde étrange, ne faisant cause commune ni avec l'Europe ni avec l'Asie.

    ’Europe fait les croisades, — les Slaves restent chez eux.

    L’Europe développe le féodalisme, les grandes cités, une législation basée sur le droit romain, sur les lois germaines: l’Europe civilisée devient protestante, libérale, parlementaire, révolutionnaire. ‒ Les Slaves n'ont ni grandes cités, ni noblesse aristocratique; ils ignorent le droit romain, ne connaissent pas de distinction entre les paysans et les ciladins, ils habitent de préférence leurs villages, gardent leurs institutions communales, démocratiques, communistes et patriarcales.

    Il semble que le temps de ces peuples ne soit pas venu, qu'ils attendent quelque chose, que leur ne soit que provisoire.

    Maintes fois les Etats slaves commencent à se former avec vigueur, leur tentative prend consistance, cela se développe (comme la Serbie sous Douchan)... et cela échoue, sans qu'on puisse bien comprendre le pourquoi.

    S'étendant des bords de la Volga et de ceux de l'Elbe, jusqu'à la mer Adriatique et à l'Archipel, les Slaves ne savent pas même se lier pour la défense commune. Les uns succombent sous les coups des Allemands, les autres sous ceux des Turcs. Une troisième peuplade fut conquise par les hordes sauvages qui s'abattirent sur la Pannonie. Une grande partie de la Russie resta longtemps courbée sous le joug des Mongols.

    La Pologne seule était indépendante et forte... mais c'est qu'elle était moins Slave que les autres: elle était Or, le catholicisme est complètement contraire au génie slave. Vous vous rappelez que ce sont les Slaves qui ont les premiers commencé la grande lutte contre le Papisme et qui lui ont de suite imprimé un caractère profondément social (les Taborites). Reduite et ramenée au catholicisme, la Bohême a cessé d'exister...

    La Pologne donc garda son indépendance en rompant l'unité nationale et en se rapprochant des Etats de l'Occident.

    és indépendants, étaient loin de former des Etats organisés; il y avait quelque chose de flottant, d'indéterminé, de peu gouverné, d'anarchique (comme diraient nos amis de l'ordre) dans leur vie sociale. Je ne connais rien au monde de plus conforme au caractère slave que l'existence de l'Ukraine ou de la Petite Russie, depuis la période de Kiev jusqu'à Pierre I. C'était une république cosaque et agricole, organisée militairement sur des bases complètement démocratiques et communistes. Sans centralisation, sans gouvernement fort, se régissant par des coutumes n'acceptant ni la suprématie du tzar de Moscou, ni celle du roi de Pologne. Il n'y a pas de traces d'aristocratie dans cette république rudimentaire; chaque homme majeur était citoyen actif, toutes les charges étaient électives, depuis le décurion jusqu'au Hotman. Je vous prie de remarquer que cette république a existé depuis le XIII-e siècle jusqu'au XVIII-e, en se défendant continuellement contre les Moscovites, les Polonais, les Lithuaniens, les Turcs et les Tartars de la Crimée. En Ukraine, comme chez les Monténégrins, méme chez les Serbes, les Illyriens, les Dalmates — le génie slave a donné quelques indications assez claires de ses aspirations: — aucune forme politique.

    Pourtant il a fallu passer par la dressure d'un Etat fort, éternel sommeil de la vie communale.

    Vers le XlV-e siècle la Russie commence à avoir un centre autour duquel gravitent et se cristallisent les diverses parties de l'Etat — c'est Moscou. Dès son apparition comme ville centrale, elle prend le rôle de la capitale du monde slave orthodoxe.

    G'est à Moscou que se forma l'absolutisme byzantin et oriental des tzars, c'est par elle que périrent les dernières franchises du peuple. Tout fut sacrifié à l'idée de l'Etat, d'abdiquer tous les droits humains pour sauver son indépendance nationale et son avenir.

    Novgorod — cité grande et libre —était un reproche vivant pour la ville parvenue, pour la ville des tzars. Moscou écrasa sa rivale avec une cruauté sanguinaire et sans le moindre remords.

    Lorsque toute la Russie fut à ses pieds, Moscou se trouva face à face avec Varsovie.

    à une autre époque. Pendant un moment la Pologne eut le dessus. Moscou plia, Vladislaf, fils de Sigismond roi do Pologne, fut proclamé tzar de toutes les Russies. La maison de Rurik, de Vladimir Monomakh était éteinte — il n'y avait pas de gouvernement, les généraux polonais et les Hetmans des Cosaques régnaient à Moscou.

    Alors le peuple entier se leva à la voix d'un boucher de Nijni Minine — et la Pologne se vit obligée d'abandonner Moscou et le sol russe.

    Après avoir accompli son œuvre de soudage, Moscou s'arrête. Elle ne sait que faire de ces forces évoquées par elle et restées sans emploi. L'issue se trouva de suite. — Là ou il y a beaucoup de force, l'issue se trouve toujours.

    Etat russe un Etat européen.

    La légèreté avec laquelle une partie de la nation se fit aux mœurs européennes et renia ses habitudes est une preuve palpable que l'Etat moscovite n'était nullement une véritable expression de la vie populaire, mais bien une forme transitoire. Là où on touchait aux éléments réellement nationaux, le peuple les défendait avec opiniâtreté. Toute la classe des paysans n'accepta rien de la réforme de Pierre I. Aussi était-elle le véritable dépositaire de la vie nationale, et la base de cette vie était (comme l'a dit le célèbre historien Michelet) le Communisme, à-dire partage continuel de la terre d'après le nombre des travailleurs et absence de propriété territoriale individualisée.

    Comme l'Amérique du Nord représente la dernière conséquence des idées républicaines et philosophiques de l'Europe du XVIII-e siècle; c'est ainsi que l'Empire de Pétersbourg a développé jusqu'au monstrueux les principes du monarchisme et de la bureaucratie européenne. Le dernier mot de l'Europe conservatrice est dit par Pétersbourg; ce n'est par sans raison que tous les réactionnaires se tournent vers cette Rome de l'absolutisme.

    étersbourg? C'est facile à juger par l'Etat gigantesque qui se forma. Les forces étaient tellement exubérantes que même pendant la confusion et la détestable administration de Pierre I à Catherine II, — l'Etat s'est accru matériellement avec une rapidité inouie.

    ès avoir absorbé, subjugué tout ce qui était à sa portée ‒ prenant les provinces Baltiques et la Crimée, la Bessarabie et la Finlande, l'Arménie et la Géorgie, partageant la Pologne et arrachant une province après l'autre à la Turquie — l'empire russe trouva enfin un rival formidable. C'était la Révolution française renversée, avortée, dégénérée en un despotisme tout pareil à celui de Pétersbourg. La Russie se mesura avec Napoléon et le vainquit.

    Du moment où l'Europe à Paris, à Vienne, à Aix-la-Chapelle et à Vérone reconnut nolens volens, l'hégémonie — l'œuvre de Pierre était terminée et le pouvoir impérial se trouva dans la même position où s'étaient trouvés les tzars de Moscou avant Pierre I.

    L'empereur Alexandre le sentit bien.

    érial peut certainement se conserver pendant quelque temps encore, s'imposer par tous les moyens qui sont dans les mains d'un gouvernement arbitraire; mais il ne peut rien créer, ni produire de plus à l'intérieur, — sans rencontrer partout l'esprit qu'il ne veut évoquer. Tout ce qu'il peut faire — c'est une guerre à l'extérieur.

    Comment se fait-il qu'après un règne effacé de 25 années, tout à coup une audace téméraire s'empare de cet homme, et qu'il jette sa mitaine à la tête de la France et de la Chine, de l'Angleterre et du Japon, de la Suède et des Etats-Unis... sans parler de la Turquie...

    Moi, je commence à penser qu'il est devenu sage.

    Pour commencer une guerre, il lui fallait la plus entière certitude de la lâcheté de tous les Etats de l'Europe; il lui fallait avoir pour eux un mépris sans bornes... Eh bien! il l'a. Nicolas boudait les gouvernements occidentaux avant 1848, — mais ne les méprisait pas. Nicolas tremblait en apprenant les révolutions de 1848 — et ne s'est rassuré qu'en recevant la nouvelle de la dictature ensanglantée de Cavaignac. Mais après le coup de main qu'il a donné à l'Autriche — par son intervention en Hongrie, intervention tolérée par l'Angleterre, comme l'invasion à Rome, il a mieux compris le terrain de ses amis-adversaires. é lentement, peu à peu, l'abîme de leur ignominie, de leur pusillanimité, de leur ignorance — et le voilà qui fait la Guerre. — évu n'y intervient? ‒ leur ennemi commun à eux tous, la Révolution, bien entendu!

    «Dans ce cas, pas de guerre! Déclarons nous battus par avance, sacrifions la Turquie, cédons Constantinople plutôt que de rompre avec le tzar».

    Voilà le raisonnement do tous les diplomates, banquiers et autres gens qui pensent que le conservatisme consiste à ne pas lâcher la pièce de 5 francs qu'on a dans la main et à fermer les yeux sur les dangers du lendemain...

    Eh bien, cédez; ne faites pas la guerre, — mais sachez bien, qu'alors, au lieu d'avoir, ou la Révolution, ou Nicolas...

    évolution.

    Voilà ce que je développerai, cher Linton, dans ma deuxième lettre.

    DEUXIEME LETTRE

    La formule de la vie européenne est beaucoup plus compliquée que ne l'était celle du monde antique.

    Lorsque la culture de la Grèce déborda les limites étroites des républiques urbaines, ses formes politiques furent do suite épuisées et s'usèrent avec une grande célérité. La Grèce devint province romaine.

    épensa son fond d'organisation et transgressa ses institutions politiques, elle ne trouva plus de ressources pour sa régénération et se désagrégea en se combinant de diverses manières avec les barbares.

    états antiques n'étaient pas pérenniels, ils n'existaient qu'une saison.

    Vers le XV-e siècle, l'Europe arriva à un de ces cataclysmes, qui, pour les états antiques, aurait été le précurseur d'une mort certaine. La conscience et la pensée rejetaient les bases de l'édifice social. Le catholicisme et le féodalisme furent attaqués. Une lutte sourde dura plus de deux siècles... minant l'église et le château.

    était si près de la mort, que déjà on commençait à entrevoir les barbares au-delà des frontières — ces corbeaux qui flairent de loin l'agonie des peuples.

    Byzance était dans leur mains, ils paraissaient tout prêts à fondre sur Vienne, mais le croissant fut arrêté au bord dol'Adriatique.

    Un autre peuple barbare s'agitait au Nord, s'organisait, se préparait. — Un peuple en peau de mouton et aux yeux de lézard. Les déserts de la Volga et de l'Oural ont vu de tout temps les bivouacs des peuples en migration; ce sont les salles d'attente et de rassemblement, officina gentium, ù, en silence, la destinée prépare ces nuées de sauvages pour les lâcher sur les peuples mourants, sur les civilisations en marasme — afin de les achever.

    éclairer les ruines de l'Acropolis et les eaux de l'Hellespont. Et les barbares de la Volga, au lieu de tenter une invasion en Europe — allèrent enfin, dans la personne d'un de leurs tzars, solliciter de leurs voisins la civilisation et l'organisation politique.

    Le premier orage passa au-dessus des têtes.

    Que s'est-il donc passé?

    éternelle des peuples vers l'Occident — retenue par l'Atlantique, se continuait; l'humanité avait trouvé un guide: Christophe Colomb lui montrait le chemin.

    L'Amérique sauva l'Europe.

    états antiques: une phase de décomposition à l'intérieur et de développement au-delà de l'océan.

    La Réformation et la Révolution ne sortirent pas des murs de l'église ni des enceintes des états monarchiques; évidemment elles ne purent pas abattre le vieil édifice. Le dôme gothique s'affaissa, le trône se pencha de côté, mais leurs ruines subsistèrent. Et ni la Réforme, ni la Révolution n'avaient plus prise contre eux.

    être réformé, évangelique, luthérien, protestant, quaker — l'église existe, c'est-à-dire que la liberté de la conscience n'existe pas, ou c'est un acte de rébellion être parlementaire, constitutionnel à deux chambres ou à une seule, au suffrage restreint ou au suffrage universel... le trône penche, mais existe toujours; et quoique les rois fassent la culbute à chaque instant, ‒ il s'en trouve d'autres. ‒ A défaut d’un roi dans une république, si c'est en France, il y a un roi de paille qu’on met sur le trône et pour lequel on garde les châteaux et les parcs, les Tuileries et les Saint-Cloud.

    Tandis qu'un christianisme laïque et rationaliste — lutte contre l'église, sans s'apercevoir qu'il sera écrasé le premier par la voûte, — tandis qu'un républicanisme monarchique lutte contre le trône, pour s'y asseoir royalement, — le souffle révolutionnaire est ailleurs, le torrent a changé de direction et laisse ces vieux Montechi et Capuletti continuer leur lutte héréditaire sur le second plan. L'étendard se lève, non plus contre le prêtre, — non plus contre le roi, non plus contre le noble, mais contre leur héritier à tous, — contre le maître, — contre le détenteur patenté des instruments de travail. Et le révolutionnaire n'est plus ni huguenot, ni protestant, ni libéral; il s'appelle

    Et voilà que l'Europe — rajeunie une fois — deux fois même, s'arrête à une troisième limite n'osant la franchir. Elle tremble devant le mot le «Socialisme» qu'elle lit sur la porte. — On lui a dit que c'est Catilina qui doit ouvrir la porte, et cela est vrai. La porte peut ne pas s'ouvrir; mais si elle est ouverte, ce sera par Catilina... et un Catilina qui a tant d'amis, qu'il est impossible de les étrangler tous dans une prison. Cicéron, l'assassin consciencieux et civil, fut plus heureux que son émule Cavaignac.

    à passer que ne furent des autres. Toutes les réformes conservent la moitié du vieux monde, qu'elles couvrent d'un nouveau drap; le coeur ne se brise pas entièrement; on ne perd plus'tout à la fois; une partie de ce qu'on aimait, de ce qui nous était cher depuis l'enfance, que nous vénérions, ce qui était traditionnel, reste et console les faibles... Adieu chansons des nourrices, adieu réminiscences de la maison paternelle, adieu l'habitude dont la force est plus grande que la force du génie, dit Bacon.

    Peu à peu tous les intérêts, toutes les préoccupations, complications, aspirations qui ont agité pendant un siècle les esprits en Europe — pâlissent, deviennent indifférentes, choses de routine, questions de coterie. Où sont tous les grands mots qui faisaient vibrer le cœur et verser les larmes!.. Où sont les drapeaux vénérés depuis Jean Huss dans un des camps, depuis 89 dans un autre? Depuis que le brouillard opaque, qui enveloppait la révolution de Février, a disparu, on commence à voir de plus en plus clair; une simplicité tranchante éelles:

    La question sociale, —

    Et, au fond, c'est la même. La question russe, c'est le côte accidentel, l'épreuve négative; c'est la nouvelle apparition desbarbares, flairant l'agonie, criant leur «mémento mori» au vieux monde, et lui offrant un assassin, s’il ne veut pas se suicider.

    En effet, si le socialisme révolutionnaire ne parvient pas à en finir avec la société en décadence — La Russie en finira.

    écessaire, — mais cela est possible.

    Rien n'est asbolument nécessaire. L'avenir n'est jamais immuablement arrêté d'avance: il n'y a aucune prédestination invariable. L'avenir peut ne pas être du tout. Un cataclysme géologique pourrait bien mettre fin non seulement à la question orientale — mais à toutes les autres, faute do questionneurs.

    ée des éléments qui sont sous mains, et des conditions qui les entourent, il continue le passé; les tendances générales, vaguement exprimées, se modifient d'après les circonstances. Los circonstances déterminent le comment, et la possibilité flottante devient fait accompli. La Russie peut aussi bien envahir l'Europe jusqu'à l'Atlantique, qu'en être envahie jusqu 'à l'Oural.

    Pour le premier cas, il faut une Europe profondément divisée.

    ément unie.

    Le tzarisme est poussé par instinct de conservation et par une force naturelle, comme celle qui guide les oiseaux aux migrations, vers la mer Noire, vers la Méditerranée. Il lui est impossible de ne pas rencontrer l'Europe dans cette marche.

    Ce serait une folie du penser que l'empereur Nicolas puisse tenir tête à l'Europe, à moins que l'Europe elle-même ne se mette à l'avant-garde de son armée et ne combatte contre elle-même; mais c'est ce qui se fait; c'est ce qui est.

    énile, trouvera dans un conflit entre l’Europe et la Russie, les moyens de paralyser chaque élan des peuples.

    Car il y a deux Europes qui s'entre-haïssent, s'entre-détestent beaucoup plus profondément que les Turcs et les Russes, et ce éisme social existe dans chaque état, dans chaque ville, dans chaque hameau. Quelle unité d'action est donc possible avant le triomphe d'un des lutteurs? Les armées ne combattent héroïquement aux frontières que lorsqu'il y a un comité de salut public à la maison.

    é aux armées révolutionnaires cette énergie étonnante qui dura vingt années après sa mort.

    Il n'y a rien au monde qui démoralise plus les armées que la pensée funeste d'une trahison derrière leur dos. Peut-on avoir confiance aux gouvernements tels qu'ils sont? Dans leur propre camp, les hommes de l'ordre çonnent l'un l'autre.

    îtres qui vendent leur pays à Nicolas.

    Nicolas a non seulement des banquiers et des journalistes, il a des premiers ministres, des frères de roi, des cousins régnant; il a un nombre prodigieux de grand-duchesses, qu'il octroie aux princes allemands, à condition de faire des serfs russes de leurs maris; et ces grand-duchesses, lorsqu'elles sont malades, vont prendre «les brouillards de Londres», dont la vertu curative a été découverte par Nicolas.

    «La Fusion» est très-russe; — «l'Assemblée Nationale» a l'air d'être une feuille do Kazan ou de Penza. — Mais si l'empereur Nicolas voulait abandonner tous ces Chambord-Nemours aux délices d'une réconciliation de famille et d'une partie de chasse à Froshdorff, le bonapartisme serait à l'instant même, non seulement Russe, mais Tartare.

    Le roi des Belges tient une agence russe à Bruxelles; le roi de Danemark, un petit bureau à Copenhague. L'Amirauté, — la fière Amirauté de la Grande-Bretagne fait humblement la police du tzar à Portsmouth, et un officier samoyède foule impunément aux pieds l'acte de sur le pont d'un navire anglais. Le roi de Naples est le servile imitateur de Nicolas, et l'empereur d'Autriche son Antinoïs, son admirateur passionné.

    On parle tant d'agents russes que l'on cherche toujours parmi quelques misérables espions que le gouvernement russe paie pour être au courant de tous les cancans. éritables Chenu et Delahodde du tzar sont les oints du seigneur, leurs et cognates, leur parenté dans les lignes ascendantes ot descendantes. Le registre des espions russes, le plus complet, c'est ’Almanach de Gotha.

    Vous voyez donc qu'une lutte sérieuse avec la Russie est totalement impossible avant d'avoir balayé, et bien balayé, la maison.

    é fatale qui lie l'Europe réactionnaire au tzarisme; et ce sera une sublime ironie providentielle si nous la voyons périr par lui.

    Nicolas a fait la plus grande espièglerie du XlX-e siècle en déclarant la guerre à la Turquie.

    étaient très contents de faire peur aux révolutionnaires des 400 000 baïonnettes russes; ils croyaient qu'il se résignerait au rôle passif d'épouvantail; ils avaient oublié que même un Louis Bonaparte n'a pas voulu se résigner à la fonction du «sapeur pompier...»

    Les jours heureux étaient revenus, on était si content, si tranquille; les masses, écrasées par les troupes, mouraient de faim avec une résignation chrétienne. Pas de presse, pas de tribune... pas de France! Le Saint-Père, appuyé sur une armée sortie de la rue de Jérusalem, distribuait à droite et à gauche sa bénédiction apostolique. Les affaires reprenaient après la catastrophe de Février. L'anthropophagie sociale était plus stationnaire que jamais. Une ère «d'amour et de sympathie» s'ouvrait. La Belgique se mariait à L'Autriche dans la personne d'une archiduchesse autrichienne, — le jeune empereur de Vienne soupirait aux pieds de sa fiancée, Napoléon III — «Werther» de 45 ans — épousait par caprice amoureux sa «Charlotte» de Téba.

    Au milieu de cette tranquillité, de ce bien-être universel, l'empereur Nicolas jette l'alarme en commençant une guerre unitile, fantastique, ès bien passer des bords de la mer Noire aux bords du Rhin, et qui apportera dans tous les cas tout ce qu'on craignait des révolutions: ‒ expropriations, contributions, violences, et, par dessus le marché, une occupation étrangère, des cours martiales, des fusillades et des contributions de guerre.

    Donoso Contès, dans un discours célèbre prononcé à Madrid en 1849, prédisait l'invasion russe et ne trouvait d'autre ancre de salut pour la Civilisation que l'Unité é. C'est-à-dire la monarchie absolue au service du catholicisme. C'est pour cela aussi qu'il demandait pour première condition l'introduction du catholicisme en Angleterre.

    Il est possible qu'avec une Unité pareille, l'Europe serait très forte; mais cette unité est totalement impossible, aussi impossible que toute autre, à l'exception de é révolutionnaire.

    évolution plus encore que les Russes, quoi de plus simple que d'aller à Sébastopol, d'occuper Odessa. La population mahométane de la Crimée ne serait pas hostile aux Turcs. Une fois là, on ferait un appel à la Pologne, on déclarerait la liberté des paysans de la Petite Russie qui abhorrent le servage... Nous verrions ce qu'entreprendrait alors Nicolas, aveҫ son Dieu orthodoxe.

    Mais, dira l'Autriche — la Pologne c'est la Gallicie.

    Mais, dira la Prusse — la Pologne c'est la Posnanie.

    — quelle force retiendra la Hongrie, la Lombardie?

    Eh bien, il ne faut pas aller à Sébastopol, — ou faire une guerre d'apparat qui se terminera au profit de Nicolas ou de Louis Bonaparte. C'est-à-dire, dans les deux cas, au profit du et contre les

    Car le despotisme n'est pas du tout conservateur. Il ne l'est pas même en Russie. Le despotisme, c'est ce qu'il y a de plus corrosif, de plus délétère, de plus dissolvant. Quelquefois les peuples jeunes, cherchant à s'organiser, commencent par le despotisme, le traversent, s'en servent comme d'une dure éducation; mais plus souvent se sont les peuples retombés en enfance qui succombent sous le joug du despotisme.

    Le despotisme militaire, algérien ou caucasien, bonapartiste ou cosaque, une fois maître de l'Europe, sera nécessairement entraîné à une lutte acharnée contre la vieille société; il ne pourra laisser exister les institutions semi-libres, les droits semi-indépendants, la civilisation habituée à la parole, la science habituée à l’analyse, l'industrie s'érigeant on puissance.

    écrépite — et quelquefois l'étable dans laquelle naît le

    Le monde européen, tel qu'il est, a fini sa tâche; mais il nous semble qu'il pourrait finir plus honorablement sa carrière — passer à une autre forme d'existence, non sans secousses, mais sans abaissement, sans dégradation. Les conservateurs, comme tous les avares, ont eu surtout peur de l'héritier; eh bien! le vieillard sera étranglé nuitamment par des voleurs et des brigands.

    ès avoir bombardé Paris, fusillé, déporté, emprisonné les ouvriers, — ont pensa que le danger était passé! — Mais la mort est un Prothée. On la chasse comme ange de l'avenir, — elle revient comme spectre du passé, — on la chasse comme République démocratique et sociale, elle revient comme Nicolas, tzar de toutes les Russies, ou comme Napoléon, tzar de France.

    L'un et l'autre — ou les deux ensemble, achèveront la lutte.

    Pour lutter, il faut que son adversaire ne soit pas encore terrassé. Où est donc le dernier champ-clos, le dernier retranchement où la civilisation peut livrer une bataille, se défendre au moins contre les despotes?

    A Paris? — Non.

    é, de son vivant, sa couronne révolutionnaire, — un peu de gloire militaire et beaucoup de police suffiront pour maintenir l'ordre à Paris.

    à Londres.

    Tant qu'une Angleterre libre et fière de ses droits existe, — rien n'est fait définitivement pour la cause de la barbarie.

    Depuis le Dix Décembre 1848, la Russie et l'Autriche n'ont plus de haine contre Paris. Paris a perdu son prestige pour les rois, ils ne le craignent plus. — Toute leur haine s'est portée contre l'Angleterre. Ils l'abhorrent, ils la détestent et ils voudraient... la piller!

    éactionnaires, mais non des pays conservateurs. L'Angleterre seule est conservatrice, et le pourquoi à conserver ‒ la liberté individuelle.

    ésume tout ce qui est poursuivi, haï par les Bonaparte et les Nicolas.

    Et vous pensez qu'ils laisseront, eux vainqueurs, à 12 heures de distance de Paris esclave, — Londres foyer do Ja propagande et port ouvert à tout ce qui fuira les villes désertes et incendiées du continent? Car tout ce qui doit être sauvé et peut l'être — au milieu de l'orgie de la destruction, — sciences et arts, industrie et culture — tout cela sera nécessairement poussé en Angleterre.

    Cela suffit pour une guerre.

    Enfin le rêve du premier barbare moderne, de Napoléon, se réalisera.

    évolutionnaire que du despotisme européen? Les peuples ont assez à faire chez eux pour ne pas penser à des invasions.

    Ce n'est ni l'égoïsme, ni la cupidité qui empêchent les Anglais de voir cela clairement. Disons le franchement, c'est leur ignorance et la maudite routine des affaires qui rend ces hommes incapables de comprendre qu'on doit quelquefois marcher non par des chemins battus, mais en se frayant une nouvelle route.

    Eh bien, ceux qui ont des yeux et no veulent pas les ouvrir, ceux-là sont dévoués aux dieux infernaux. Comment les sauver?

    Uno nuit profonde et silencieuse couvrira le travail de la décomposition...

    ès?.. Après la nuit vient le jour!

    — et, tirant avec pitié et recueillement le drap mortuaire sur l'agonisant, ayons le courage de répéter le vieux cri:

    Le roi est mort — Vive le roi!..

    Londres, le 17 février 1854.

    Cher Linton,

    Il est plus jeune politiquement parlant, comme l'Australie est plus jeune géologiquement. Il s'est organisé plus lentement, il ne s'est pas développé, il est plus récent et ne fait qu'entrer dans le grand courant de l'histoire.

    ècles d'existence n'y fait rien. L’enfance des peuples peut durer des milliers d'années, aussi bien que leur vieillesse. Les peuples Slaves en fournissent un exemple, et ceux de l'Asie — un autre.

    Mais sur quoi peut ont baser l'affirmation que l'état actuel des Slaves est la jeunesse et non la décrépitude, que c'est le commencement et non l'incapacité du développement? Ne voyons-nous pas des peuples qui disparaissent sans avoir eu une histoire, et même des peuples qui avaient fait preuve de quelques facultés, comme les Finnois?

    Il suffit de regarder l'existence de la Russie pour ne conserver aucun doute sur ce sujet. L'influence terrible qu'elle exerce sur l'Europe n'est pas un signe de marasme ni d'incapacité, mais bien d'une force demi-sauvage, d'une jeunesse non réglée, mais vigoureuse.

    ère qu'elle a apparu pour la première fois dans le monde civilisé.

    à, il y avait la régence à Paris et quelque chose de pire en Allemagne. Partout la dissolution, la mollesse, la débauche la plus énervante, la plus dégradée, vulgaire en Allemagne, raffinée à Paris.

    Dans cette atmosphère malsaine où les parfums cachent à peine les miasmes, — dans ce monde de petites maîtresses, de filles illégitimes, de courtisanes gouvernant les Etats, de nerfs effaiblis, de princes crétins — vous respirez enfin en rencontrant la taille colossale de Pierre I, de ce barbare en simple uniforme de gros drap, de cet homme du Nord, robuste, musculeux, plein d’énergie et de force. C'était le premier Russe qui prenait ainsi sa place au milieu de souverains de l'Europe. Il venait pour apprendre, ‒ mais il apprit beaucoup de choses auxquelles il ne s'attendait pas. Il comprit trop bien la vieillesse des Etats de l'Occident et la dégénérescence des gouvernants.

    Alors on ne prévoyait encore la Révolution ‒ qui allait sauver ce monde; on prévoyait seulement la dissolution. ‒ Avec cela, il comprit donc le rôle possible de la Russie vis-à-vis de l’Asie et vis-à-vis de l’Europe. Faux ou non, son testament contient ses idées, ées maintes fois dans des notes, des mémoires. Le gouvernement russe est fidèle à la tradition de Pierre I jusqu'à Nicolas, et Nicolas lui-même la continue au moins dans la politique extérieure.

    On peut la blâmer, la maudire. — Mais comment prétendre qu'elle soit sénile, stationnaire, décrépite?

    On dit que le peuple russe se tient à l'écart et reste immobile tandis qu'un gouvernement presque étranger règne comme il veut à Pétersbourg. Des auteurs allemands en concluent que le peuple russe, stationnaire et asiatique, n'a rien de commun avec l'action de son gouvernement, que c'est une race de demi-sauvages, diplomatiquement conquise par les Allemands, qui la mènent où bon leur semble. Les conquêtes de l'Allemagne, il faut l'avouer, sont les plus grandes et les plus pacifiques du monde. Les Allemands no se contentent pas de la parenté de l'Angleterre et de l'Amérique (Stammverwandt!), des provinces baltiques, par une famille de Holstein-Gottorp, par une nuée de généraux, de diplomates, d'espions et d'autres dignitaires d'origine allemande.

    Il est vrai que le gouvernement do Pétersbourg n'est pas national. La énationalisation de la Russie moscovite, tel était le but de la Révolution de Pierre I. L'opposition passive et une certaine immobilité du peuple est aussi un fait exact. Mais, d'un autre côté, le peuple donne involontairement une base colossale et vivante au gouvernement. Il forme un chorus immense qui imprime un caractère au despotisme allemand (puisqu'on le veut) do Pétersbourg. Le peuple qui ne l'aime pas, voit pourtant en lui le représentant de son unité nationale et de sa force.

    ère de stagnation et de mort que nous voyons dans ces répétitions invariables, monotones, de génération en génération, chez les vieux peuples de l'Orient.

    De l'incapacité d'un peuple pour certaines formes de transition, il serait injuste de conclure à son incapacité absolue de développement.

    Les peuples Slaves n'aiment ni l'idée de l'Etat, ni l'idée de la Centralisation. Ils aiment à vivre dans des communes éparpillées, qu'ils seraient bien contents do mettre à l'abri de toute intervention gouvernementale. Ils détestent l'étal, de soldat, ‒ ils détestent la police. La édération être la forme la plus nationale pour les Slaves; le régime tout opposé de Pétersbourg n'est qu'une dure épreuve, qu'une forme provisoire, qui, certes, a produit aussi du bien, en soudant, par force, les diverses parties de l'Empire, et en leur imposant l'unité.

    Le peuple russe est un peuple cultivateur. L'amélioration de l'état social de la minorité propriétaire en Europe, s'est faite au profit des citadins. Quant aux paysans, la Révolution ne leur apporta que l'abolition du servage et la division des terres. Or, vous savez que la division des terres serait un coup mortel pour l'organisation de la commune russe.

    Rien n'est pétrifié en Russie; tout y est encore en état de liquidité, de préparation. Haxthausen a très bien remarqué — que partout en Russie on voit «le non-achevé, la croissance, le commencement». Oui, on sent la chaux, la scie et la hache... et avec cela on reste serf paisible du seigneur, fidèle sujet du tzar?

    ... Une des questions les plus naturelles, serait de se demander si la Russie doit passer par toutes les phases du développement européen, ou si elle doit avoir un tout autre développement révolutionnaire? — Moi, je nie complètement la nécessité de ces répétitions. Les diverses phases douloureuses, difficiles, du développement historique de nos prédécesseurs peuvent et doivent être parcourues par nous, mais de la même manière dont le foetus passe par les degrés inférieurs de l'existence zoologique. Un travail fait, un résultat obtenu, est fait et obtenu pour tous ceux qui le comprennent; — c'est la solidarité du progrès, c'est le humanitaire. Je sais très bien que le résultat à lui seul est intransmissible, au moins inutile, — le résultat n'est réel, ne s'assimile qu'avec toute la genèse logique. Chaque écolier découvre encore une fois les propositions d'Euclide, — mais quelle différence entre le travail d'Euclide et celui de l'enfant de nos jours!..

    La Russie a fait sou embryogénie révolutionnaire dans sa classe Européenne. La noblesse avec le gouvernement forme l’état Européen dans l'état Slave. Nous avons passé par toutes les phases du libéralisme, depuis le constitutionalisme anglais jusqu'au culte de 93. Nous l'avons fait, je l'ai dit ailleurs, comme l'aberration des étoiles répète en petit le chemin parcouru par la terre dans son orbite.

    Le peuple n'a pas besoin de refaire ce triste travail. Pourquoi verserait-il son sang pour parvenir à ces demi-solutions, auxquelles nous sommes parvenus nous autres, dont la seule importance est d'avoir posé éveillé d'autres aspirations.

    énible, lourd, — pour le peuple; nous l'avons payé par les gibets, les travaux forcés, les casemates, les exils, et par une existence maudite, oui! par une existence maudite.

    énérations.

    La compression devenait de jour plus grande, plus lourde, plus blessante; il fallait cacher sa pensée, étouffer les battements du cœur... et au milieu de ce silence morne, pour toute consolation, on entrevoyait avec terreur l'insuffisance de l'idée révolutionnaire et l'indifférence du peuple pour elle.

    à la source de cette noire tristesse, de ce scepticisme navrant, de cette ironie accablante, qui fut le caractère de la poésie russe. Tout ce qui est jeune, tout ce qui a le cœur chaud, cherche à s'assoupir, à s'oublier; les hommes de talent meurent à mi-chemin, sont exilés, ou s'exilent eux-mêmes. On parle de ces hommes et de leur terrible fin, parce qu'ils sont parvenus à briser cette voûte d'airain qui les entourait, parce qu'ils ont donné une preuve de leur force... Mais des centaines d'autres qui se sont croisés les bras par désespoir, qui se sont moralement suicidés, qui sont allés au Caucase, qui se sont perdus dans leurs terres, dans les maisons de jeu, dans les cabarets, — tous ces fainéants, que personne n'a regrettés, n'ont pas moins souffert que les autres.

    Pour la noblesse, cette éducation a fait son terme. La Russie civilisée n'a maintenant qu'à se fondre dans le peuple.

    La véritable découverte du peuple russe, pour la Russie européanisée, ne date que depuis la révolution do 1830. On comprit enfin avec étonnement que le peuple russe si indifférent, si incapable pour toutes les questions politiques, ‒ touchait par sa manière d'être de beaucoup plus près à une nouvelle organisation sociale, que ne font les peuples d'Europe. Peut-être, dira-t-on, mais il touche aussi à l'organisation de quelques peuples de l'Asie. Et on montre alors la commune rurale chez les Hindous, assez pareille à la nôtre.

    éléments sociaux supérieurs à ceux que nous voyons chez les peuples de l'Occident. Ce qui arrête les peuples de l'Asie, ce n'est pas la commune, mais leur immobilité, leur exclusivisme, leur impuissance de l'arracher au patriarcalisme, à l'existence de la race; tout cela n'a pas de puissance chez nous.

    é; leur facilité à tout s'appropier, langues, coutumes, arts et procédés mécaniques, est remarquable. Ils s'acclimatent aussi bien auprès de la mer glaciale qu'aux bords de la mer Noire.

    Dans la Russie civilisée (toute détachée qu'elle soit du peuple, elle représente pourtant son caractère), on ne trouve pas de ces incompatibilités de vieilles femmes, de ces incapacités serviles comme on en trouve à chaque pas dans le vieux monde.

    Nous sommes stupéfaits en voyant le mur chinois qui divise l'Europe et qui paraît infranchissable. Est-ce que l'Angleterre et la France connaissent quelque chose du mouvement intellectuel en Allemagne? Et ces deux grandes Chines de l'Europe se comprennent encore moins l'une l'autre. Eloignées de quelques heures l'une de l'autre, faisant un négoce incessant, nécessaires l'une à l'autre, — les villes de Paris et de Londres sont plus séparées que celles de Londres et de New-York. Un homme de peuple, Anglais, regarde un Français avec une haine sauvage, avec un air de supériorité qui le fait prendre en pitié.

    Le bourgeois anglais est pire encore, il vous assomme de questions, montrant une telle profondeur d'ignorance du pays voisin qu'on ne sait que répondre. Le Français de son côté a la faculté de rester cinq années dans Leicester Square, sans rien comprendre à ce qui se fait autour de lui. ‒ Comment ce fait-il donc que la science de l'Allemagne, qui ne passe pas le Rhin, passe très bien la Volga, et que la poésie britannique qui s'altère en passant le canal, traverse saine et sauve la Baltique? Et cela, sous un gouvernement ombrageux et arbitraire, qui prend toutes les mesures pour nous séparer de l'Europe?

    éducation privée et publique porte décidément un caractère d'universalité. Il n'y a pas d’éducation qui soit moins religieuse que la nôtre et qui soit plus polyglotte, surtout par rapport aux langues modernes. C'est la réforme de Pierre I éminemment réaliste, laïque et généralement européenne qui a imprimé ce caractère à l'éducation. Ce ne fut que sous l'empereur Alexandre et dans les dernières années de son règne, qu'on institua des chaires de théologie dans les Universités. Nicolas fait de grands efforts pour gater l'éducation publique, — il l'a frappée numériquement; mais quant à son orthodoxie policière, je ne pense pas que cela prenne racine; pour les langues modernes, c'est déjà tellement nécessaire et habituel, que cela restera. La gazette officielle de Saint-Pétersbourg, paraît en russe, en français et en allemand.

    Notre éducation n'a rien de commun avec le milieu pour lequel l'homme est destiné, et c'est pour cela qu'elle est bonne. L'éducation détache le jeune homme d'un sol immoral chez nous, l'humanise, en fait un être civilisé et le met en opposition avec la Russie officielle. Il en souffre beaucoup. C'est une expiation des fautes de nos pères, et là est le germe révolutionnaire. Les temps les plus durs sont passés; la petite minorité, jusque là complètement détachée de la nation, a rencontré le peuple, là où elle pensait être le plus loin de lui.

    étonnement on écoutait nos récits sur la commune russe, sur le partage continuel des terres entre les membres de la commune, sur la simple administration par un starost électif, sur le vote universel dans les affaires de la commune! Quelquefois on nous traitait en visionnaires, en hommes qui avaient perdu l'esprit à force de socialisme!.. Eh bien voilà un homme qui est médiocrement révolutionnaire, qui publie trois volumes sur la commune rurale en Russie, — Haxthausen, catholique, prussien, agronome et monarchiste tellement radical, qu'il trouve le roi de Prusse trop libéral et l’empereur Nicolas trop philanthrope!

    és par nous sont débités in extenso par lui. Je ne répéterai pas encore une fois tout ce que j'ai dit sur cette organisation rudimentaire du des communes, où tout est électif, où tous sont propriétaires, quoique la terre n'appartienne à personne, où le prolétaire est une é, une exception. Vous la connaissez assez pour comprendre que le peuple russe, le malheureux qu'il est, écrasé en partie par le servage et entièrement par le gouvernement qui le méprise et l'opprime, ne pouvait suivre l'exemple des peuples de l'Europe dans leurs phases révolutionnaires complètement urbaines et qui auraient immédiatement attaqué par la base l'organisation communale. Au contraire, la révolution qui s'accomplit maintenant se trouve placée sur le même terrain — et nous verrons quel sera le résultat de cette rencontre.

    étendre le self-government de la commune et du district (volost) aux villes et à l'Etat entier, et maintenir l'unité nationale, développer les droits personnels et maintenir l'indivisibilité de la terre — voilà la question révolutionnaire pour la Russie, la même que la grande autonomie sociale dont la solution incomplète agite tant l'Occident.

    — l'Autorité et la Liberté — le Communisme et Pégoïsme (dans le sens large du mot), ce sont les colonnes herculéennes de la grande lutte, de la grande épopée révolutionnaire.

    ée et abstraite. La Russie une autre tronquée et sauvage.

    La synthèse sera faite par la Révolution. Les formules sociales ne président jamais à leur réalisation que vaguement.

    Les peuples Anglo-Saxons sont parvenus à émanciper l’individu en niant la communauté, en isolant l'homme. Le peuple russe conserve la communauté, en niant l'individu, en absorbant l'homme.

    Le ferment qui devait mettre en mouvement la masse des forces inertes endormies parle patriarcalisme communal, c'est le principe de l'induvidualisme, de la volonté personnelle. Ce ferment entre dans la vie russe par une voie étrangère, s'incarne dans un tzar révolutionnaire, qui nie la tradition, la nationalité, qui divise le peuple en deux.

    ’empire russe est une création du XVIII-e siècle, tout ce qui a été conҫu dans ce temps portrait en soi des germes révolutionnaires.

    Le palais célibataire de Frédéric II et la maison de correction qui servait de palais à son père, n'étaient nullement monarchiques comme l'Escurial ou les Tuileries. Il y avait un air âpre, matinal, dans le nouveau royaume; il y avait quelque chose de simple, de sec, de positif, de rationnel, — et c'est ce qui tue la religion et la monarchie. De même en Russie.

    Pierre I rompit violemment avec la tradition byzantino-moscovite. Homme de génie, il aimait le pouvoir beaucoup plus que le trône, il agissait plutôt par la terreur que par la majesté, il détestait la mise en scène, ce qui est très important pour la monarchie.

    L'organisation de l'empire russe est de la plus haute simplicité. C'est le gouvernement du docteur Francia au Paraguay appliqué à un peuple de 50 millions d'hommes. C'est la réalisation de l'idéal bonapartiste: le peuple muet, sans droits, sans défenseurs, hors la loi, et, vis-à-vis de lui, une minorité entraînée, protégée, annoblie par le gouvernement et qui forme l'administration.

    à la lettre, gouvernée par les aide-de-camps, les ordonnances, les copistes et les estafettes. Le sénat, le conseil d'Etat (création postérieure), les ministères — ne sont que des chancelleries, où on ne discute pas, mais où on exécute; où on ne délibère pas, mais où on transcrit. Toute l'administration ne représente que les bras d'un télégraphe par lequel du Palais d'hiver annonce sa volonté.

    Cette organisation expéditive, automatique, est beaucoup moins attaquable par la base que par la cime.

    é — la monarchie reste. Chez nous, l'empereur tué, — la discipline reste, l'ordre bureaucratique reste — pourvu que le télégraphe joue — il sera obéit...

    On peut demain chasser Nicolas, mettre à sa place Orloff ou je ne sais qui, sans la moindre secousse. Les affaires s'expédieront avec la même précision, la machine continuera à fonctionner, à transcrire, à transmettre, à répondre, — les machinistes continueront à voler et à faire du zèle.

    ératrice Catherine II a eu peur de cette terrible et muette omnipotence, de cette obéissance illimitée d'agents et d'esclaves qui servent celui éissance survit même au maître. Elle voulait appeler la noblesse à une existence plus indépendante, pour avoir un entourage attaché librement à elle et à la couronne, sur lequel elle put compter. Le silence dos copistes et des exécuteurs effraya la femme de Pierre III! C'est dans le méme silence qu'Alexis Orloff étrangla son maître emprisonné, que les copistes écrivaient: «S. M. daigna mourir», et les exécuteurs exécutaient quiconque ne le croyait pas.

    Ces nouvelles organisations étaient vraiment étranges, surprenantes. On n'a jamais sérieusement réfléchi sur leur caractère excentrique, mélange exotique de démocratie et d'aristocratie, du despotisme le plus illimité et des droits d'élection très étendus, de Jean le Terrible et de Montesquieu.

    Toutes ces institutions portent le double cachet de la période de Pierre I et d'institutions nationales peu formulées, qui s'épanouissent pur l'influence organisatrice des idées de l'Occident et qui les modifient à leur tour dans un sens qui leur est presque contradictoire.

    éligibles et éligibles pour 6 années, des juges appartenant aux trois classes, à la noblesse, à la bourgeoisie et aux paysans et point du tout d'état judiciaire! Chacun de ceux qui ont le droit de prendre part aux élections peut être élu juge. L'absence de l'ordre judiciaire est un des faits des plus graves. Un ennemi de moins — et quel ennemi! lhomme noir, le pendant laïque du prêtre, et le gardien mystérieux de la loi humaine qui a le monopole de juger, de condamner, de comprendre le ès drôle de voir des officiers de cavalerie démissionnaires devenir juges par élection, sans rien connaître aux lois et aux procédures; mais il est d'autre part bien triste de déclarer tous les hommes incapables à statuer sur un fait à l'exception des experts en robe, qu'on a élevés ad hoc. Si les juges élus sont mauvais, tant pis pour les électeurs, — ils sont majeurs et savent ce qu’ils font. Mais, dit-on, la jurisprudence ne vient pas avec la barbe, les lois sont si compliquée, qu'il faut de longues années, de grandes études pour se reconnaître dans le dédale judiciaire... C'est vrai – pourtant il ne s'en suit pas qu'il faille préparer dès l’enfance une classe entière à comprendre ces lois, mais bien qu’il faut jeter ces lois au feu. Les rapports des hommes sont très simples. Ce sont les formalités, les réminiscences, c’est la poésie de la robe, les fiorituri de la jurisprudence qui embrouillent les questions.

    é d'un membre élu par la noblesse, d'un autre élu par les bourgeois, d'un troisième élu par les paysans libres. Deux candidats sont élus par la noblesse pour l'emploi du président. Le gouvernement choisit l'un des deux et envoie de son côté un procureur investi du droit de suspendre chaque décision et d'en référer au sénat.

    Si on se rappelle que les appartiennent aussi à la noblesse, on voit clairement que l'action du juge-assesseur bourgeois et du juge-assesseur paysan est paralysée dans tous les cas d'opposition. Pourtant ils ont le plein droit de protester et de faire passer l'affaire au sénat. Cela ne se fait que bien rarement. La raison en est simple: c'est que le sénat qui n'a aucun élément ni populaire, ni électif, est toujours d'accord avec le parti nobiliaire et gouvernemental. Ce qui nous occupe à présent, c'est la et non l'abus. Pensez au cadre, à la puissance possible dans l'avenir, et non à l'application actuelle. Il y a une dizaine d'années, un homme intègre, austère, un vieux négociant de Moscou fut élu maire de cette ville. Le maire des villes est chargé de la surveillance des affaires financières de la cité, il administre les revenus, les dépenses. Ordinairement c'est un millionnaire quelconque, aimant à poser dans les fêtes officielles, — qui est élu, il donne des dîners monstres, des bals monstrueux et signe tout ce que le gouvernement veut et tout ce que les employés désirent. Le maire de Moscou, Chestoff, comprit autrement ses fonctions. Il coupa tellement les ailes aux voleurs officiels, que le grand maître de police lui déclara une guerre acharnée. Le négociant l'accepta, la lutte finit par la chute complète du général de la police.

    Mais ce ne sont pas seulement les juges qui sont électifs. élective. Le capitaine de police, et en partie ses assesseurs, sont élus par la noblesse.

    Là où finit la police du district, commence la commune rurale, — avec son a parte: son starost élu, sa police élue; avec son absorption de l'individu au nom d'un communisme traditionnel et national. Là où commence de l'autre côté la centralisation gouvernementale, c'est-à-dire, au-dessus de l'administration locale des provinces, là finit toute trace du droit individuel, ‒ individu est complètement absorbé, anéanti par la dictature de Pétersboug au nom de l'autocratie la plus absolue et la moins slave du monde.

    ù les idées du droit personnel et les idées révolutionnaires puissent se produire, ce sont la noblesse et la bourgeoisie.

    L'influence de la bourgeoisie est moindre en Russie qu'en Eupore, — non seulement parce que le développement industriel a été moindre, mais encore parce que la haute bourgeoisie passe facilement dans la noblesse (les employés de l'état, les négociants les plus riches, les artistes, les décorés, etc.).

    ée dans tous les cas extrêmement rétrograde, conservatrice, orthodoxe, servile et patriotique plus que de besoin. Opprimée, cachant sa richesse et se cachant à elle-même, elle reste muette, elle s'efface, bâtit des églises, distribue des secours aux pauvres et aux prisonniers, donne des cadeaux à tous les employés... et accumule des millions. Ce n'est que la nouvelle génération qui, ayant reçu une éducation tout-à-fait européenne, partagera nos idées révolutionnaires.

    ôt une administration qu'une aristocratie. La naissance, les titres de prince et de comte, l'ancienneté du nom, l'étendue des possessions ne donnent absolument aucun privilège. C'est le rang de service qui les donne. Lorsque deux générations des nobles n'ont pas servi, le gouvernement peut ôter la noblesse aux héritiers.

    Cette universalité des services en change le sens. Servir le gouvernement en Russie n'a pas le sens que les Français attachent à ce nom, c'est-à-dire le sens d'être un agent du gouvernement, une âme damnée du pouvoir. Tous les conspirateurs de 14/26 Décembre occupaient des places dans le service. Une distinction parfaitement tracée se fait dans l'opinion publique entre les employés réels, dévoués, pleins de zèle, les employés par goût és qui ne sont rien de cela. Les premiers sont quelquefois craints, mais jamais respectés. Les autres forment presque exclusivement la société indépendante dans les capitales et dans les provinces. Cette classe est assez nombreuse, si on y compte les officiers qui, en général, sont loin d'être serviles et mauvais comme les employés civils, les hommes qui ont quitté le service

    à 25 ou 26 ans, les propriétaires qui demeurent dans leurs terres et ne que lorsqu'ils sont élus par la noblesse.

    à que l'éducation universelle et polyglotte a produit les hommes les plus indépendants de l'Europe. Le despotisme écrasant, l'absence de la parole, la nécessité d'être toujours sur ses gardes, ont habitué la pensée à la concentration, à un travail intérieur, hardi et plein de haine. La littérature moderne a dévoilé ce qu'il y a de passions sourdes, accumulées dans la poitrine russe. L'opinion de la minorité civilisée le constate aussi. Sans peur et sans remords on arriva au socialisme en politique, au réalisme, à la négation de toute religion en philosophie.

    Le socialisme unit les révolutionnaires européens aux révolutionnaires panslaves.

    Le socialisme ramena le parti révolutionnaire au peuple. C'est très significatif. Tandis qu'en Europe le socialisme apparaît comme un drapeau de discorde, comme une menace; chez nous, il se lève comme l'arc-en-ciel des révolutions, comme une espérance.

    éléments de la vie russe, vous êtes à même de voir qu'il est de toute impossibilité de faire un pas en avant, sans entrer dans une phase révolutionnaire ou dans une guerre européenne.

    ées de manière que leur solution nous entraîne de toute nécessité à une réorganisation sociale, à moins qu'elle ne soit différée par une préoccupation extérieure.

    L'émancipation des paysans, chose si facile dans les autres pays, est impossible sans la concession de la terre; l'émancipation, l'émancipation c'est l'expropriation partielle de la noblesse.

    Les conditions d'existence de la noblesse seront changées, avec elles ses rapports au gouvernement, et n'oublions pas que la juridiction et la police extra-urbaine appartiennent à la noblesse, et que la noblesse de chaque province est organisée en corps délibérant avec les maréchaux, ayant des réunions régulières.

    Si un homme énergique occupait le trône russe, il se mettrait à la tête du mouvement émancipateur; il couvrirait d'une véritable gloire la fin de la période de Pétersbourg et il aurait hâté un mouvement inévitable qui, à défaut do cet homme, engloutira le trône; mais pour cela, il fallait être Pierre I et non Nicolas.

    ée davantage. Ce n’est pas seulement l'absolutisme, comme tel, qui empêche en Russie tout progrès. Le despotisme de Pétersbourg conserve, comme nous l'avons dit, sa forme dictatoriale, révolutionnaire, dénuée de tradition et de principe, — c'est une machine de guerre, de lutte, qui pourrait servir à divers usages. Mais le pli érieur, depuis le 26 Décembre 1825, le rend parfaitement incapable de faire quelque chose de bon. Nicolas a immensément rétrogradé et cela avec une maladresse surprenante. Nicolas voulut dès le commencement de son règne être plus tzar qu'empereur — mais faute de comprendre le génie slave, faute d'en avoir l'intuition, il n'y parvint pas, et se borna à persécuter toute aspiration vers la liberté à étouffer tout désir de progrès, et à arrêter tout mouvement. Il voulait faire de son empire une Byzarice militaire. De là son orthodoxie de parade, froide, glaciale comme le climat de Pétersbourg. Nicolas n'a compris que la compression, que l'immobilité, que le côté chinois de la question. Il n'y a dans son système rien d'actif, rien de national même, il a cessé d'être européen sans devenir russe.

    Pendant son long règne, il a touché à toutes les institutions, à toutes les lois, pour y introduire un élément de mort, de paralysie.

    La noblesse ne pouvait devenir une caste close, grâce à la faculté de l'obtenir. Nicolas y mit des entraves en liant le titre de noble héréditaire au rang de Major dans l'armée et au rang de Conseiller d'Etat au service civil.

    était électeur; lui, il fit un cens électoral.

    était active; lui, il envoya des officiers de police (stanovoï) de la couronne, sous le commandement du Capitaine de police, élu par la noblesse.

    Auparavant, le code criminel russe ne connaissait pas de peine capitale. Nicolas l'introduisit pour les crimes politiques et le parricide.

    ême le code criminel ne connaissait pas l’absurdité de la prison, comme châtiment — Nicolas l'introduisit.

    érance religieuse était une des bases glorieuses de i'Empire crée par Pierre I. Nicolas fit une loi sévère

    La charte donnée à la noblesse lui garantissait le droit de vivre partout où elle voulait et de prendre service dans les pays étrangers. Nicolas restreignit le droit de locomotion, le temps des voyages, il introduisit la confiscation.

    Depuis Pierre III, la chancellerie secrète, sorte d'inquisition laïque, était abolie. Nicolas l'a retrouvée; il a formé un corps entier d'espions avec ou sans armes, qu'il donna en apprentissage à Bénkéndorf et qu'il confia plus tard à son ami Orloff.

    Avec ces moyens, Nicolas n'a réussi qu'à enrayer le mouvement, il a mis des pierres sous toutes les roues, et maintenant il s'indigne lui-même de ne rien voir marcher. Il veut maintenant faire quelque chose à tout prix, il y tend de toutes ses forces... les roues sauteront peut-être et le cocher se cassera le cou. Mais dans sa lutte avec le vieux monde, divisé, faligué, asservi.

    J'ai dit, cher Linton, dans ma première lettre, que si le peuple russe n'avait qu'un avenir possible, — pour l'Empire russe, il pouvait bien y avoir deux éventualités.

    J'ai la plus profonde conviction que l'impérialisme russe se dessècherait, se décomposerait et cela très vite, en face d'une Europe libre, unie (autant que les variétés nationales le comportent). L'autocratie de Pétersbourg n'est ni un principe, ni un dogme; c'est une force; et pour rester telle, elle doit toujours faire quelque chose. Faire de la police et de la résistance, ce n'est pas faire quelque chose, et les autres matériaux pour une autre activité lui manquent ou lui font pour.

    à-vis de l'Europe révolutionnaire, l'impérialisme russe n'aurait que deux chances: l'une, c'est de devenir despotisme démocratique et social, ce que je ne dis pas être absolument impossible, mais ce qui rendrait le tzarisme tout autre chose qu’il ne l'est. L'autre, c'est de se pétrifier, de s'immobiliser à Pétersbourg et de perdre chaque jour l'influence, la force, le prestige, et enfin, de se voir chassé un beau matin par l'insurrection des paysans ou par une révolte des soldats.

    ès de vingt millions de serfs, aidés de cosaques profondément offensés par la perte de leurs droits et franchises; aidés des dissidents dont le nombre et la force morale sont très grands, et dont la haine contre le gouvernement est irréconciliable, aidés d'une partie de la noblesse!.. Cela peut donner a penser aux habitants du Palais d'hiver.

    Est-ce que Pougatcheff n'a pas été maître absolu de quatre provinces pendant des mois entiers? Il est vrai que les mesures militaires sont bien autrement prises maintenant qu'elles ne l'étaient en 1777.

    Et pourtant je me rappelle très-bien l'insurrection des colonies militaires à Staraïa-Roussa, en 1831, à 150 kilomètres de Pétersbourg et 450 de Moscou, dans un endroit où il y a toujours des masses de troupes cantonnées! Les insurgés interceptèrent les communications entre les deux capitales, eurent le temps écuter tous les officiers et d'installer un certain gouvernement composé des scribes des régiments...

    ées ont marché. Le soldat russe n'est pas habitué à assommer des Russes. Un jour, dans une émeute des paysans, lors de l'installation du nouveau ministère des domaines, on envoya un régiment pour dissiper le peuple. Le peuple ne s'en alla pas, il cria, il demanda je ne sais quoi. Le général, après avoir sommé la foule, ordonna de charger les fusils et d'ajuster... la foule ne bougea pas; alors le général fit signe de faire feu... Le colonel commanda: Feu!.. pas un coup ne partit. Le général étonné, stupéfait, répéta d'un air terrible: Feu! Les soldats abaissèrent les fusils et restèrent immobiles. Le général, pâle comme la mort, pria le colonel et les officiers... de garder le secret. — Cela peut se reproduire... L'air devient si vif, si électrique, lorsqu'il y a révolution en Europe... En un mot, l'impérialisme russe ne peut être que très triste et très précaire, à côté de l'Europe révolutionnaire et libre. Il ne peut être colossal et victorieux que près de l'Europe réactionnaire.

    L'Europe monarchique, mais peu martiale, ne veut pas et ne peut pas faire de guerre sérieuse au tzar. Le tzar, de son côté, ne peut pas s'abstenir de faire la guerre à l'Europe, à moins qu'elle ne lui fasse cadeau do Constantinople.

    — Oui, Constantinople. Il la lui faut pour que le peuple russe ait les yeux tournés vers l'Orient; il la lui faut pour être soutenu à outrance par l'église orthodoxe; enfin, il la lui faut instinctivement, car, au fond, lui aussi est le porteur d'une ée:

    Le temps du monde slave est arrivé. Le laborite, l'homme de la commune se sent agité... Est-ce le socialisme qui le réveille?.. Où plantera-t-il son drapeau? Autour de quel centre se ralliera-t-il?

    étersbourg, ville allemande-moderne; ce n'est pas Varsovie, ville catholique, ni Moscou, ville exclusivement russe, qui peuvent prétendre au rôle de la capitale des Slaves-Unis. — C'est Constantinople, — Rome de l'église orientale, centre de gravitation pour tous les Slaves-Grecs, ville entourée d'une population Slavo-Hellène.

    Les races Germano-Latines continuent l'Empire occidental, les Slaves continueront-ils l'Empire oriental? — Je ne sais, mais Constantinople tuera Pétersbourg.

    Pétersbourg serait une absurdité pour un Empire qui possèderait Constantinople; et un Holstein-Gottorp, déguisé en Porphyrogenète ou en Paléologue, serait par trop ridicule, pour être possible. Ces braves émigrés allemands feront bien de rentrer dans leur patrie qui les réclame... ou qui s'arrangera pour se passer d'eux; mais alors au prix de flots de sang...

    Est-ce que vous n'entendez pas, comme si c'était derrière votre porte, le cosaque chuchotant avec deux amis qui vous trahissent et qui lui serviront de guides jusque dans le cœur de l’Europe?

    édit dès 1849: èneront les Russes.

    Pour le tzar, l'invasion est le seul moyen do popularité, de conservation. Ce débordement provenant de trop de forces sans emploi, sera pour lui un moyen d’éviter les questions intérieures, en même temps que l'assouvissement, d'un désir sauvage do combat et d'agrandissement.

    Pour l'Europe — toute guerre est un malheur. — L'Europe n'est plus d'âge où on fait des guerres poétiques. Elle a d'autres questions à résoudre, d'autres luttes à soutenir, — mais elle l'a voulu!.. C'est une expiation.

    à la civilisation, au développement industriel de l'Europe, la monarchie absolue, le despotisme soldatesque ne lui vont pas non plus; et pourtant tout le continent les a préférés à la liberté.

    Monarchique veut dire — militaire. C'est le régime de la force matérielle, c'est l'apothéose do la baïonnette. Il n'y a pas de Bonaparte et le fils de Jérôme est lieutenant-général.

    être qu'au milieu de ce sang, de ce carnage, de cet incendie, de cette dévastation, les peuples se réveilleront et verront, en se frottant les yeux, que tous ces rêves terribles, dégoûtants, affreux, ne sont que des rêves... Bonaparte, Nicolas, manteau aux abeilles, manteau au sang polonais, empereur du gibet, roi aux fusillades — cela n'existe pas, et les peuples s'étonneront de leur long sommeil en voyant le soleil déjà long sur l'horizon...

    Cela peut être... mais...

    Dans tous les cas, cette guerre sera ’Introduzione maestosa e marziale una marcia funèbre du vieux monde.

    Je vous salue fraternellement

    Londres, le 20 février 1854.

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    La Russie et le vieux monde
    Старый мир и Россия
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